• J’ai rêvé encore deux fois de Lucifer et Yaël mais ils ne m’ont pas apporté grand-chose de plus. Ils m’ont juste donné des conseils. Je viens d’avoir quinze et dans quelques mois, quand j’aurais obtenu mon diplôme, je pourrais sortir de la Communauté, enfin. Je ne sais pas encore ce que je vais faire après. Je sais que je vais m’orienter vers la médecine, parce que c’est mon destin, mais j’aimerais retourner dans le monde humain, aller au lycée et vivre une vie enfin normale. Mais je ne sais pas si Métatron m’en donnera la possibilité. Il a l’air d’avoir envie de me garder ici, sûrement parce que je suis Raphaël, l’ange guérisseur.

    -         Raphaël, tu vas où ? demande Samuel.

    -         Quelque part, répondis-je.

    -         Oui, mais où ?

    -         Ça ne te regarde pas, petit curieux. Je reviens vite.

    Il fait la tête, mais je n’ai pas envie de m’en préoccuper. Il fait ça à chaque fois que je ne lui réponds pas. En sortant, je croise Alexandre. Je l’observe un moment, mais il ne prend même pas la peine de me regarder. En ce moment, il est assez distant avec moi.

    -         Encore allé voir une fille ? demandais-je.

    -         Ne commence pas Raphaël, dit-il en entrant dans la maison.

    Il claque la porte et je me tourne pour la regarder, puis baisse la tête, un peu déçu par sa réaction. Je marche doucement, et je rencontre Asaliah en chemin. Elle a l’air de plutôt bonne humeur.

    -         Salut Raphaël ! dit-elle.

    -         Salut !

    -         Tu as l’air contrarié.

    -         Ce n’est rien, répondis-je.

    -         Pourtant tu as une tête de déterré, on dirait que tu t’es disputé avec quelqu’un. Alexandre ?

    -         Pas vraiment, répondis-je las.

    -         Tu veux en parler ? demande Asaliah en s’approchant de moi.

    -         Il n’y a rien à dire. Alexandre me fuit en ce moment, c’est tout. Il ne me parle presque plus et il est constamment parti à l’extérieur.

    Elle fronce les sourcils. Elle ne trouvera rien à redire de toute façon, c’est comme ça. Je l’observe un moment, elle est habillée comme si elle allait sortir. Une robe blanche, évasée, avec un décolleté assez prononcé. Elle est maquillée très discrètement, mais ça la rend assez séduisante. Ses cheveux blonds sont remontés en chignon.

    -         Tu sors ? demandais-je.

    -         Oui, à l’extérieur, j’ai un rendez-vous, dit-elle en souriant.

    -         Tu as de la chance.

    -         Ce sera bientôt ton tour, ne t’en fais pas.

    -         Oui, j’espère.

    -         Il n’y a pas de raison. Si tu veux bien m’excuser, je vais y aller.

    -         D’accord, à bientôt.

    -         A bientôt Raphaël.

    Elle s’éloigne et je la regarde un moment. Oui, elle a vraiment de la chance. En tout cas, je suis plutôt rassuré de la voir comme ça, sortir lui fait du bien. Quand David s’est sacrifié, elle a eu du mal à s’en remettre, elle en était amoureuse, j’en suis sûr. Je me rends au bâtiment du Conseil et je suis surpris que les alentours soient si calmes. J’hésite un moment avant d’entrer et de me diriger vers le bureau de Métatron. Il m’invite à entrer. Je reste un moment debout et je me demande si je ne devrais pas revenir plus tard. Il a l’air plutôt occupé, il n’a même pas levé le nez de son bureau.

    -         Bonsoir, dis-je.

    -         Bonsoir Raphaël ! Assieds-toi, je termine juste ce que je suis en train de faire.

    Je m’exécute et attends sagement qu’il ait terminé. Après quelques minutes, il range ses papiers et lève enfin la tête vers moi. Il a l’air fatigué et j’ai l’impression qu’il en a marre d’être là.

    -         Tu vas bien ? me demande-t-il.

    -         Ça va et toi? Tu m’as l’air fatigué.

    -         C’est vrai, j’ai eu beaucoup de travail aujourd’hui.

    Je ne réponds rien, il me sourit, mais j’ai l’impression qu’il s’excuse d’avoir trop de travail, pourtant ce n’est pas de sa faute. Il soupire discrètement, mais ça ne m’échappe pas. C’est étrange comme finalement nous sommes fragiles, seule notre âme semble assez forte pour résister au temps, mais sinon, nous sommes comme les humains, fragile physiquement. Métatron ferme les yeux et je me lève brusquement. Il ouvre les yeux et me regarde surpris. Je me suis précipité vers lui trop vite. Je pose ma main sur son front.

    -         Tu as de la fièvre, tu devrais rentrer, si tu ne veux pas que ton état empire.

    -         Tu as raison, c’est ce que je vais faire. Mais avant, tu es venu me voir pour quelque chose ?

    -         Heu… pas vraiment en fait.

    Et c’est vrai. Mes pas m’ont juste mené jusqu’à son bureau. Je suis venu pour rien, enfin si, pour le voir c’est tout. Je crois que je l’aime bien, il s’est toujours montré gentil avec moi.

    -         Tu vas bientôt pouvoir sortir à l’extérieur, dit-il d’un ton las.

    -         Ça t’embête, n’est-ce pas ?

    -         C’est vrai, dit-il en souriant. Je suis égoïste, je l’avoue. J’aimais bien nos sorties annuelles à l’extérieur.

    -         Moi aussi, dis-je. On pourra toujours continuer.

    -         Oui, c’est vrai.

    Il détourne le regard et j’ai l’impression que son esprit est parti ailleurs. Il est vraiment étrange aujourd’hui. Il se lève brusquement, me faisant reculer.

    -         Toi aussi, tu as plutôt l’air contrarié, dit-il. Tu veux en parler ?

    -         Non, pas aujourd’hui, répondis-je en baissant la tête. J’ai besoin de mettre de l’ordre dans mes idées avant.

    -         Comme tu veux. Et si nous y allions ? Comme tu l’as dit, j’ai besoin de repos.

    J’acquiesce et nous sortons de son bureau. Il m’accompagne jusqu’à la maison de Samaëlle et je me dis qu’il aurait mieux fait de rentrer directement chez lui. Il semble de plus en plus fatigué et quand il me laisse devant la porte, j’ai l’impression qu’il a vieilli d’un seul coup, il a le visage marqué par ses rides et ses yeux sont cernés.

    -         Tu devrais rentrer, dis-je.

    -         Oui, j’y vais. Bonne soirée Raphaël.

    -         Bonne soirée, Métatron.

    Il s’en va et je le regarde un moment jusqu’à ce qu’il disparaisse de ma vue. C’est vraiment bizarre, je n’aime pas trop le voir comme ça. J’ouvre la porte de la maison et tombe sur Samuel.

    -         Tu es encore là chenapan, dis-je à Samuel.

    -         Oui, je t’attendais.

    -         Et Anaëlle est avec toi ?

    -         Oui, elle est avec Samaëlle, elles discutent tous les deux et je m’ennuie.

    -         Alexandre n’est pas là ?

    -         Non, il est parti tout à l’heure.

    Je grimace, il est encore parti. J’ai vraiment l’impression qu’il me fuit, c’est vraiment bizarre. J’entre dans la maison, suivi de Samuel qui attend impatiemment que je joue avec lui.

     

    ***

     

    Aujourd’hui, j’ai enfin eu mon diplôme, mais je ne suis allé voir personne après l’avoir su, ni Samaëlle, ni Alexandre. J’irais plus tard leur annoncer la nouvelle, mais la personne que j’ai envie de voir maintenant, c’est Ryu. J’avance dans la grotte, il fait très sombre, plus que d’habitude, j’ai l’impression. J’arrive dans la cavité où se trouve habituellement Ryu, mais ne le vois pas. J’avance un peu plus loin et quand je vois ce qui est devant moi, je cours. Ryu est à terre, en humain et il semble souffrir, pourtant, il sourit en me voyant. Il me sourit et pourtant, il souffre. Je m’agenouille à côté de lui. Il est habillé tout de noir aujourd’hui.

    -         Ryu, ça va ? Tu as mal quelque part ?

    -         Raphaël, je suis content de te voir.

    -         Moi aussi, je voulais t’annoncer une nouvelle.

    -         Tu as eu ton diplôme, c’est ça ? C’était le grand jour. Samaëlle et Alexandre ont dû être contents pour toi, et Samuel et Anaëlle aussi, non ?

    -         Je ne leur ai rien dit pour l’instant, je voulais te voir avant.

    -         C’est gentil, dit-il en souriant de douleur.

    -         Ryu, qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux que je regarde ?

    -         Tu ne pourras rien faire, dit-il.

    -         Quoi ? Pourquoi ? Tu veux que j’aille chercher Michaël ?

    -         Non, il ne pourra rien faire non plus.

    -         Mais…

    -         C’est le grand jour, dit-il en se redressant. J’ai attendu en humain que tu viennes et maintenant, c’est bon, tu es là.

    -         Quoi ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a, Ryu ? Je ne comprends rien.

    -         Je vais mourir Raphaël, c’est mon jour.

    -         Mais non, tu…

    Soudain, il se retransforme en dragon et je me cale contre lui. Il respire difficilement et je vois quelque chose à terre, je le ramasse, une dent de dragon et une écaille qu’il vient de perdre.

    -         C’est pour toi, dit-il, pour te souvenir.

    -         Mais tu ne peux pas mourir, dis-je à la limite de pleurer.

    -         C’est mon heure, Raphaël, c’est ainsi. Merci d’avoir été mon ami et d’avoir gardé mon secret. J’espère que tu ne m’oublieras pas et que tu feras le bon choix.

    J’écarquille les yeux et le regarde. Il a fermé les yeux et peu à peu, sa respiration se fait plus lente, jusqu’à s’éteindre complètement. J’entends des bruits de pas derrière moi, alors que le corps de Ryu disparait en fumée. Alexandre est là, il me regarde froidement, puis détourne le regard, une fois le dragon disparu. Je tombe à genoux, incapable de rester debout. Je ne me sens pas bien, mes yeux se ferment et je comprends que je m’évanouis.

     

    ***

     

    « Un rêve, je suis dans un rêve. Vais-je encore voir Yaël et Lucifer ? Ça fait un moment que je ne leur ai pas parlé. Mais ai-je envie de parler à quelqu’un ? Ryu est mort, j’ai du mal à le croire.

    -         Il l’est, dit une voix.

    Je reconnais la voix de Lucifer. Et soudain, comme d’habitude, je me retrouve dans un jardin, ils sont assis devant la table de jardin et je vais les rejoindre. Je traîne un peu les pieds et m’assois finalement. Ils sont habillés en costume noir et j’ai l’impression que c’est pour porter le deuil.

    -         Oui, c’est vrai, dit Yaël. Nous sommes attristés par la mort de Ryu.

    -         Comment est-ce que ça peut être vrai, il était là depuis toujours, dis-je. Comment se fait-il qu’il soit mort aujourd’hui ?

    -         Parce que le monde change, dit Lucifer. Tu sais, j’en ai un peu marre de me répéter.

    -         Mais, c’est complètement dingue, dis-je désespéré. Pourquoi ce serait à moi de décider ? Il y a des tas de gens sur cette planète.

    -         Oui, c’est vrai, ça aurait pu être n’importe qui, dit Yaël.

    -         Pas du tout, dit Lucifer.

    Yaël lui lance un regard mauvais. Je crois qu’il n’aime pas quand il est aussi franc. D’un autre côté, ça ne sert à rien de me ménager.

    -         Tu vois, dit Lucifer, ça ne sert à rien de le ménager, alors cesse de faire cette tête, Yaël.

    -         C’est perturbant que vous lisiez dans mes pensées.

    -         Pourtant, c’est comme si tu parlais à voix haute, dit Lucifer en faisant apparaitre un verre de je ne sais quoi.

    -         Je te rassure, ce n’est pas de l’alcool, dit-il. Mais puisqu’on est dans un rêve, je peux bien faire apparaitre ce que je veux.

    -         C’est vrai, alors pourquoi, puisque c’est mon rêve, je ne peux pas le contrôler ?

    -         Eh bien, vas-y, tu peux faire apparaitre ce que tu veux.

    Je me concentre et je soudain, je vois apparaitre un grand verre de Coca. Ah oui, ça marche en effet.

    -         On dévie du sujet, dit Yaël.

    -         C’est vrai, dit Lucifer en reprenant son sérieux. Tu as été choisi, parce que tu es le seul proche des trois mondes.

    -         Mais, il n’y a personne d’autre ? demandais-je avec espoir.

    -         Oublie l’espoir, tu es le seul. Dans les autres Communauté, les anges n’ont pas fauté avec des humains, et n’ont pas constamment changé de camp, alors oublie. Tu es le seul.

    Je soupire. C’est vraiment nul, mais si je n’ai pas le choix…

    -         En effet, tu ne l’as pas.

    -         Lucifer, dit Yaël sur un ton de reproche.

    -         Il faut le mettre face à la réalité, sinon, il n’y arrivera jamais.

    -         Mais, tu n’as aucune délicatesse.

    -         C’est vrai et ça m’est égal.

    Yaël soupire et je préfère ne pas m’en mêler. Je les observe un moment, ils s’entendent plutôt bien malgré ce qui s’est passé. Yaël sourit tristement et Lucifer détourne le regard.

    -         Pas la peine de dire ça, dit Lucifer avec une pointe d’exaspération dans la voix.

    -         Si vous ne lisiez pas dans mes pensées, vous ne le sauriez même pas.

    -         Bon, est-ce qu’au moins, tu as compris, ce qu’on veut te dire ? Tu es le seul à pouvoir choisir, c’est comme ça.

    -         J’ai compris.

    Je pose ma tête sur la table, mes bras faisant offices d’oreiller. J’aimerai que tout ceci ne soit vraiment qu’un rêve, mais ça me parait trop réel pour que ce soit le cas. Quand je vais me réveiller, je serais face à la réalité. Ryu est mort et je ne peux rien y faire. Je me cache pour que Yaël et Lucifer ne me voient pas et je sens la main… de Yaël ? Qui me touche les cheveux pour me réconforter. Je crois qu’il est temps que je me réveille, ça vaut mieux.

    -         Prends-soin de toi, dit Yaël.

    -         Merci, répondis-je avant de partir. »

     

    J’ouvre les yeux et je m’aperçois que d’une, je suis dans mon lit, de deux que j’ai l’impression d’avoir quelqu’un près de moi et de trois et c’est la chose la plus désagréable, que j’ai pleuré durant mon sommeil. Pourtant, dans mon rêve, je n’ai pas pleuré, mais je pense que c’est mon inconscient qui l’a fait. Je me redresse et constate que c’est Samuel qui se trouve à côté de moi, endormi. Mais la personne que je ne soupçonnais pas, c’est Alexandre assis sur le bord du lit. Est-ce qu’il a attendu tout ce temps que je me réveille ? Et d’ailleurs quelle heure, est-il ? Je regarde la pendule, il est déjà tard, presque dix-neuf heures, je suis allé voir Ryu dans l’après-midi.

    -         Est-ce que ça va ? demande Alexandre.

    -         Non, répondis-je franchement.

    -         Je comprends.

    -         Ryu est…

    -         Je sais, dit-il en détournant le regard. Michaël y est allé. Il ne pensait pas que ce serait si tôt.

    -         Il savait ?

    -         Oui.

    Je baisse la tête, alors finalement, il y avait au moins quelqu’un qui savait. Je serre les draps autour de moi. J’aurai dû le voir, mais qu’aurais-je fait ? Il n’y avait rien à faire, comme m’avait dit Ryu, un jour il devait mourir, c’était inévitable. Mais j’aurais préféré plus tard pour ne pas que je me trouve dans une situation aussi délicate, mais en pensant ça, je me fais l’effet d’être égoïste.

    -         On a eu peur quand on t’a vu t’évanouir.

    -         Ah oui ? Tu as eu peur ?

    -         Je ne m’attendais pas à ce que tu t’écroules comme ça.

    -         Je m’en doute. Mais, ce n’est rien, j’ai l’habitude.

    Je relève la tête et il m’observe les sourcils froncés, se demandant ce que je veux dire par là. Je n’aime même pas envie de lui expliquer, si c’est pour qu’il me dise de faire attention, je n’ai pas envie d’entendre ça de sa part et surtout maintenant.

    -         Il était inquiet, dit-il en désignant Samuel. Il voulait rester avec toi. Il a fait une telle comédie qu’on a fini par céder.

    -         Ah !

    -         Il t’aime beaucoup.

    -         Je sais, je l’aime beaucoup aussi.

    -         Mais il n’est pas…

    -         Je sais, le coupais-je agacé, c’est lui qui vient vers moi, je ne me vois pas le repousser.

    -         Je comprends.

    -         Je n’en suis pas si sûr.

    Je le regarde dans les yeux. Il n’a pas l’air de comprendre, pourtant, vu son attitude, il devrait savoir de quoi je parle. Je soupire, ça ne sert à rien. C’est bizarre, il n’était pas comme ça avant, ou plutôt il n’est pas comme ça avec les autres, juste avec moi. Il met une distance entre nous et pourtant, il s’oblige à s’occuper de moi. Il a une attitude très contradictoire. Les draps se froissent et Samuel commence à se réveiller. Il se redresse brusquement, les yeux à moitié ouvert. Il jette un œil de mon côté et brusquement, il me saute dans les bras.

    -         Onii-san, ça va ?

    -         Oui, ne t’en fais pas.

    -         Vrai ?

    -         Oui, dis-je en souriant. Merci d’être resté avec moi.

    Alexandre nous regarde, un peu contrarié, puis se lève avant de sortir de la pièce en silence. Samuel le suit du regard, puis se tourne vers moi.

    -         Il s’est beaucoup inquiété, dit-il. Vraiment beaucoup.

    -         Ah oui ?

    -         Oui, il a même paniqué. C’était bizarre à voir.

    -         C’est plutôt étonnant de sa part, mais si tu le dis.


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