• 1ère histoire : Zenone, la création de la ville de Sens par Samothès

     

     Quand Samothès se décida à aller vers l’ouest, je me suis tout de suite dit, qu’il fallait que je le suive. Je le connaissais depuis longtemps, nous étions de la même famille, des cousins pour être plus précis. Notre grand-père Noé avait survécu au déluge infligé par dieu pour punir les hommes. Cette histoire incroyable nous a été transmise, à nous autres, ses descendants. Mais je l’avoue, je serais incapable de la raconter, je n’écoutais pas vraiment ce que disait mon professeur, j’étais plus souvent dans mes rêves que dans la réalité.

    C’est pour cette raison, que j’ai décidé de suivre Samothès dans son voyage. Je me souviens qu’il est venu me voir avec quelques autres qui avaient donné leur accord pour partir et m’a demandé à moi aussi, si je voulais y participer. A ce moment-là, je ne savais pas qu’il n’avait pas encore demandé à son père la permission pour entreprendre se périple.

    Sept jours avant son départ, il se décida enfin à aller le voir pour lui en parler. Je n’étais pas présent à ce moment-là, mais quand il est ressortit de son entretien, j’ai tout de suite su qu’on lui avait donné l’accord. Ses yeux bleus pétillaient et ses cheveux blonds flottaient au gré du vent. Je l’ai observé un moment, me demandant si un jour, je serais aussi grand et costaud que lui. J’étais petit pour mon âge, j’étais brun, des yeux noisettes et j’avais trois ans de moins que Samothès.

    -         Alors ? Ai-je demandé alors que je connaissais déjà la réponse à ma question.

    -         Ils sont d’accord, a-t-il dit avec un sourire radieux. J’ai hâte de pouvoir aller à l’Ouest. Nous allons d’abord prendre la mer, direction la Grèce, j’ai réuni beaucoup de volontaires qui veulent voyager et voir d’autres horizons. Je suis ravi que tu m’accompagnes Samuel.

    -         J’en suis ravi moi aussi. Je suis sûr que ce voyage va beaucoup nous apporter.

    -         Je l’espère aussi, a-t-il dit en souriant.

    Il a posé une main sur mon épaule, pour me signifier que notre quête ne faisait que commencer. J’étais impatient d’y être. J’avais déjà pris des petits bateaux pour aller pêcher du poisson, mais jamais je n’avais pris un bateau, plus de quelques heures. Ca allait être une grande première.

    Le jour du départ, j’étais très anxieux à l’idée de quitter ma famille. Par contre Samothès lui, avait hâte de partir. Il comptait aller voir son frère qui vivait en Italie, non loin de l’endroit où il voulait s’installer. Moi, je me suis demandé un moment, si j’allais revoir ma famille, mais la réponse était toute trouvée. C’était peu probable. Le voyage allait nous prendre plusieurs semaines. Nous emmenions beaucoup de monde dans notre ascension.

    Samothès est allé dire au revoir à sa famille et particulièrement à son père Japhet, qui lui avait donné sa bénédiction, pour aller s’installer dans un pays nommé la Gaule. Nous nous sommes retrouvés devant le bateau, j’avais pris tout ce qui m’était nécessaire, sans trop me charger. Les autres membres avaient fait moins d’effort et Samothès dû les rappeler à l’ordre. L’essentiel, c’était de prendre des vivres et non leur maison tout entière. Mais, j’imaginais sans peine, la difficulté de quitter le foyer qu’on a toujours connu. J’ai observé le bateau un long moment, Samothès m’a rejoint et il a levé la tête comme je le faisais.

    -         Tu es prêt ? A-t-il demandé.

    -         Oui, je crois.

    -         Tu es anxieux ?

    -         Oui, un peu, ai-je répondu.

    -         On part dans peu de temps. Tu as dit au revoir à ta famille ?

    -         Je l’ai fait, j’ai essayé de ne pas pleurer, parce que ma mère ne veut pas vraiment que je parte. Elle a pleuré dans mes bras et je te l’avoue, pendant un moment, j’ai failli renoncer.

    -         Et qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? A-t-il demandé en tournant la tête vers moi.

    -         J’ai envie de changer, d’aller voir d’autres horizons. Et toi ? Pourquoi veux-tu partir aussi loin ?

    -         Un peu pour les mêmes raisons que toi. Je n’ai pas envie de rester dans l’ombre de mes frères, mon père ou notre grand-père. J’ai envie d’entreprendre quelque chose qui m’apportera satisfaction et je suis sûr que je le trouverais à l’ouest.

    -         Je vois, je comprends tout à fait ce que tu veux dire.

    -         Il est temps d’y aller, il faut rassembler tout le monde, afin d’embarquer. On va mettre encore un peu de temps avant de partir.

    J’ai acquiescé et Samothès a commencé à rassembler tout le monde. J’ai essayé de l’aider, mais la plupart des gens étaient éparpillés, trop excités à l’idée de partir. Au bout d’une bonne heure, nous avons pu réunir tout le monde sur le bateau. Ils disaient tous au revoir à leur famille, leurs amis, beaucoup pleuraient et moi je me suis éloigné du bord pour ne pas voir ma famille. Je leur avais déjà dit au revoir, je n’avais pas envie de pleurer, maintenant. Les larmes couleraient certainement plus tard, quand j’aurai constaté que j’étais vraiment parti.

    En attendant, je voulais me montrer fort. Samothès est venu vers moi et a regardé dans ma direction, alors qu’il aurait dû plutôt regarder de l’autre côté. J’ai tourné la tête vers lui et j’ai remarqué une larme dans ses yeux bleus. Pourtant, j’étais persuadé qu’elle ne coulerait jamais, et elle ne l’a pas fait. Il a retenu ses larmes et m’a regardé dans les yeux avec un sourire rassurant.

    -         C’est le début d’une aventure, a-t-il dit.

    Je n’ai rien dit, mais ses mots résonnaient dans ma tête et quand le bateau a commencé à tanguer, j’ai compris que c’était parti. Il n’y avait plus de point de non retour. Je me suis avancé sur le bord et j’ai regardé le bateau s’éloigner de la rive. Déjà, je ne voyais presque plus les gens qui nous disaient au revoir. Une angoisse s’est emparée de moi et pendant un moment, j’ai regretté de n’avoir pas regardé ma famille une dernière fois.

     

    Durant les trois jours qui suivirent, je dois avouer que je ne me suis pas senti très bien. Je pensais avoir l’habitude de prendre le bateau, mais finalement, faire un aussi long voyage n’était pas si simple et d’après Samothès, j’étais pâle comme un mort. Ca l’a fait rire, mais pas moi. Je me sentais vraiment mal. Quand il a vu que je n’étais vraiment pas à mon aise, il m’a emmené dans ma cabine.

    -         Ca va aller ? A-t-il demandé.

    -         Il va bien falloir. On est loin d’être arrivé.

    -         Oui, et le bateau sera une grande partie de notre quotidien.

    -         C’est gentil de me le rappeler, ai-je dit en fermant les yeux pour oublier que le bateau tanguait.

    -         Oui, j’aime bien rassurer les gens.

    Je lui ai jeté un regard noir, mais il ne me regardait pas. Il regardait le hublot, l’air songeur et je me suis demandé à quoi il pensait. Nous sommes restés un moment silencieux, mais ça me rendait encore plus malade, alors je me suis forcé à dire quelque chose.

    -         Quelque chose te tracasse ?

    -         Quoi ? Non, pas vraiment. Je me demandais juste… Tu crois que j’ai fait le bon choix ?

    -         Tu te poses la question au bout de trois jours ? Qu’est-ce qui te fait douter comme ça ?

    -         Je ne sais pas, a-t-il dit. Peut-être le fait que j’entraîne autant de personnes dans mon périple.

    -         Ils ont fait leur choix et ils savent très bien ce qui les attend. Ne te tracasse pas pour ça.

    -         Tu as sans doute raison. En tout cas, tu devrais essayer de supporter le voyage, parce que nous ne ferons pas escale avant quelques jours. Il n’y a pas de terre en vue pour l’instant.

    Ma tête est retombée mollement en arrière et j’ai soupiré. Samothès s’est tourné vers moi, avec un sourire un peu moqueur et je l’ai regardé d’un regard noir. Il est sorti, me laissant seul avec mon envie de vomir.

    Comme il l’avait dit, nous n’avons pas vu la terre pendant près de cinq jours, le bateau avançait au rythme du vent et j’étais persuadé que nous n’arriverions jamais en Gaule. Je me suis demandé pendant un moment, comment Noé mon grand-père avait pu rester quarante jours et quarante nuits sur la mer avant de trouver la terre ferme. Déjà que moi, au bout de huit jours, j’étais malade, même si je m’habituais peu à peu à voir le bateau tanguer, je me disais que lui, avait dû faire un gros effort pour supporter tout ça. Heureusement, il était avec sa femme et ses enfants, c’est sûrement cela qui l’a sauvé.

    En tout cas, moi ça ne me sauva pas comme ça. Malgré le fait qu’il y ait du monde sur le bateau, je me sentais un peu seul. Il n’y avait que Samothès qui venait vers moi. La plupart des familles restaient entre elles. Quand nous avons accosté, j’étais heureux de pouvoir enfin poser les pieds sur la terre ferme. Je me souviens m’être écroulé sur le sol et avoir apprécié le contact de la terre sur ma peau. Samothès s’est approché de moi à ce moment-là et a ri, ses yeux bleus pétillants.

    -         Eh bien ! Tu ne fais pas semblant au moins, a-t-il dit.

    -         C’est sûr, ai-je dit en me redressant. Mais, ça fait du bien de revoir la terre. Si j’étais resté plus longtemps sur ce bateau, je serais devenu fou.

    -         Eh bien, rassure-toi, nous allons rester un moment ici, afin de trouver de la nourriture.

    -         Dieu soit loué, ai-je dit.

    Il a souri et je me suis levé. J’étais couvert de terre, mais ça m’était égal. Je voyais les autres décharger leurs affaires. Certains étaient intrigués par l’endroit où nous étions.

    -         Où sommes-nous exactement ?

    -         Nous sommes en Grèce. Encore quelques jours et nous serons en Italie.

    -         Des gens vivent ici ?

    -         Probablement, dit-il. Sûrement un peu plus loin dans les terres. Allez, viens, on va s’installer.

    Je l’ai suivi et nous nous sommes installés avec les autres. Pendant plusieurs jours, nous sommes surtout allés chercher des vivres pour pouvoir continuer notre voyage, qui me semblait sans fin. Pourtant, nous n’étions pas partis depuis longtemps. Seulement, la perspective de reprendre le bateau me mettait mal à l’aise. Et j’étais ravi de pouvoir rester un moment sur la terre ferme. Un village commença à s’installer et bientôt plusieurs de nos compagnons, prirent leurs habitudes à cet endroit. Samothès en profita pour fonder sa première cité et il décida de la nommer Yones, en l’honneur de son oncle, autrement dit mon père Yonichus. J’avoue avoir été surpris de sa démarche quand il m’en a parlé.

    -         Certaines personnes m’ont demandé s’ils pouvaient rester dans cette région. Je leur ai donné ma bénédiction. La ville sera rapidement florissante, j’en suis certain. Dans tous les cas, ils m’ont demandé de lui donner un nom et j’ai pensé à une personne qui nous est chère à tous les deux.

    -         A qui as-tu pensé ? Ai-je demandé curieux.

    -         A ton père Yonichus. Je pensais appeler cette ville Yones, en son honneur. Qu’est-ce que tu en penses ?

    -         Tu es sérieux ? Ai-je demandé surpris.

    -         Oui, très sérieux. Yonichus a toujours été là pour moi et toi aussi et je me suis dit que c’était une façon de lui rendre hommage. Est-ce que tu me donnes ton accord ?

    -         Heu… oui, bien entendu, ai-je dit encore abasourdi par cette demande. Mais, tu es sûr de ton choix ?

    -         Oui, bien entendu. J’y ai murement réfléchi. Dans trois jours, nous reprenons la route et je donnerais le choix aux gens de rester ici.

    J’ai regardé Samothès, un peu surpris et finalement je m’y suis fait assez facilement. A l’idée que mon père puisse avoir une ville qui porte son nom, j’ai pensé que c’était un honneur. Quand nous avons laissé une partie de nos compagnons dans cette ville qui commençait tout doucement à s’épanouir, je me suis demandé un moment, si je n’allais pas rester à cet endroit. Il y faisait chaud, le climat n’était pas désagréable et l’endroit était assez accueillant. Pourtant, quelque chose me poussait à aller plus loin, et même si ma famille me manquait, je sentais que la séparation se faisait moins sentir. Ma seule angoisse était de reprendre le bateau et Samothès l’a remarqué dès que nous sommes montés pour embarquer.

    Comme la dernière fois, nous avons dit au revoir pour certains à leur famille et nous nous sommes éloignés du rivage avec de nouveaux vivres. Samothès avait décidé de faire escale en Italie pour aller voir son frère aîné Gomer. Nous sommes montés au nord pour rejoindre la ville dans laquelle il s’était installé. Le voyage m’a paru beaucoup moins long, qu’au moment où nous étions arrivés à Yones, certainement parce que j’avais moins mal au cœur. Je commençais à m’habituer à voyager en bateau et juste avant d’arriver, je suis resté sur le pont à regarder la terre se rapprocher. Samothès s’est approché de moi et nous avons regardé l’horizon ensemble. Je ne lui avais presque pas parlé pendant deux jours. Il avait été trop occupé par les préparatifs de notre arrivée.

    -         Comment te sens-tu ? A-t-il demandé.

    -         Bien.

    -         Et ton mal de mer ?

    -         Ca va, je commence à avoir l’habitude.

    -         Quand nous serons arrivés en Italie, le reste du voyage se fera à pied. Le chemin est encore long, mais nous serons presque arrivés en Gaule.

    -         Où comptes-tu t’installer exactement ? C’est un endroit assez vaste et nous ne savons pas comment sont faites ces contrées. Et si tu ne t’y plaisais pas ?

    -         C’est un risque, je sais, mais je pense que ça ira. Maintenant, je suis impatient. Créer la ville de Yones m’a motivé, nous avons laissé une partie de nous à cet endroit. Et j’espère que nous le referons par la suite.

    -         Je comprends, ai-je dit. Mais tu crois que tout le monde tiendra le coup ? J’en ai vu qui semblait mal en point. Ils n’ont plus l’air de supporter le voyage.

    Samothès n’a rien répondu. Il savait tout ça. Il avait conscience que tout ceux qu’il avait emmené ne tiendraient pas jusqu’au bout et qu’il serait obligé d’en laisser derrière lui. Il leur laisserait le choix de continuer, il l’avait toujours fait. Ils étaient libres de décider ce qu’ils voulaient faire. Ils pouvaient même revenir en arrière, mais je pense que pour la plupart des gens, il leur était impossible de supporter le voyage en bateau, plus longtemps. Certains étaient bien plus malades que moi, d’autres avaient des symptômes inconnus et nous les isolions le temps d’arriver à terre. Ca me faisait mal au cœur, mais je savais que c’était nécessaire.

    Quand le bateau a enfin touché terre, je suis descendu beaucoup plus calmement que la première fois. L’air était différent, l’endroit différent. Ca ne ressemblait pas à Yones, ni à l’endroit d’où nous venions. Il faisait un peu plus froid, mais c’était encore supportable. Nous étions partis pendant la période de floraison, ce qui me semblait être le meilleur choix.

    Nous avons laissé le bateau, pris nos affaires et nous nous sommes mis en route vers la ville de Gomer. Elle n’était pas très loin de la mer, à trois heures environ de marche, mais je sentais que nous mettrions plus de temps. Les personnes plus âgées et malades nous ralentissaient, mais il était hors de question que nous les laissions derrière. Je suis resté près de Samothès qui menait la marche pour nous guider. Je ne sais pas comment il connaissait cet endroit, peut-être était-il déjà venu, sûrement avec son frère, sans doute.

    -         Tu connais bien l’endroit, on dirait, ai-je dit.

    -         Oui, j’ai entrepris ce voyage avec mon frère Gomer, il y a longtemps, avant de retourner chez nous. Nous étions moins nombreux et nous sommes allés beaucoup plus vite. Gomer et moi sommes allés un peu plus loin au nord, c’est pour cela que j’ai souhaitais y retourner.

    -         Je comprends maintenant. Je ne pensais pas que tu avais déjà visité cet endroit.

    -         Je ne suis pas allé très loin en Gaule, mais ce que j’en ai vu m’a beaucoup plu. J’espère que ça te plaira aussi.

    -         Je l’espère aussi.

    Nous avons continué notre voyage l’un à côté de l’autre, Samothès allait parfois en arrière pour regarder si tout le monde suivait et après un temps qui m’a paru infini, du fait des pauses à répétition, nous sommes enfin arrivés à Gomer. C’était une ville assez développée et quand nous sommes entrés, j’ai immédiatement senti la différence culturelle. Nos compagnons se sont installés un peu en dehors de la ville. Samothès et moi sommes ensuite allés rendre visite à Gomer. Il nous a reçu chaleureusement et nous a invités à dîner.

    -         Je suis ravi de te voir, mon frère, a-t-il dit.

    -         Moi aussi, Gomer. Je suis content de te revoir. Ca fait tellement longtemps.

    -         Oui, mais je suis content que tu sois venu me rendre visite et toi aussi Samuel.

    -         Merci, ai-je répondu.

    -         Comment va notre père et notre mère ? A-t-il demandé à Samothès.

    -         Ils vont très bien, a répondu Samothès. Ils t’embrassent.

    -         J’ai été très surpris de te voir.

    -         Père m’a permis d’aller en Gaule. Je compte m’y installer.

    -         Alors, ça y’est, tu t’es enfin décidé.

    -         Oui, a-t-il dit avec un sourire radieux.

    -         Et toi Samuel ? Tu l’as suivi, alors.

    -         Oui, je me suis laissé embarquer dans l’histoire. Et je ne sais pas où je vais aller.

    -         Si tu le sais, dit Samothès. Je te l’ai dit dès le départ.

    -         C’était pour rire, ai-je dit. Maintenant, je me dis que je suis content de ne plus avoir à prendre le bateau.

    -         Il a été malade tout le long du voyage, a dit Samothès en se moquant.

    -         Pas tout le long quand même, ai-je dit avec indignation.

    Nous avons passés la soirée à discuter et Gomer nous a présentés à plusieurs personnes, dont une jeune femme, aux cheveux noirs et aux yeux bleus, plus jeune que nous à n’en pas douter, qui a sauté aux yeux de Samothès. Je crois qu’il est resté bouche-bée pendant plusieurs minutes avant de réagir et fermer la bouche. Gomer et moi, nous sommes moqués de lui et il est parti fâché un peu plus loin. Je ne lui avais que rarement vu cette expression.

    -         Tu fais toujours la tête ? Ai-je demandé en m’asseyant à côté de lui.

    Nous regardions le ciel sombre, illuminé par les étoiles et la lune. Samothès n’a pas répondu, et je me suis dit qu’il était complètement ailleurs, rêvant certainement à cette jeune femme nommée Galathée. Je l’ai poussé de l’épaule pour le faire réagir, mais il a fait comme si je n’étais pas là.

    -         Tu penses à Galathée ? Ai-je demandé tout en regardant le ciel étoilé.

    -         Non… je… je ne pense pas à elle.

    -         Pourquoi rougis-tu alors ? Ca te trouble tant ?

    -         Ce n’est pas ça. Gomer et toi, vous vous faites des idées.

    -         Mais elle te plait, dis-je comme une affirmation. Ne le nie pas.

    Il n’a pas répondu et je l’ai senti se tendre. Je me suis levé et me suis face à lui, pour ne laisser que moi dans son champ de vision.

    -         Ca n’a jamais fait de mal à personne de tomber amoureux, ai-je dit.

    Il m’a observé un moment et je me suis demandé si je n’avais pas dit une bêtise. Samothès n’avait jamais vécu que pour les autres. Il ne s’était jamais préoccupé de lui et il n’avait jamais été amoureux. Là, où nous regardions les filles quand nous étions un peu plus jeunes, lui restait dans son coin à apprendre. Certes, moi j’étais rêveur, j’aimais me perdre dans mes pensées, mais je n’en oubliais pas le reste. Samothès lui, avait tendance à oublier l’essentiel, au contraire, pour se concentrer sur des choses qui lui prenaient souvent un temps fou. Maintenant, qu’il avait trouvé une autre distraction, je pense qu’il avait peur d’oublier son objectif premier.

    -         Ton silence est éloquent ! Ai-je continué.

    -         Je me sens bizarre, a-t-il finalement dit. Ca ne m’était jamais arrivé ce genre de choses. J’essaie de toujours contrôler les évènements et là…

    -         Là, ça échappe à ton contrôle, ai-je terminé. Mais on ne peut pas toujours tout contrôler et surtout pas l’amour. Va la voir, courtise-là, et si ça marche, propose-lui de venir avec nous.

    -         Mais… a-t-il dit en levant les yeux vers moi. Ce n’est pas simple, je ne pourrais jamais aller la voir.

    -         Je ne peux pas y croire. Toi qui arrive à planifier un voyage, à te lancer dans des discours interminables pour convaincre une assemblée, tu ne peux pas aller parler avec une jeune fille ? Tu m’étonnes quand même.

    -         Je sais mais… attends, comment ça, interminable ? Tu trouves que je parle trop ?

    -         Là, n’est pas la question, ai-je dit en essayant d’éviter la confrontation. Va lui parler et c’est tout.

    -         Oui, mais qu’est-ce que tu entends par interminable ? A-t-il demandé en insistant.

    Je me suis éloigné et il s’est levé pour me suivre. Je savais qu’il n’allait pas me lâcher de si tôt. Je me suis finalement arrêté et je me suis tourné vers lui. Autant en finir maintenant.

    -         Alors ? A-t-il demandé.

    -         Oui, tu parles parfois trop, ai-je dit. Mais ce n’est pas si grave. Tu arrives toujours à nous convaincre.

    -         Ah ! Mais bon, quand même. Si ça te semble interminable, alors qu’est-ce que ça doit être pour les autres, a-t-il dit déçu.

    -         Attends, tu me connais, j’ai souvent du mal à me concentrer, n’importe quel discours, même le plus court peut me paraitre interminable.

    -         Ce n’est pas très convaincant, mais je vais m’en contenter.

    J’ai soupiré de soulagement, même si j’ai bien vu que ça l’avait déçu. Je lui ai donné une tape sur l’épaule et nous sommes rentrés à notre campement tous les deux. Même si la conversation sur Galathée s’était terminée à cause de mon erreur, je n’avais pas dit mon dernier mot.

    Quelques jours plus tard, nous avons revu Galathée et Samothès est resté sans rien dire à la regarder. C’était presque pathétique et quand j’ai voulu faire la conversation, il m’a tiré un peu plus loin, prétextant qu’il devait me parler.

    -         Que veux-tu me dire de si urgent ? Ai-je demandé.

    -         Rien, a-t-il dit.

    -         Comment rien ? Tu as fait tout ça pour rien ? Elle te fait donc peur à ce point-là ?

    -         Peur ? Non, non. Je suis juste intimidé, a-t-il avoué à contrecœur.

    -         Intimidé ? Et c’est une raison pour la fuir ? Je l’ai observé avant de partir, elle avait l’air déçue. Tu as vu ses yeux bleus nous suivre du regard ?

    -         Non, je n’ai pas osé la regarder. Elle me fait perdre mes moyens.

    -         Si tu lui parlais, tu serais certainement plus à l’aise. Laisse-moi faire et tu pourras enfin lui avouer tes sentiments.

    -         Qu’est-ce que tu racontes ? Je ne vais pas…

    -         Il le faut. N’oublie pas que nous devons partir bientôt. As-tu oublié la raison de notre voyage ? Ou l’amour t’a-t-il fait perdre toute notion de priorité ?

    -         Bien sûr que je n’ai pas oublié, a-t-il dit indigné. C’est pour cette raison, que je n’ose pas l’approcher, elle me trouble.

    -         J’ai bien vu qu’elle te troublait. Quoiqu’il en soit, il est important que tu agisses avant de partir, car qui sait quand tu la reverras. Ce sera peut-être jamais d’ailleurs et tu le regretteras le reste de ta vie.

    -         Je sais, a-t-il dit. Je vais y réfléchir.

    -         Ne réfléchis pas trop longtemps. Le temps t’est compté.

    Je me suis éloigné, laissant Samothès à ses réflexions. J’ai marché un peu dans cette ville inconnue, que je découvrais avec émerveillement. J’étais presque prêt à rester ici, mais je savais aussi que je voulais aller plus loin. Pendant un moment, j’ai pensé à ma famille, à mon père, ma mère, mes frères et sœurs. Ils me manquaient, mais je m’habituais de plus en plus à l’éloignement. J’arrivais à me faire à l’idée que je ne les reverrais peut-être jamais, même si parfois, j’avais un pincement au cœur.

    Une semaine plus tard, nous étions prêts pour le départ. Je ne savais pas ce que Samothès avait décidé concernant Galathée. Ils s’étaient finalement parlés, quelques jours avant, mais je n’avais pas eu vent de ce qu’ils s’étaient dits. Samothès était très discret là-dessus, il n’aimait pas étaler sa vie privée devant tout le monde. Pourtant, quand j’ai vu Galathée, avec Samothès, quelques bagages avec elle, j’ai compris qu’elle voulait partir avec lui. Je ne suis pas allé vers eux et quand Samothès a annoncé le départ, je suis resté à l’arrière. Bizarrement, je me suis senti un peu mis à l’écart. Je savais qu’à partir du moment où Samothès aurait trouvé une femme, le voyage s’en trouverait considérablement modifié.

    Pourtant, au fil des jours, j’ai constaté, alors que nous passions les montagnes, que je m’étais trompé. C’était moi qui l’avais poussé dans les bras de Galathée et finalement, il y avait trouvé un réconfort salvateur. Il était encore plus motivé à aller au nord. Il avait l’intention d’aller, loin, toujours plus loin. Nous avions laissé beaucoup de personnes derrière nous en Italie, dans la ville de Gomer et nous allions beaucoup plus rapidement maintenant. Nous maintenions un bon rythme.

    Cependant, durant ces derniers jours, je me sentais désespérément seul. Samothès, bien que s’occupant de toute l’intendance de notre camp, passait aussi beaucoup de temps avec sa femme. Il ne venait plus beaucoup me voir et je l’avoue, je n’allais pas vers lui, non plus. La route était longue et je commençais à m’épuiser, même si j’essayais de paraître beaucoup mieux que je n’étais. Je couvais certainement quelque chose, mais je n’en parlais pas. J’étais bien décidé à continuer notre voyage.

    Samothès se sentait chez lui, apparemment, il reconnaissait les endroits par lesquels il était passé la première fois, cependant, il se dirigeait vers des contrées inconnues et nous ne savions pas ce que nous allions rencontrer. Bien que nous approchions des temps plus chauds, il faisait beaucoup plus frais au fur et à mesure que nous allions vers le nord. Le temps était différent de celui que nous connaissions et je me suis mis un jour à sangloter, incapable d’avancer plus. Je n’étais pas très loin de Samothès, j’aurais pu lui demander de faire une pause, mais j’ai continué mon chemin.

    Le soir, quand nous nous sommes arrêtés, je me suis mis à l’écart du groupe, pour me reposer. J’étais pris de tremblement. Je ne m’étais jamais senti aussi mal et quand mon cousin est venu me voir, je me suis à peine aperçu qu’il était près de moi. Je l’ai juste entendu m’appeler, comme si j’étais dans un des nombreux rêves que je faisais.

    J’ai perdu la notion du temps, pendant un moment durant ma maladie. Je ne savais plus où j’en étais et j’étais transporté dans un chariot, qui n’arrêtait de bouger. J’avais mal au dos, mais le pire était cette sensation moite et désagréable. J’étais couvert, à avoir presque trop chaud, mais je n’osais pas enlever les couvertures qui étaient sur moi, de peur d’avoir froid. Pourtant, les jours se sont réchauffés peu à peu, mais on était loin des chaleurs de l’endroit où j’étais né.

    Un jour où je me sentais mieux, je suis allé voir Samothès, un peu titubant, mais avec plus d’assurance que les dernières jours. Il m’a regardé et s’est levé pour m’accueillir. Je lui avais rarement vu un regard si inquiet. Galathée s’était éloignée pour nous laisser parler entre nous et je lui en avais été très reconnaissant. Durant les jours de ma maladie, je n’avais presque pas discuté avec mon cousin.

    -         Comment vas-tu ? M’a-t-il demandé.

    -         Mieux, ai-je répondu.

    -         Bien, tu nous as fait peur, tu sais.

    -         Nous ?

    -         Oui, Galathée et moi.

    -         Oui, c’est vrai.

    -         On ne s’est pas beaucoup parlé ces derniers temps.

    -         Oui, c’est sûr, mais j’aurais été incapable de m’exprimer correctement de toute façon.

    Je me suis levé et j’ai regardé les alentours. Je n’avais pas pu apprécier le paysage, jusqu’ici, je me suis retrouvé devant une rivière et au loin j’apercevais une colline qui étincelait du soleil couchant. C’était très beau à voir.

    -         C’est un beau paysage, n’est-ce pas ? A-t-il dit.

    -         Oui, c’est ce que je me disais. Le soleil fait étinceler cette eau.

    -         C’est vrai. C’est un bel endroit. Peut-être l’endroit idéal.

    -         L’endroit idéal pour quoi ?

    -         Pour créer mon peuple, ma ville. J’ai déjà trouvé un nom pour cette rivière.

    -         Déjà ?

    -         Oui, ça fait déjà trois jours qu’on est dans ces contrées tu sais. Les arbres y sont abondants, mais il y a beaucoup de plaines et la terre semble fertile. Créer une ville près d’une rivière, c’est l’idéal

    -         Je fais confiance à ton jugement, ai-je dit. Alors, comment vas-tu appeler cette rivière, et cette ville ?

    -         Je vais la baptiser Yonne, a-t-il répondu. En ce qui concerne la ville, je vais attendre qu’on soit installé pour lui donner un nom. J’espère juste que les gens se plairont ici.

    -         Je l’espère aussi, ai-je dit.

    J’ai visité les alentours, deux jours plus tard, m’imprégnant de l’endroit. Je suis même resté près de l’Yonne, comme l’avait baptisé, Samothès, pour l’observer. Regarder cette étendue d’eau m’apaisait et j’étais prêt, après cela, à me mettre à la construction de la nouvelle ville de Samothès. Les gens semblaient motivés, même s’il y avait parfois des heurts entre certaines personnes. La vie en communauté n’a rien de facile et on en arrive vite aux mains parfois.

    Au fil des mois, les maisons se construisaient rapidement près de l’Yonne. J’ai compris que les mois de froids étaient beaucoup plus rudes qu’à l’endroit où j’avais vécu et franchement, je n’ai apprécié que moyennement cette période. Je savais pourtant qu’il était nécessaire que je m’y habitue puisque j’allais certainement passer le reste de ma vie ici.

    Quand la ville a commencé à réellement prendre forme, Samothès a décidé de nous révéler le nom de notre ville. Il en était devenu le chef et personne ne contestait son autorité. Il nous avait emmenés plus loin que n’importe qui et même si certains avaient la conviction qu’il était fou, ils n’en disaient rien devant lui.

    -         Aujourd’hui, a-t-il commencé. Nous pouvons être fiers du travail que nous avons accomplis pour notre dieu qui nous observe. Nous avons crée notre ville, à la sueur de notre front et nous commençons à présent, une nouvelle vie. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à nommer cet endroit que nous avons battis de nos mains. Notre nouvelle ville s’appelle désormais Zenone. Puissions-nous y vivre en paix.

    Les gens se sont agités, la plupart en liesses, d’autres un peu moins. Le nom de la ville importait peu pour certains. Tout ce qu’ils voulaient, c’était être bien installés, vivre une vie tranquille et tout recommencer. C’était mon cas, d’une certainement manière. Cette ville allait certainement m’apporter ce que j’attendais : une nouvelle vie. J’ai regardé la rivière d’Yonne, alors que Samothès s’éloignait pour rejoindre sa femme et son bébé qui était né, il y a peu. Et je me suis mis à penser que moi aussi, j’aimerais avoir une famille à cet endroit. J’espérais y laisser ma descendance, comme le voulait certainement Samothès, dans cette ville nommée Zenone.

     


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