• Chapitre 4

     

    RAPHAEL

     

    On est coincés à la maison. David vient de partir et je le soupçonne de partir pour autre chose. Quel jour on est ? Qu’est-ce qui pourrait l’inciter à partir comme ça ? Je crois que je me pose trop de questions. Il commence à se faire tard et aucun d’eux ne rentre, Arthur et moi en avons profité pour réviser un peu nos partiels et je suis tombé sur le fascicule concernant le stage de vacances de pâques. Je le regarde discrètement, mais je me fais griller illico. Arthur a relevé la tête vers moi et semble regarder la couverture.

     

    -C’est… heu…

     

    -Je peux voir ? Demande-t-il.

     

    -Oui, dis-je en lui tendant le bout de papier.

     

    Pourquoi je me sens aussi gêné alors qu’il s’intéresse simplement à ce que je vais faire ? Je replonge tant bien que mal sur mes cours d’histoire, mais je n’arrive pas à me concentrer. Arthur scrute de ses yeux bleus, non ils virent au gris en cet instant, le fascicule, avant de me le tendre à nouveau.

     

    -Ca m’a l’air intéressant. Tu as de la chance de pouvoir aller sur le terrain, dit-il avec sérieux.

     

    -Heu… oui, dis-je. C’est l’avantage de faire des études en archéologie, pourtant, ce n’est pas si facile. Ca débouche sur peu d’emplois, j’ai de la chance que Monsieur Lance me soutienne dans mes études. C’est un professeur réputé.

     

    -Oui, tu as de la chance, répète Arthur. Ton père avait l’air déçu que tu ne choisisses pas une filière plus littéraire.

     

    -Tous les parents voudraient que leurs enfants suivent la même trace. Mais, ça ne m’intéresse pas vraiment. Quoi que je m’intéresse à ce que tu peux écrire. Tu passes du temps devant tes cahiers et ton ordi. Je ne te vois pas de la soirée, parfois. Tu écrivais en fait, c’est ça ?

     

    -Oui, dit-il gêné.

     

    -C’est vraiment dommage que tu ne veuilles pas faire lire ce que tu écris à quelqu’un, c’est un bon moyen de savoir ce que tu vaux.

     

    -Mais, j’en ai pas envie, répond sèchement Arthur.

     

    -Ok ! Ok ! Je n’insiste pas. Tu avais pourtant l’air de vouloir me faire lire ta lettre la dernière fois.

     

    -Ne reviens pas là-dessus, c’était un coup de folie passager. Laisse-tomber.

     

    Je ne dis rien et je crois qu’il ne vaut mieux pas insister plus. Il est en train de se fermer comme une huître et je n’ai pas envie de passer la même soirée que la veille. Je ne pensais pas qu’Arthur était quelqu’un qui se vexait aussi rapidement. Il n’a pas l’air d’aimer qu’on insiste. Il est mal tombé avec moi, je suis plutôt curieux, j’ai hérité ça de mon père, malheureusement. C’est sans doute pour ça que j’aime l’archéologie, j’essaie de découvrir les secrets du monde, le passé de notre terre, la personnalité d’Arthur.

     

    Je reprends la lecture de mes notes, jetant des regards à Arthur de temps en temps. En fait, je n’ai toujours pas donné ma décision à Monsieur Lance, mais je vais sans doute accepter. Arthur m’a dit hier qu’il allait peut-être rentrer chez lui, mais j’aimerais en avoir la certitude et j’ai envie de savoir si c’est le cas.

     

    -Tu… tu rentras chez ton père, alors ? Demandais-je hésitant.

     

    -Peut-être ou pas, dit Arthur sans lever les yeux de ses notes. Je pensais aussi à aller voir mon oncle en Angleterre, ça ferait moins loin.

     

    -C’est sûr. C’est celui qui est banquier, c’est ça ? Ashley ? Celui qui est venu quand tu as emménagé avec moi ?

     

    -Oui, dit-il. Il est très proche de mon père.

     

    -Il est très impressionnant aussi. J’ai cru qu’il allait me bouffer la première fois qu’il est venu à la maison. A croire que l’appartement ne lui convenait pas.

     

    -Il voulait savoir si tout irait bien pour moi, explique Arthur en relevant la tête vers moi.

     

    -Et ?

     

    -Il a vu que tu étais quelqu’un de bien, tu n’as pas à t’inquiéter, il ne te fera pas la peau.

     

    Il me sourit et je constate qu’il se détend enfin. Du coup, sa bonne humeur est contagieuse et je me détends moi aussi. J’entends la porte s’ouvrir et mon père et David entrent en même temps. Je fronce les sourcils, surpris de les voir aussi synchro, alors qu’ils n’étaient pas au même endroit. Je vois David avec des papiers à la main et je suis plutôt surpris que ça lui ait pris autant de temps. Quelque chose me parait bizarre, soudain, mon père a l’air un peu débraillé et David, eh bien… Non, ils n’auraient pas ? Non, je ne veux pas savoir, l’image est trop cruelle pour mon cerveau. Ils entrent dans le salon, comme des bienheureux.

     

    -Ca vous dit un restau, les jeunes ? Demande David.

     

    -On fête quelque chose ? Demandais-je avec suspicion.

     

    -Non, mais si tu ne veux pas, on peut rester là.

     

    -Non, non, dis-je. C’est trop rare quand on y va, je prends. Je pense qu’Arthur est d’accord avec moi.

     

    -Alors, c’est parti, les jeunes.

     

    Les jeunes, il parle comme un vieux. Mais, c’est qu’il l’est après tout, même s’il ne fait pas vraiment son âge, je dois l’avouer. Bruns, yeux bleus, grand avec du charme, il se fait souvent draguer dans la rue et mon père fait souvent les gros yeux, jaloux comme pas deux. C’est parfois amusant à voir, parce que David n’en a strictement rien à faire des autres, il n’a d’yeux que pour mon père. Je regarde Arthur, qui a l’air amusé par l’expression de David et après avoir rangé nos cours, nous sommes partis pour déguster un bon repas au restaurant.

     

    *******

     

    -Alors ce week-end ? Demande Sébastien.

     

    -Il s’est plutôt bien passé, répondis-je tout en regardant Arthur pour qu’il confirme mes dires.

     

    -J’aurais bien voulu être là, se plaint Anaïs qui est affalé dans un des fauteuils de notre bar préféré.

     

    Arthur et moi n’avons pu dire non à une énième invitation. Nous sommes dimanche, je commence pourtant tôt demain, mais Anaïs a insisté comme une forcenée pour qu’on se voie. Alors, je suis là, à boire mon verre de coca, évitant l’alcool pour rester frais pour mon cours de demain, surtout que j’ai Monsieur Lance en toute première heure. Il n’aimerait pas que je vienne saoul à son cours, je pense et je n’ai pas envie de me faire remarquer, surtout que je tiens à faire ce stage. J’ai décidé de lui donner ma réponse demain.

     

    -Tu connais déjà Auxois, je fais remarquer à Anaïs.

     

    -Oui, mais il y avait Arthur, on aurait pu lui faire visiter la ville ensemble.

     

    -J’ai rien demandé, moi, dit Sébastien en sirotant son cocktail.

     

    Elle lui jette un regard noir, puis reporte son attention sur Arthur, qui semble particulièrement gêné par la proximité avec ma meilleure amie.

     

    -De toute façon, ajoute Sébastien, nous ne pouvions pas rentrer ce week-end, nos parents sont partis en voyage et ils ne nous auraient pas laissé la maison, alors autant rester sur Paris.

     

    J’acquiesce, mais cela n’a pas l’air de plaire à Anaïs, qui s’enfonce encore plus dans son siège.

     

    -La prochaine fois, on ira tout ensemble.

     

    -Si tu veux, dis-je sans la regarder.

     

    Je souris à une fille qui passe à côté de nous, brune aux yeux bleus, qui me drague littéralement du regard, ou alors, je me fais des idées. Je ne la quitte pas des yeux, alors qu’elle s’assoit au bar avec des amis. Je crois que je l’ai déjà vue à la fac, elle est dans le même cours d’histoire de l’art qu’Arthur, il me semble. Je vois soudain des doigts claquer devant moi et je grogne d’exaspération.

     

    -On est toujours là, dit Anaïs. Tu pourrais être plus discret.

     

    -Pourquoi ? Demandais-je en haussant les épaules. Je suis célibataire, il n’y a pas de mal à ça, non ? Je fais encore ce que je veux.

     

    -C’est sûr. Et Stéphanie ?

     

    -Elle a fini de me harceler, répondis-je tout en regardant la jeune fille au bar. Ca fait une semaine que je n’ai plus de nouvelles.

     

    -Je ne t’avais pas dit de ne pas sortir avec elle ? Fait remarquer Anaïs. Elle a mauvaise réputation.

     

    -Mais elle était gentille… au départ, ajoutais-je en tournant la tête vers mes amis. Jusqu’à ce qu’elle me suive partout et fouille mon portable et ma boite mail. Après, c’est devenu l’enfer.

     

    -Bien fait, tu n’avais qu’à m’écouter.

     

    -J’aurais dû en effet.

     

    -Mais là, on est entre amis, ne drague pas à tout va, dit Anaïs.

     

    -Pourquoi pas ? C’est pas parce que t’arrive pas à te trouver de mec, que tu dois empêcher les autres de draguer. En plus, c’est pas en passant tout ton temps avec ton frère que tu y arriveras. Et ça vaut aussi pour toi, vieux, dis-je en m’adressant à Sébastien. Vous faites fuir tous vos prétendants.

     

    -C’est pas faux, dit Sébastien.

     

    Anaïs ne dit rien, mais a l’air vexée, pourtant, je sais qu’elle ne restera pas fâcher très longtemps. Je regarde Arthur, qui n’a rien dit jusque-là, il n’a même pas touché à son verre. Il regarde résolument la table et j’ai l’impression qu’il est mal à l’aise. Mon regard se porte ensuite, vers la jeune fille au bar, qui n’arrête pas de me regarder, elle aussi. Je me lève soudainement.

     

    -M’attendez pas, dis-je.

     

    -Tu vas pas nous laisser, dit Anaïs.

     

    -Vous êtes grands, vous avez pas besoin de moi.

     

    -Mais, on devait passer une soirée tranquille entre amis.

     

    -C’est bon, je reviens dans pas longtemps.

     

    Je m’éclipse rapidement, me dirigeant vers la fille à qui je demande son nom et son numéro de téléphone. Elle a l’air ravie de ma démarche et griffonne sur un bout de papier ce que je lui ai demandé. Alice, c’est son nom. Je lui souris avant de retourner vers mes amis, qui ne semblent pas ravis de me revoir. Surtout Arthur qui serre son verre à s’en blanchir les jointures. Il n’a pas l’air content d’être là.

     

    -Si on rentrait ? Demandais-je à Arthur. Il est tard et je commence tôt.

     

    -Il est à peine dix heures, dit Anaïs.

     

    -Oui, mais je me lève tôt. On y va Arthur ?

     

    Il se lève sans un mot et mes amis font de même. Nous nous quittons sur le trottoir du bar et je rentre en silence avec un Arthur visiblement énervé et mal à l’aise. Est-ce que j’aurais fait quelque chose de mal ?

     

    *******

     

    -Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Demandais-je à Arthur alors que venons d’entrer dans l’appartement.

     

    -Rien, dit-il sèchement.

     

    -Tu m’as fait la gueule tout le long du chemin. Qu’est-ce que j’ai fait de mal.

     

    -Rien, dit-il encore plus sèchement.

     

    -Bon, quand tu voudras bien m’expliquer, tu me feras signe. Je vais prendre une douche.

     

    Je passe à côté de lui, énervé moi aussi. Bon sang, mais qu’est-ce qu’il a à la fin ? Pourquoi il fait la tête, je ne lui ai pas manqué de respect, enfin, je crois. Une fois dans la douche, je réfléchis à la soirée. Qu’est-ce qui a bien pu le vexer de la sorte ? Je repense à Alice et je me demande si ça ne l’a pas gêné que j’aille la draguer en le laissant tout seul, enfin pas totalement tout seul, puisqu’il était avec Anaïs et Sébastien. Mais à bien y penser, il ne voulait pas sortir et j’ai insisté. Quel idiot, je fais. Il ne voulait pas venir au bar et il s’est senti obligé et qu’est-ce que je fais ? Je le laisse tomber pour aller aborder la première fille venue. Je comprends qu’il soit en colère, même si j’ai bien le droit de vivre ma vie. Parfois, j’ai du mal à le comprendre et ce n’est pas un problème de barrière de langue. Je sors de la salle de bains, mal à l’aise. Arthur est assis devant son ordinateur et tapote dessus à une vitesse hallucinante. Je m’assois à côté de lui et prends mon air de chien battu, mais qui est vrai quoiqu’on en puisse penser.

     

    -Je suis désolé, dis-je. Je t’ai forcé à venir et je t’ai laissé tomber après.

     

    -Laisse tomber, dit Arthur toujours aussi sèchement.

     

    -Si, je suis désolé. Je suis un gros nul. Parfois, je ne fais attention à rien.

     

    -C’est le moins que l’on puisse dire. Je t’avais dit que je ne voulais pas venir et tu m’as laissé tomber, mais c’est pas grave. Je sais très bien que ton célibat te pèse et c’est vrai qu’elle est jolie.

     

    -Mais, c’était pas une raison. Pardon Arthur, il faut me le dire quand je suis lourd, je ne m’en rends pas toujours compte. Tu es gentil, peut-être trop, il ne faut pas hésiter à me remettre à ma place et à te mettre en colère, si c’est le cas. Je comprendrais.

     

    -Oui, je n’y manquerai pas.

     

    -Bien, alors, je vais me coucher. Je dois me lever tôt et je travaille dans l’après-midi. Bonne nuit, Arthur.

     

    -Bonne nuit, Raphaël.

     

    Je lui jette un dernier coup d’œil. Il n’a pas levé une seule fois les yeux de son ordi et je me demande comment il a fait pour m’écouter tout en tapant sur les touches du clavier. Je l’envie, je ne suis pas aussi rapide que lui, même si je me débrouille quand même.

     

    Le lendemain, je me réveille difficilement, je n’ai pas beaucoup dormi, repensant à la soirée de la veille et la colère d’Arthur. Il est vraiment très sensible, même si je comprends son ressentiment envers moi. Je m’habille doucement, l’heure tourne et je devrais déjà être parti. Je jette un coup d’œil à mon portable et augmente la cadence. Sorti de la chambre, j’enfile rapidement ma veste, mes chaussures et prends mes cours. Je jette un coup d’œil à la porte d’Arthur qui est fermée. Je l’ai entendu se coucher vers deux heures du matin. Je crois qu’il a écrit toute la nuit. Son ordinateur trône sur la table, fermé. Parfois, j’ai envie de l’ouvrir, de regarder ce qu’il fait, mais je me retiens. Ce n’est pas bien de fouiller dans les affaires des autres et c’est justement ça que je reprochais à Steph, il ne manquerait plus que je devienne comme elle. De plus, Arthur est un ami, je ne peux pas lui faire ça.

     

    Je sors de l’appartement, essayant de faire le moins de bruit possible pour ne pas le réveiller. Je descends vite fait les escaliers et cours comme un dératé pour attraper mon bus. Je ne suis pas en avance, mais ça devrait le faire. Mon portable vibre et je me demande qui peut m’appeler à cette heure-ci. Je suis surpris de voir le numéro d’Arthur.

     

    -Oui ? Demandais-je un peu inquiet qu’il m’appelle.

     

    -Je crois que tu as oublié quelque chose, dit-il.

     

    -Quoi ? Comment ça ? Tu ne dormais pas ?

     

    -Je viens de me lever et j’ai remarqué que tu avais oublié une pochette, c’était pas ton devoir d’archéo ?

     

    Je regarde mes affaires et constate avec horreur qu’il a raison. C’est bien le devoir que j’ai à rendre à Monsieur Lance. Pas sûr qu’il accepte que je lui rende plus tard et ça fera vraiment mauvais genre après la proposition de stage qu’il m’a fait. Je ne sais pas quoi faire, je n’ai pas le temps de rentrer à la maison, sinon, je serais en retard. Mais, si je ne le rends pas… Je ne sais pas ce qui est le pire.

     

    -Raphaël, tu es toujours là ?

     

    -Oui, dis-je plus mort que vif. Je suis dans le bus, je n’ai pas le temps de revenir. Tant pis, je verrais.

     

    -Mais, tu as Lance, non ?

     

    -Tant pis, si je viens en retard, il ne m’acceptera pas en cours.

     

    -Bon, si je me dépêche, je pourrais peut-être te l’apporter. Il y a un bus qui doit passer et de toute façon, je suis déjà à l’arrêt.

     

    -Sérieux ? Demandais-je. Tu me sauves la vie, t’es vraiment génial, Arthur, alors que moi, je suis un pauvre idiot.

     

    -Ouais, bon, dit-il d’un ton gêné. On se rejoint devant la fac.

     

    -D’accord, à tout de suite. Merci Arthur.

     

    -De rien.

     

    Je regarde autour de moi, tout le monde a profité de ma conversation, c’est chouette, les bus bondés, mais je dois avouer que je ne regrette pas d’avoir répondu, malgré les regards assassins de certains passagers qui me collent plus qu’il ne faudrait. Après trois arrêts interminables, j’arrive enfin à la fac. J’ai encore quelques minutes, espérons que le bus qu’a pris Arthur prenne un chemin rapide et n’ait pas de retard.

     

    Je regarde mon portable sans arrêt. Vite, vite, je vois déjà des étudiants de mon cours se précipiter dans le hall pour rejoindre l’amphi. Je suis stressé, j’aimerais courir au devant du bus, mais je sais que ça ne servirait à rien. Après trois minutes interminables, je vois arriver Arthur avec soulagement, mon dossier bleu à la main, et je remarque avec surprise qu’il est habillé et rasé de près comme s’il avait eu le temps de se préparer. Il me tend mon dossier, détournant les yeux, comme si c’était lui qui était en retard.

     

    -T’es super Arthur, merci. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi. Dire que tu t’es déplacé pour moi, t’es vraiment un ami.

     

    -Oui, j’en suis un, dit-il avec un accent plus prononcé que d’habitude. Je ne voulais pas que tu sois embarrassé.

     

    -Tu me sauves la vie. Ecoute, je dois y aller, je vais vraiment être en retard. Tu as le temps de passer me voir au boulot, tout à l’heure ?

     

    -Heu… oui, si tu veux, dit-il en haussant un sourcil interrogatif.

     

    -Super, à tout à l’heure. Merci encore, Arthur, dis-je en m’éloignant de lui en courant.

     

    J’entre dans la fac et j’arrive, soulagé, dans l’amphi. Il faut vraiment que je me fasse pardonner, Arthur est vraiment un gars génial. Je lui mène la vie dure, le pauvre et ça ne fait qu’un mois qu’on se connait. Je ne sais pas ce qu’il pense de moi, mais à force, il risque de ne plus me supporter.

     

    *******

     

    Monsieur Lance me regarde bizarrement, c’est vraiment très étrange. Lorsque je lui ai rendu mon devoir, il y a quelques jours, je lui ai confirmé que j’allais bien participer au stage et il en a été ravi, mais aujourd’hui, je ne sais pas. Il a l’air d’être de mauvaise humeur et j’ai l’impression que son regard ne s’adresse qu’à moi. De toute façon, je crois que ce n’est pas ma semaine. Arthur est muet depuis un moment et je ne sais pas pourquoi. Il a l’air contrarié, range sans cesse l’appartement. Il cherche quelque chose, mais ne le retrouve pas apparemment, et ça commence à mettre une mauvaise ambiance à la maison. Je lui ai proposé plusieurs fois mon aide, mais il a refusé à chaque fois.

     

    La fin du cours arrive et je prends mon temps, si je cours le premier vers la sortie, je suis sûr de me faire repérer.

     

    -N’oubliez pas de venir récupérer vos devoirs, dit-il alors que tout le monde se lève.

     

    Raté, je vais devoir passer par lui, de toute façon. J’avance dans la masse, essayant de me faire discret. C’est un peu bête ce que je fais, je n’ai rien à me reprocher, enfin, je crois. Il ne me semble pas lui avoir fait de tort, ou alors, je ne m’en suis pas aperçu. Au moment de prendre ma copie, il ne me la tend pas.

     

    -J’aimerais vous parler, Monsieur Gregor, s’il vous plait. Vous avez deux minutes à m’accorder ?

     

    -Heu… oui.

     

    Je me mets en retrait, pour laisser passer les autres étudiants. Il m’a appelé « Monsieur Gregor » et non, Raphaël. Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas alors. C’est pas vrai, qu’est-ce que j’ai bien pu faire qui ait pu le mettre en colère ? Je m’en souviendrais quand même ? Ou alors, il n’a pas apprécié mon devoir et il veut revenir sur sa décision concernant le stage. Ca craint. Il ne reste plus que deux étudiants, qui partent trop vites à mon goût. Je me retrouve seul avec Monsieur Lance, on est vendredi soir et je n’ai plus cours, donc pas d’excuse. Ca me fait un peu peur, je dois l’avouer. Monsieur Lance se tourne vers moi, ses yeux noirs me scrutant attentivement.

     

    -Quelque chose ne va pas, Monsieur ? Demandais-je.

     

    -Raphaël, j’ai trouvé une chose étrange entre les pages de votre dissertation, dit-il doucement.

     

    -Une chose étrange ? De quel genre ?

     

    -Du genre, lettre d’amour.

     

    -Pardon ? Demandais-je en manquant de m’étrangler.

     

    Il ne dit rien et me tend le bout de papier que je commence à lire :

     

    « Mon ange viendra, enfin.

     

    Comme un ange indécis, il apparaitre ou disparaitra de ma vie, je ne pourrai rien faire, sauf l’attendre. Prier, moi qui ne prie jamais. Me taire. Lui appartenir, un peu, puis le laisser repartir… »

     

    Je n’en lis pas plus parce que Monsieur Lance me regarde. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? D’où est-ce que ça vient ? Je réfléchis un moment, sachant très bien que mon prof n’attendra pas cent sept ans. Et soudain, je comprends.

     

    -Attendez Monsieur, dis-je gêné. Ce n’est pas à moi. En fait, mon colocataire écrit durant son temps libre, il est possible que j’aie pris son texte par erreur en prenant mes papiers.

     

    -Une erreur ? Demande-t-il en levant les sourcils.

     

    -Oui, dis-je en le regardant délibérément dans les yeux pour qu’il me croie. Vous pensez vraiment que j’aurai pu écrire une chose pareille ? Ce n’est pas mon style d’écriture.

     

    -C’est vrai, dit-il. Quand je vois la façon dont vous écrivez vos devoirs, je pense que je peux vous croire. En tout cas, votre ami a beaucoup de talent, il est étudiant en littérature ?

     

    -Non, histoire de l’art.

     

    -Comment s’appelle-t-il, si ce n’est pas indiscret ?

     

    -Arthur Barnett.

     

    -Barnett ? Comme Thomas Barnett ou les banques Barnett ?

     

    -Heu… oui, dis-je un peu gêné.

     

    -Je vois. Son père est un écrivain célèbre et il vient d’une famille aisée. Il a beaucoup de chance. Et en plus, il a du talent.

     

    -C’est ce que je pense aussi, même si je n’ai jamais vraiment lu ce qu’il a écrit. Il ne veut pas qu’on le lise. Il est du genre timide.

     

    -Dommage, dit Monsieur Lance son visage montrant qu’il est sincère. Vous permettez que je confie ce texte à un de mes collègues, je suis sûr qu’il en fera une excellente critique. Même si je ne suis pas expert en la matière, je dois reconnaitre que votre ami sait écrire.

     

    -Ah ! Mais, je ne sais pas, ce n’est pas mon texte, il va être furieux si je l’ai donné à quelqu’un sans qu’il le sache.

     

    -Il sait que vous l’avez pris ?

     

    -Non, c’était un hasard, je n’aurais jamais glissé ça dans un devoir, c’est déplacé. Je suis désolé.

     

    Il ne dit rien et je comprends qu’il n’a pas pris au sérieux cette lettre, heureusement. D’après le peu que j’ai lu, il aurait pu croire que j’étais amoureux de lui, d’autres l’auraient cru, mais pas Monsieur Lance, il n’est pas comme ça, enfin, je crois. Ou alors, il cache bien son jeu. Je regarde la feuille dans ma main. Ce devait être ça qu’il voulait me faire lire la dernière fois, je comprends qu’il n’ait pas osé. Je tends la feuille à Monsieur Lance, peu certain de ma décision.

     

    -Vous me la rendrez vite ?

     

    -Au prochain cours, dit Monsieur Lance.

     

    -D’accord.

     

    Il prend la lettre et la plie soigneusement, avant de me tendre enfin mon devoir.

     

    -Votre devoir était excellent, malgré les fautes d’orthographes et de syntaxes, dit-il en souriant. J’espère que vous êtes prêt pour le stage.

     

    -Oui, j’ai hâte d’y être, dis-je avec enthousiasme.

     

    -Bien, vous êtes dans une bonne configuration. Je ne vous retiens pas plus longtemps.

     

    -Merci, Monsieur. Bonne soirée.

     

    -Bonne soirée, Raphaël.

     

    Je le quitte avec un sentiment mitigé. Je suis content pour mon devoir, mais je me demande si je n’ai pas fait une bêtise en confiant le texte d’Arthur sans lui en parler. Il l’a cherché toute la semaine. J’espère qu’il ne va pas comprendre que c’est moi qui l’avais, ou plutôt mon prof. Je sors de la fac et m’aperçois qu’Arthur m’attend devant la grille. C’est vrai qu’on a pris cette habitude. J’espère que mon visage ne montre pas un air trop coupable.

     

    -Ca va ? Lui demandais-je alors que nous allons jusqu’à l’arrêt de bus.

     

    -Oui, dit-il.

     

    -Tu… Tu as retrouvé ce que tu cherchais ? Demandais-je en sachant que ce n’est pas le cas.

     

    -Non, dit-il, contrarié.

     

    -C’était quoi, exactement ?

     

    Il ne dit rien. Décidemment, il n’est pas prêt à cracher le morceau.

     

    -Arthur ?

     

    -Un texte, dit-il finalement. Que j’avais imprimé.

     

    -Mais, tu ne l’as pas sauvegardé ?

     

    -Si, dit-il, bien entendu, mais je n’aime pas trop que ce que j’écris traine dans la nature.

     

    -Des fois que je tombe dessus, dis-je amer.

     

    -Je n’ai pas dit ça.

     

    -Mais, tu l’as pensé. Tu ne veux pas que je lise ce que tu écris, donc ça t’embête d’avoir perdu ce texte. Tu as peur que je le lise, si je le trouve.

     

    Il ne dit rien et je comprends que c’est exactement ça. Il a écrit une lettre d’amour et ça le gêne, alors pourquoi l’avoir fait ? C’est intriguant quand même. Nous montons dans le bus et pour une fois, il n’y a pas grand monde, même si nous restons debout tout le long du chemin. Arthur reste silencieux, ne me regardant pas. Moi, je le scrute du regard, attendant qu’il ne m’ignore plus. Je sais que ça l’agace quand je le regarde comme ça, mais c’est le seul moyen pour qu’il ne me laisse pas de côté. Nous sortons du bus et prenons le chemin de l’appartement.

     

    -Alors, tu comptes faire quoi pour les vacances ? Demandais-je.

     

    -Comme tu pars, je vais passer quelques jours chez mon oncle.

     

    -C’est bien. Je ne suis jamais allé en Angleterre, ça me plairait.

     

    -Il pleut souvent, ce n’est pas l’endroit que je préfère, dit-il en baissant la tête. Je n’y ai pas forcément de bons souvenirs.

     

    -Ah ! Dis-je en repensant à l’histoire qu’il m’a racontée sur lui. Tu préfères les Bahamas, il fait toujours beau là-bas.

     

    -Plus qu’ici, dit-il. Mais, oui, c’est chez moi là-bas, là où je me sens bien.

     

    -Et ici ?

     

    -Ici ? Demande-t-il.

     

    -Tu te sens bien ici ?

     

    -Oui, Paris est une belle ville.

     

    -Ce n’est pas ce que je voulais dire, Arthur, dis-je en m’arrêtant juste devant l’immeuble. Est-ce que tu te sens bien avec moi ?

     

    -Oui, dit-il sans me regarder.

     

    Je ne sais pas si je dois le croire ou non. C’est très étrange. Il n’a pas l’air d’être très sûr, en tout cas. J’avoue que ça me donne un pincement au cœur. S’il ne sent pas chez lui, ici, alors c’est que je ne suis pas un très bon colocataire. Nous montons à l’appartement et chacun se met dans son coin, Arthur devant son ordinateur et moi, devant la télévision. J’espère que les choses vont changer, je n’ai pas envie que l’on vive ensemble dans les mêmes conditions, si ça ne lui plait pas.


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