Chapitre 45

Kaoru me fixe d’un air très sérieux. Je sens qu’elle lutte contre le sommeil, mais elle se retient de fermer les yeux. De mon côté, je suis toujours agenouillé près d’elle, la canette de soda dans la main et le sac poubelle dans l’autre.

-       Quand on s’est rencontré, dit-elle, j’ai tout de suite pensé que tu ferais un bon personnage.

-       Je m’en souviens, dis-je en me redressant avant de prendre une chaise et de m’asseoir près d’elle.

-       Je n’ai pas changé d’avis. Tu as quelque chose de mélodramatique qui pousse les gens à t’apprécier. Tu es gentil, serviable et vraiment, vraiment très mignon, ce qui ne gâche rien.

-       Heu… merci, dis-je un peu mal à l’aise. Je ne sais pas trop comment je dois prendre le côté mélodramatique.

-       J’ai pas fait ça pour t’embêter, tu sais, dit-elle.

-       Pas fait quoi ? dis-je perdu.

-       Te critiquer comme je l’ai fait. Je suis désolée. Je voulais vraiment t’aider. Je voulais vraiment que tu réussisses et j’ai vraiment cru qu’en faisant ça, tu prendrais conscience de tes faiblesses et que tu les surmonterais. Mais, je m’y suis mal prise et aujourd’hui, tu m’en veux. Et ça me rend vraiment triste. Je ne voulais pas me fâcher avec toi. Je suis vraiment désolée.

-       Je sais, dis-je. Je suis désolé moi aussi. Parce que ça fait un moment que je t’ai pardonné, mais j’ai tardé pour te le dire. Ça fait longtemps que je ne t’en veux plus.

-       C’est vrai ? demande-t-elle en redressant la tête. Tu ne m’en veux plus ?

-       Non. Et j’espère qu’on pourra redevenir amis comme avant. Enfin… de mon côté, j’ai toujours pensé qu’on était devenus amis, alors si ce n’est pas le cas, je comprendrai.

-       Si, on est amis, dit-elle en prenant mes mains dans les siennes. Je suis contente que tu ne sois plus fâchée contre moi.

-       En tout cas, on a fait du bon travail, ce soir, non ? dis-je.

-       Oui, dit-elle.

-       Et on continuera dans cette voie.

-       Oui, merci pour ton soutien. Et donc… hésite-t-elle. Comment ça se passe de ton côté ? Je… ton manga a l’air de fonctionner maintenant. J’ai vu que tu avais pas mal de lecteurs et ton style a bien évolué. C’est passionnant à lire et je suis ta progression chaque jour. Par contre, je me garde bien de tout commentaire, au cas où. Je n’ai pas envie de recommencer et risquer que tu sois fâché pour de bon. Mais bon, tu me diras, il n’y a plus grand-chose à critiquer aujourd’hui, parce que tu t’es vraiment amélioré.

-       Alors, tu continues à lire ? demandais-je surpris.

-       Bien sûr, dit-elle. C’est normal, puisque… on est… amis ?

-       Oui, dis-je en souriant. Merci. Et donc… ça t’a vraiment plu ?

-       Oui, beaucoup. Je suis impressionnée, parce que tu t’es bien repris.

-       En fait… tu sais… c’est grâce à toi si j’en suis arrivé là. Finalement, ta petite expérience a porté ses fruits.

-       Comment ça ?

-       Eh bien, après que tu m’aies tout avoué, j’avoue que j’ai eu bien du mal à continuer. Je ne savais plus vraiment ce que je devais faire, ni où aller. J’ai douté un long moment, avant de me décider à demander conseil à quelqu’un. Alors… alors j’ai demandé à Daisuke de m’aider et il a accepté. Je pense qu’il l’a fait parce qu’il se sentait coupable de ne pas t’avoir empêché d’agir, mais au final, notre collaboration a porté ses fruits, je crois. Et tu sais, il est encore plus critique et dur que toi. D’ailleurs, c’est pas évident par moment, mais je m’accroche.

-       Tant mieux, dit Kaoru. Ça me fait plaisir. Daisuke est vraiment le meilleur choix que tu pouvais faire. C’est un excellent responsable éditorial. Enfin, s’il ne l’était pas, je n’en serais certainement pas où j’en suis aujourd’hui.

-       Bien sûr que si, parce que tu as du talent, dis-je. Tu es un excellent mangaka et un modèle pour moi. Tu m’as beaucoup appris et je pense que je n’en serais pas arrivé là, si tu n’avais pas été là. Travailler en ta compagnie, c’est un bonheur chaque jour, même si ce n’est pas facile tout le temps. Je suis content d’être tombé sur toi pour mon premier travail.

-       Me… merci, dit-elle en rougissant. Et toi, tu fais un excellent travail pour moi. Si Mashiro, Ken et toi, n’étiez pas là, je ne pourrais jamais rendre mes planches dans les délais et la qualité s’en ressentirait grandement. C’est un vrai travail d’équipe.

-       Oui, dis-je en souriant.

Elle me serre un peu plus fort les mains et son sourire me fait rougir malgré moi. Malgré la fatigue sur son visage, elle est vraiment très belle. Ses cheveux noirs sont en bataille, signe qu’elle n’a pas vraiment eu le temps de se coiffer, faute de temps mais je la trouve vraiment jolie comme ça. Je lâche une de ses mains, pour remettre l’une de ses mèches rebelles derrière son oreille. Elle rougit à son tour en détournant la tête et je me demande si…

-       Hum ! Je… je crois qu’il est temps que je rentre, dis-je en me levant brusquement afin de ne pas me faire trop d’illusions. Il est tard, et tu devrais aller te coucher. Je finirai de ranger demain.

-       D’accord, dit-elle. A demain ?

-       Oui, à demain.

Je m’empresse de sortir, alors que mon cœur bat plus vite qu’à la normale. J’ai toujours trouvé Kaoru attirante, ses yeux noirs m’ont toujours perturbé, mais j’ai toujours fait en sorte de passer outre mes sentiments. J’arrive toujours à me reprendre, parce qu’il le faut. Après tout, on travaille ensemble tous les jours, alors je ne peux pas être perturbé à chaque fois que je la vois, ce serait intenable. Mais là, je dois bien avouer qu’en étant aussi proche d’elle et surtout au moment où elle m’a pris les mains, j’ai eu bien du mal à rester stoïque.

J’ai eu une drôle d’impression à un moment, mais j’ai peur de m’être fait des idées. Elle ne m’a jamais vraiment montré que je l’attirais alors je ne vois pas pourquoi ce serait le cas aujourd’hui. Mais bon, elle m’a dit que j’étais vraiment, vraiment très mignon, alors ça veut dire que je ne lui suis pas indifférent non plus, mais sûrement pas au point qu’elle envisage une relation avec moi. Non, je ne dois pas me faire des films, Kaoru n’est qu’une amie, il est peu probable qu’il se passe quoi que ce soit entre nous.