• Chapitre 3

     

    Le fils du Cavalier

     

          Gabriel et David eurent soudain l’impression qu’on leur coupait la respiration. Avaient-ils bien compris le prénom que venait de leur donner le garçon ? Après plusieurs minutes de silence, Gabriel décida de sortir de sa léthargie.

    -         Tu n’as pas une impression de déjà vu ? demanda-t-il à David.

    -         Si.

    -         Il ne manquerait plus qu’il nous dise qu’il est ton fils.

    -         Bien sûr que non, je te l’ai déjà dit, s’emporta David. Tu vois bien qu’il ne me ressemble pas. Mais en parlant de ça, tu n’as vraiment rien remarqué ?

    -         Comment ça ?

    -         Tu es vraiment aveugle, Gabriel. Tu vieillis.

    -         Je t’interdis…

    -         Ce n’est pas le moment, le coupa David. Quel est ton nom de famille, Raphaël ?

    -         Gregor-Shiro, répondit le garçon.

          Le choc fut plus dur à encaisser cette fois, même s’il s’y attendait et David dut trouver une chaise afin de s’asseoir rapidement. Il prit sa tête entre ses mains.

    -         Mes doutes sont confirmés, dit David.

          Gabriel se tourna vers lui.

    -         Tu le savais ?

    -         Je n’en étais pas sûr, pourtant, ses yeux sont les mêmes.

    -         Alors, c’est bien son fils.

    -         Oui, ça m’en a tout l’air, s’exclama David. Cette couleur dorée, il n’en existe pas d’autre ailleurs. Je n’ai connu qu’une seule personne avec des yeux pareils. Ça ne pouvait pas être un hasard.

          Raphaël ne perdait pas une miette de ce que disaient les deux adultes. Ils avaient été en pleine réflexion depuis le début et Raphaël s’était beaucoup amusé à les regarder. Mais maintenant, il en avait assez de rester là à ne rien faire. Comme tout enfant qui se respecte, il avait besoin de bouger. Il alla jusqu’à la fenêtre et regarda à travers. Mais même sur la pointe des pieds, il ne voyait presque rien. Il avait hâte de grandir. David et Gabriel l’avaient regardé se déplacer, toujours abasourdi par la nouvelle qu’ils venaient d’apprendre.

    -         Tu crois qu’il s’est passé quelque chose ? demanda Gabriel.

    -         Oui, il m’a dit, quand il est arrivé chez moi, que sa mère était morte et que s’il se passait quelque chose, il devait venir me voir. Maintenant, je ne peux plus douter que c’est le fils de Samuel.

    -         Mais où est-il alors ? Il n’aurait sûrement pas laissé son fils vagabonder comme ça, non ?

    -         Bonne question. J’aimerai bien le savoir. Et tu as raison, il n’aurait jamais abandonné son enfant, j’en suis certain.

    -         Je comprends, répondit Gabriel. Ce que je me dis, c’est qu’avec ce qui se passe depuis quelques temps, il est possible que Samuel soit lui aussi…

    -         N’en dis pas plus, le coupa David.

    -         Je n’ai pas dit qu’il était mort, mais je pense que ce qui se passe en ce moment, a sûrement un rapport avec l’arrivée de cet enfant, ici. Je lui avais pourtant dit qu’il ne pourrait pas se cacher toute sa vie.

          David mit un moment à réagir à ce que venait de dire Gabriel. Et soudain, la colère commença à monter en lui.

    -         Comment ça, tu lui as dit qu’il ne pourrait pas se cacher toute sa vie ? s’écria-t-il. Tu savais où il se trouvait ?

          Gabriel recula. David pouvait être très effrayant quand il était en colère. Raphaël, lui aussi, avait sursauté au moment où David avait haussé la voix. Il le regardait à présent.

    -         Calme-toi, David, dit Gabriel.

    -         Comment je pourrais me calmer alors que tu savais où il était et que tu ne m’en as pas parlé. Tu m’as même dit d’abandonner, quand j’ai voulu le retrouver.

    -         Ecoute David, ce n’est pas le…

    -         Si au contraire, c’est le bon moment.

    -         Très bien, j’étais en effet au courant de l’endroit où se trouvait Samuel. Tu ne croyais tout de même pas qu’on l’aurait laissé partir comme ça ? Quand je l’ai revu, il y a sept ans, il m’a fait promettre de ne rien te dire. Mais, je peux t’assurer, qu’il ne m’a rien dit à propos de cet enfant.

    -         Pourquoi avoir fait une chose pareille ?

    -         Ce n’est pas à moi de te répondre. Maître Michel et moi n’avons pas insisté pour en savoir plus, mais nous avons veillé sur lui malgré tout.

    -         Maître Michel aussi ? demanda David un peu plus calme.

    -         Oui. Ecoute David, pourquoi s’inquiéter de ça, maintenant ? Le plus important, c’est ce garçon, tu ne crois pas ?

    -         Oui, tu as raison.

          David regardait Raphaël. Il ressemblait vraiment à Samuel, malgré ses traits japonais et ses cheveux foncés.

    -         Il faut que je retrouve Samuel, dit David.

    -         Et où vas-tu le chercher ? demanda Gabriel.

    -         Tu dois bien le savoir. A l’endroit où habite Raphaël, répondit David en regardant le général des anges. Je connais Samuel, il fera tout pour retrouver son fils.

    -         Oui, je crois en effet que c’est une bonne idée. Je vais…

    -         Tu ne feras rien.

    -         Mais…

    -         C’est moi qui vais m’en occuper. Moins, il y aura de monde impliqué, mieux ce sera. Nous ne pouvons pas nous permettre de lancer une recherche dans la situation actuelle.

          Gabriel sourit. David redevenait enfin lui-même. Il avait beaucoup mûri ces dernières années. Mais le général des anges savait qu’il y avait une seule blessure qui ne s’était pas encore refermée.

    -         C’est toi qui aurais dû prendre la tête de la Communauté, dit Gabriel.

    -         Oh non ! Toi, tu as l’étoffe d’un chef, tu es bien meilleur que moi. Dommage que tu n’aies pas été choisi.

    -         J’ai bien trop de travail avec l’armée.

    -         Oui, sans doute, dit David en souriant. Bien, ma mission commence maintenant.

    -         Et pour le garçon ?

    -         Je vais l’emmener chez ma mère. Tu viens ?

          Raphaël s’avança vers David. Il le regarda un moment et ils sortirent du bureau.

    -         Fais attention à toi, David, dit Gabriel. N’en fais pas trop.

    -         Merci. A plus tard.

          Alors qu’ils marchaient, Raphaël ne pouvait s’empêcher de dévisager David. Il était bien plus grand que son père et il avait quelque chose de plus solennel dans le regard. Il admirait sa prestance. Alors, c’était vraiment l’ami de son père ? Il ressemblait aux photos qui se trouvaient sur la cheminée. Il n’avait aucun doute. David tourna la tête vers lui.

    -         Ça ne va pas ? demanda l’adulte.

    -         Si, ça va, répondit Raphaël en détournant la tête visiblement impressionné.

    -         Bien. Quel âge as-tu ? demanda David alors qu’ils continuaient à marcher.

    -         Je vais avoir sept ans dans trois mois.

          Sept ans ? Dans trois mois ? David fit un rapide calcul dans sa tête. Cela correspondait au moment où il était parti. C’était impossible. Raphaël regarda David. Un voile de tristesse passa sur le visage de ce dernier. Il y avait comme une douleur intense qui se dégageait de son regard.

    -         Ça va, Monsieur ? demanda Raphaël.

    -         Oui, répondit David en essayant de sourire. Mais appelle-moi, David et non Monsieur.

    -         D’accord, répondit le garçon.

          Raphaël préféra ne rien demander de plus, voyant que David ne semblait pas en état de répondre. Ils arrivèrent devant une immense maison. Ils entrèrent à l’intérieur, mais à peine passaient-ils la porte, qu’une femme aux cheveux noirs et aux yeux bruns, prit David dans ses bras.

    -         Ah ! Tu passes enfin me voir, dit Samaëlle.

    -         Bonjour maman.

    -         Bjour’ ! dit une voix derrière eux.

    -         Salut Alexandre. Maman, s’il te plait, soupira David.

          Samaëlle lâcha son fils et c’est à ce moment qu’elle s’aperçut qu’il y avait quelqu’un près de David.

    -         David, qui est ce jeune garçon ? demanda sa mère.

    -         Allons, nous asseoir, je vais vous expliquer.

          Quand ils furent tous assis, Raphaël à côté de David dans le canapé, Samaëlle dans le fauteuil et Alexandre assis sur l’accoudoir, ils se regardèrent un moment avant que Samaëlle ne prenne la parole.

    -         C’est encore un fils caché ? demanda-t-elle.

    -         Impossible ! s’écria Alexandre. Je suis le seul et je n’ai jamais eu de frère et sœur.

    -         Maman, tu trouves vraiment qu’il me ressemble ?

    -         Non.

    -         Bien, ce n’est pas mon fils ou celui de Lucifer. Je me demande pourquoi vous croyez tous que Lucifer a toujours quelque chose à voir dans ce genre d’histoires.

          David regarda un moment Alexandre. Ce dernier s’était emporté bien vite quand elle lui avait demandé si c’était son fils. David sourit intérieurement. Il s’était beaucoup rapproché d’Alexandre ces dernières années. Même s’il ne pourrait jamais le considérer comme son fils, il avait vu en lui, un petit frère. Et ce « petit frère » semblait soudainement jaloux. Si la situation n’avait pas été si grave, il aurait même ri. Mais l’heure n’était pas à la plaisanterie.

    -         C’est le fils de Samuel, dit David.

    -         Pardon ? demanda Samaëlle.

    -         Comment est-ce possible ? fit Alexandre.

          David se lança dans une explication un peu vague. Ce n’était pas très clair, même pour lui. A la fin du récit, le silence s’installa dans le salon. Raphaël en avait marre d’entendre la même chose. Il n’aimait pas qu’on l’ignore, parlant de lui comme s’il n’était pas là.

    -         Alors, c’est son fils, dit Samaëlle abasourdie. C’est vrai qu’il y a un air de ressemblance, surtout sur la couleur des yeux. Et il est arrivé dans ton appartement ?

    -         Oui. Mais ne revenons pas là-dessus, dit David. En fait, je suis venu te voir pour savoir si tu pouvais t’en occuper.

    -         Tu ne peux pas t’en occuper ? Il est venu vers toi, non ?

    -         Je dois retrouver Samuel et je ne peux pas le laisser seul ou le faire venir avec moi.

    -         Je comprends, le problème… commença Samaëlle.

          Elle s’arrêta. Elle voyait bien que c’était important.

    -         Très bien, je vais m’en occuper, dit-elle.

    -         Merci maman.

          David se leva quand il entendit un petit bruit près de lui. Il regarda du côté de Raphaël qui s’était recroquevillé sur lui-même. A force d’entendre David, dire « maman », il repensait, lui-même à la sienne.

    -         Maman, dit-il doucement en pleure.

          Il s’approcha de Raphaël et se rassit à côté de lui. Il le prit doucement contre lui pour le réconforter. Il jeta un œil à sa mère, qui avait un regard triste et compatissant, puis son regard capta celui d’Alexandre. Le jeune homme avait un visage plus neutre, presque froid. Il se leva même de l’accoudoir sur lequel il était assis et sortit du salon. David et Samaëlle le regardèrent s’éloigner puis ils s’observèrent.

    -         Maman, dit David.

    -         Je sais.

          David s’éloigna doucement du garçon. Celui-ci s’était un peu calmé et David lui parla.

    -         Je vais te laisser ici, dit-il. Je vais aller chercher ton papa, d’accord ?

    -         Oui, répondit Raphaël secoué de sanglots.

          Samaëlle rejoignit Raphaël sur le canapé, tandis que David se levait pour partir.

    -         Bon, j’y vais.

    -         Fais attention à toi.

    -         Oui.

          David les observa un moment avant de sortir de la maison. Quand il fut dehors, il vit qu’Alexandre n’était pas parti très loin, finalement.

    -         Ca y’est, tu t’en vas, dit-il en se redressant.

    -         Oui.

    -         Laisse-moi t’accompagner.

    -         Non, tu ne peux pas venir.

    -         David, on ira plus vite à deux.

    -         Je ne peux pas te laisser m’accompagner.

    -         Pourquoi ? Donne-moi une raison !

    -         Il faut que tu restes.

    -         Ce n’est pas une bonne raison, dit Alexandre.

    -         C’est à moi de m’occuper de ça.

    -         Pour quelle raison ? Alors qu’on irait plus vite tous les deux.

          David soupira et s’approcha d’Alexandre. Celui-ci semblait vraiment déterminé à l’accompagner.

    -         Ecoute Alexandre, dit David. S’il te plait, je te demande de rester ici. Maman va avoir besoin de toi pour s’occuper de Raphaël.

    -         Mais…

    -         S’il te plait, le supplia David. J’ai besoin de toi, ici.

          Alexandre fronça les sourcils, puis son visage s’adoucit.

    -         Ok ! C’est d’accord.

    -         Merci.

          Le jeune homme détourna le regard. Il était irrité par l’attitude de David, à vouloir faire tout, tout seul.

    -         Pourquoi il faut toujours que tu sois comme ça ?

    -         Comment ça ?

    -         A vouloir t’occuper de tout, tout seul. Et puis…

    -         Je ne peux pas te faire courir de risque.

    -         Pourquoi ? Parce que je suis le fils de Lucifer ? Tu te sens obligé de me protéger ? Arrête de croire que je suis encore un gamin. Je vais bientôt avoir dix-neuf ans et…

    -         Je sais très bien l’âge que tu as, le coupa David. Et je ne pense pas que tu es trop jeune pour m’accompagner, mais ce n’est pas à toi de faire ça. Et si je veux te protéger, ce n’est pas parce que tu es le fils de Lucifer, mais parce que tu es une personne importante pour moi. J’aurais agi de la même manière avec n’importe qui.

          Alexandre rougit face aux aveux de David. Il ne l’avait jamais entendu exprimer ses sentiments aussi clairement depuis qu’il le connaissait.

    -         Désolé, dit simplement Alexandre.

    -         Pourquoi tu t’excuses ? Même si on a eu des débuts difficiles, on s’entend plutôt bien, maintenant, non ?

    -         Si.

    -         Alors, ne t’excuse pas. Mais dis-moi, est-ce que tu n’aurais pas ressenti une pointe de jalousie ?

    -         Qu’est-ce que tu racontes ? demanda Alexandre.

          David sourit. Alexandre savait qu’il avait raison. Il avait ressenti de la jalousie envers Raphaël tout simplement parce que David ne lui avait jamais montré autant d’attention quand il était plus jeune. Alexandre regarda David. Ce dernier arborait toujours un sourire amusé.

    -         Pourquoi tu souris comme ça ? demanda le jeune homme irrité.

    -         Tu es très mignon, rigola David.

    -         Ne te moque pas de moi.

          David ébouriffa les cheveux du jeune homme, puis il reprit un air sérieux, même s’il avait apprécié cette discussion avec Alexandre, il ne devait plus tarder pour retrouver Samuel.

    -         Alexandre, je peux compter sur toi, pour veiller sur Raphaël ?

    -         Oui, d’accord.

    -         Merci, j’y vais maintenant.

          Il commença à s’éloigner quand Alexandre lui parla avec qu’il ne s’éclipse.

    -         Fais attention à toi, dit-il. Et ramène-nous Samuel.

    -         Ne t’en fais pas pour ça, dit David en souriant.

          Il s’éclipsa, prêt à retrouver Samuel coûte que coûte.

     

     


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