• « L’endroit ne m’est pas inconnu. Je suis dans un rêve ? Ou plutôt, je rêve encore, parce que les deux derniers que je viens de faire n’étaient pas des plus plaisants.

    -       Ce n’était pas des rêves, dit une voix que je connais bien.

    -       Lucifer ?

    -       Oui, ça fait longtemps Raphaël.

    -       Oui, donc je suis en train de rêver là.

    -       Oui, dit Yaël. Mais les deux jours que tu viens de vivre n’étaient pas des rêves.

    -       Comment ça ?

    L’endroit se fait plus clair et je me retrouve dans la prairie. Je m’assois sur la chaise devant la table en fer forgé. Les deux autres sont déjà installés. Lucifer est habillé en noir, Yaël en blanc. Parfait contraste, je trouve.

    -       Expliquez-moi, dis-je.

    -       Ce que tu as vu, ce sont les possibilités qui s’offrent à toi, explique Yaël.

    -       Vous voulez dire que j’ai vu ce que serait le monde si c’était l’Enfer ou les anges que je choisissais ?

    -       Exactement, dit Lucifer.

    -       C’était… invraisemblable, dis-je perturbé. Je n’ai vu que deux mondes et celui des humains ?

    -       Tu l’as déjà vu d’une certaine manière, dit Lucifer. En passant à travers le miroir. Tu as vu ce qu’aurait pu être ta vie, si elle avait été humaine et d’une certaine manière, tu as déjà vécu en tant qu’humain.

    -       C’est vrai, dis-je. Alors, ce serait le monde que je dois choisir ?

    -       C’est à toi de décider. Tu as peu de temps, mais tu vas revenir dans ton monde. A ce moment-là, tu sauras quand faire ton choix. Il le faut, sinon, tu as déjà vu ce qui arrivera. Tous les mondes seront détruits.

    -       Vous croyez que je ferais le bon ?

    -       Tu décideras selon ton cœur, dit Yaël en souriant. Quoiqu’il en soit, c’est la dernière fois que nous nous voyons.

    -       Quoi ?

    -       Eh oui, dit Lucifer. Notre mission est terminée. Il est temps pour toi de te réveiller. Tu as été très divertissant, mais cette fois, c’est un adieu.

    -       Adieu, dit Yaël.

    -       Merci, dis-je simplement.

    Ils sourient et disparaissent. Alors, ça y’est, le temps du choix est venu. »

     

    ***

     

    J’ouvre les yeux. J’ai l’impression de passer ma vie à dormir. Les deux derniers jours m’ont semblé être des rêves, mais si Lucifer et Yaël disent vrai, alors ils étaient bien réels et à partir de là, je dois faire mon choix. Je me lève, m’habille et sors de la maison déserte. Je fais le tour de la Communauté, pour m’assurer que rien n’a changé. Le ciel n’est pas rouge, les cadavres ne jonchent pas le sol. Les tombes de Thomas et Max sont toujours là et le bâtiment de l’armée aussi. J’entre même dans le bâtiment du Conseil pour m’assurer que ce n’est pas devenu un lieu de prière, mais tout à l’air normal. Ce lieu me fait penser à Métatron. Je vais une dernière fois dans la grotte de Ryu, mais plus de dragon, plus jamais.

    Je me rends chez les humains, appréciant de retrouver la ville de Sénon, tout à fait normal. Je me rends à Auxois, sur la tombe de ma mère, puis, sur celle de Lucie. C’est sans doute la dernière fois que j’y viens. Ma main se pose machinalement sur la clé autour de mon cou et une dernière pensée va à Subaru.

    La prochaine fois, je ne sais pas si le monde sera le même. Je ne préfère pas y penser pour l’instant, et profiter de ma dernière journée. Je passe par tous les endroits que je connais, finissant bizarrement par la montagne inversée où je vois de loin Eve et Jacob qui en sortent. Je me demande ce que sera leur vie, quand j’aurais choisi. Je reviens dans la ville, et m’arrête dans le parc où je m’assois sur un banc et regarde les enfants jouer sur les balançoires ou dans le bac à sable. Je sens alors une présence qui s’assoit près de moi.

    -       Je t’ai cherché toute la journée, dit Alexandre. Je croyais que tu t’étais encore enfui.

    -       Je t’ai déjà dit qu’à mon âge, on ne s’enfuit pas.

    -       C’est vrai. Tu es un homme, maintenant.

    -       Tu as l’air de l’oublier parfois.

    -       Oh non, je ne l’oublie pas. Tu as grandi bien trop vite.

    -       Tu aurais préféré que je reste un enfant toute ma vie ?

    -       Non, dit Alexandre.

    Je me tourne vers lui, pour le regarder. Lui, observe quelque chose devant lui. Etre assis là, avec lui, me rappelle la conversation que j’ai eue avec son double. S’il est là, c’est qu’il y a une raison. Il ne doit pas vraiment me détester, je viens seulement d’en prendre conscience. Peut-être que finalement, cette expérience m’a fait murir.

    -       On marche ? demandais-je en me levant.

    -       Si tu veux, dit-il en se levant à son tour.

    Nous marchons, en silence. Alexandre n’a jamais vraiment été bavard, en fait. Il se met facilement en colère, il est un peu soupe au lait, mais il est plutôt gentil au final. Il ne dit pas ce qu’il pense, ni ce qu’il ressent, cependant, je crois qu’il est plus sensible justement. J’ai l’impression de le découvrir pour la première fois.

    -       Tu étais parti où ? demande-t-il.

    -       Je n’étais pas très loin, en fait. J’ai fait la connaissance de gens très gentil. Je regrette de ne pas être resté plus longtemps, mais je ne pouvais pas, n’est-ce pas ?

    -       Tu es grand, tu fais ce que tu veux, dit Alexandre.

    -       Tu viens juste de me faire remarquer le contraire. Je voulais rentrer de toute façon, parce que je n’avais pas le choix et parce que je voulais te revoir.

    Je le regarde attendant sa réaction. Il rougit et j’ai du mal à croire que c’est Alexandre que j’ai à côté de moi. Il semble serein et calme aujourd’hui. Pas de remontrance, j’ai l’impression d’être avec un ami, que je peux tout lui dire et justement, une question me taraude les lèvres, depuis longtemps.

    -       Tu sais, je n’ai jamais voulu t’inquiéter ou te mettre en colère, dis-je. Mais je n’ai jamais vraiment su ce que tu pensais. Je me suis mis à penser que tu me détestais et je crois que j’étais vexé, c’est sans doute pour cette raison que j’ai voulu te rendre la monnaie de ta pièce, comme on dit. Au final, je crois que je me suis trompé.

    -       C’est maintenant que tu t’en rends compte ? demande-t-il. Je ne t’ai jamais haï et je ne suis pas très doué pour exprimer mes sentiments. Mais, je ne t’ai jamais détesté, au contraire… je… je tiens beaucoup à toi.

    Il rougit et je comprends que c’est sincère. Je me demande l’espace d’un instant si notre relation pourrait devenir comme celle de nos doubles. Je m’approche de lui et il se tend. Il n’y a personne autour de nous, tout simplement, parce que je le souhaite. Je suis un ange après tout. Je le prends dans mes bras et il se tend dans mes bras. On a rarement eu ce genre d’étreinte, mais je sais que c’est maintenant que je dois le faire, parce que l’instant du choix est arrivé, je le sais.

    -       J’ai une question à te poser, j’aimerai que tu me répondes sincèrement.

    -       Oui, dit-il en se détendant un peu et en passant ses bras autour de moi.

    -       Si tu avais à choisir entre les anges, les démons et les humains, quel serait ton choix ? Où voudrais-tu vivre ?

    Il se recule légèrement afin de me regarder. J’imagine qu’il ne s’attendait pas à une question comme celle-là. Il me serre à nouveau dans ses bras, embrassant mes cheveux et j’attends sa réponse, parce qu’il va me la donner, j’en suis certain.

    -       Je voudrais vivre dans un monde où les personnes que j’aime connaissent le bonheur et sont heureuses, dit-il.

    J’écarquille les yeux de surprises, avant de les fermer. Mon choix est fait à présent, je crois. Je me demande ce qui va se passer ensuite. Non, je ne dois pas m’inquiéter, tout ira bien, j’en suis certain.

    -       Merci.

     

    ***

     

    -       Allez, réveille-toi, dit une voix dans mon sommeil.

    -       Hein, quoi ? dis-je en me redressant brusquement.

    -       La marmotte est enfin réveillée, c’est pas trop tôt.

    -       Pas trop tôt ? demandais-je. Qu’est-ce que tu racontes ? Il est encore tôt, à peine neuf heures.

    -       Mon père et le tien viennent dans une heure. Allez, lève-toi.

    -       OK ! C’est bon, je me lève.

    Je sors de mon lit à contrecœur. Il ne fait pas chaud, et je crois que j’ai oublié mes chaussons dans le salon, alors j’affronte malgré moi, le sol glacé et rejoins mon réveil matin.

    -       Tu devrais aller prendre une douche, Raphaël.

    -       Quoi ? Je sens le fauve, c’est ça ?

    -       Allez, c’est la veille du nouvel an, tu ne veux pas être propre pour fêter ton anniversaire ?

    -       C’est demain, justement. Je sais pas comment tu fais pour te réveiller aussi tôt.

    -       C’est comme ça, dit-il en souriant.

    Il passe près de moi et m’embrasse sur les lèvres avant de poser un bol de chocolat chaud devant moi. Je le prends et m’installe devant mon ordinateur. Il est toujours allumé, sur une page de roman, à moitié écrite.

    -       Tu as pensé à la fin ? me demande-t-il.

    -       Oui, j’en ai même rêvé, tiens. Je crois savoir comment je vais terminer l’histoire. Je n’en ai pas pour longtemps.

    -       J’espère, parce que j’aimerai que tu sois prêt rapidement.

    -       Ne t’en fais pas, il ne me reste que quelques pages à écrire. J’étais en panne d’inspiration hier soir, mais j’ai trouvé.

    Je me mets à pianoter sur le clavier, rapidement. Alexandre passe à côté de moi, afin de me déconcentrer, mais je reste imperturbable. Cerby notre chien n’arrête pas de passer entre mes jambes afin que je le caresse, mais je ne peux pas me permettre de m’arrêter en si bon chemin. Après plus d’une demi-heure d’écriture et mon bol de chocolat avalé, je suis heureux de mettre le point final à cette histoire. Je sauvegarde rapidement pour que rien ne se perde, ce serait bête de tout recommencer et voilà, c’est terminé.

    -       Ça y’est, fini, dis-je avec un sourire triomphale.

    -       Fais voir, dit Alexandre.

    Il lit les dernières lignes de l’histoire, histoire dont il avait déjà lu le début. Il se redresse, un peu frustré, on dirait.

    -       Et c’est tout ? On ne sait même pas quel est le choix du narrateur.

    -       Ça laisse place à l’imagination et puis, ce n’est pas si difficile à deviner.

    -       Je n’en suis pas si sûr, mais d’un autre côté, c’est sûrement une bonne fin. En attendant, il est temps pour toi, d’aller prendre une bonne douche et te préparer à partir.

    -       C’est bon, j’y vais.

    Je me lève de chaise, mets mon bol dans le lave-vaisselle et après une bonne vingtaine de minutes sous la douche, je ressors propre comme un sou neuf. La sonnette de la porte retentit à ce moment-là et mon père et David entrent dans l’appartement.

    -       Prêt à y aller ? demande David.

    -       Oui, même si on a failli être en retard, dit Alexandre. Monsieur ne voulait pas se lever et en plus, il vient de terminer son dernier roman.

    -       C’est super, dit mon père. On va pouvoir le publier dans quelques mois.

    -       On verra, dis-je.

    Mon père a monté sa propre maison d’édition. C’était son rêve depuis toujours et je l’avoue, ça m’a bien aidé. Il a publié mes premiers romans qui se sont plutôt bien vendus. Celui que je viens de terminer, est le sixième et dernier tome de ma saga sur les anges. Je m’avance vers eux, portant machinalement la main à mon cou, sortant une clé accrochée à une chaine, vieux souvenir d’un ami disparu.

    -       Allez, il est temps d’y aller, dit Alexandre.

    -       Oui, j’arrive.

    Je m’habille et nous sortons. Alexandre tient Cerby en laisse. Ce dernier a l’air ravi d’aller faire une promenade. Quant à mon père et David, ils sont déjà partis sans nous attendre. Avant de passer la porte, je regarde une dernière fois l’écran d’ordinateur. Je sais que je termine mon histoire sur un suspense. Quel choix a fait le héros ? Quel monde a-t-il choisi ? Si j’avais été à sa place, mon choix, aurait été de vivre dans un monde où les gens que j’aime puissent connaître le bonheur et être heureux. C’était ça mon choix.

     


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