• Chapitre 5

     

    RAPHAEL

     

    -C’est quoi ça ? Demande Arthur.

     

    -Pardon ? J’ai pas bien compris, dis-je en relevant la tête.

     

    Il a parlé tellement vite, qu’il a mangé la moitié de ses mots et avec son accent, ça m’a fait l’effet d’un charabia non maitrisé. Je regarde ce qu’il me tend et il le jette soudain sur la table, au milieu de la multitude de livres et de feuilles de cours qui traînent devant moi.

     

    -Ce sont des feuilles de papier, dis-je. Ecrites, si j’en juge les traces noires.

     

    -Me prends pas pour un con, Raphaël, dit Arthur en s’asseyant avec agacement devant moi. Je sais très bien que ce sont des feuilles de papier. Ce que j’aimerais savoir c’est comment elles se sont retrouvées dans le bureau de mon prof d’histoire de l’art.

     

    -Je ne sais pas, dis-je en baissant la tête sur mes cours.

     

    Je sens que mon heure est venue. Je regarde vaguement la liasse de papier avec les mots d’Arthur et je sais que je ne vais pas couper à l’explication.

     

    -T’as une tête de coupable, alors maintenant, dis-moi comment mon texte s’est retrouvé à la fac.

     

    -Tu vas rire, j’en suis sûr, dis-je avec un sourire gêné.

     

    Mais, il ne sourit pas et je rentre la tête dans mes épaules, penaud. Je commence à lui raconter ce qui s’est passé, il m’écoute avec attention, avec un calme olympien. Le calme avant la tempête ? J’en ai bien l’impression. Je m’arrête au moment où je confie son texte à Monsieur Lance.

     

    -Il devait me la rendre, mais j’ai oublié de lui redemander.

     

    -Alors, tu veux dire que tu as pris mon texte sans le vouloir, mais que tu as juste oublié de le demander à ton prof ? Tu as oublié ?

     

    -Heu… oui, dis-je en détournant les yeux.

     

    -Je t’avais dit que je ne voulais pas qu’on le lise et toi tu lui as confié délibérément. Il a fait le tour des profs de la fac, et il a atterri chez mon professeur d’histoire de l’art, tu crois que je me suis senti comment en le découvrant ?

     

    -Trahi ? Dis-je avec hésitation.

     

    -Exactement.

     

    -Et ils en ont pensé quoi ?

     

    -Tu crois vraiment que je vais te le dire ? Tu as trahi ma confiance. Bon sang, dit-il en se levant. Tu crois vraiment que j’avais envie que quelqu’un lise ça, et toi, tu l’as lu ? Hein ? Tu as bien du te marrer en la lisant. J’ai honte.

     

    -Non, je t’assure que je ne l’ai pas lu… enfin, juste les trois premières lignes.

     

    -C’est pas vrai, dit Arthur, t’es vraiment trop con, Raphaël.

     

    -C’est… une lettre d’amour, n’est-ce pas ?

     

    -Et alors ? Tu crois que j’avais envie qu’on lise ça, tu comprends vraiment rien, Raphaël. T’as rien compris.

     

    -Mais…

     

    -Laisse tomber, je pars demain pour l’Angleterre, ça me fera du bien d’être ailleurs, qu’ici.

     

    Il tourne en rond, énervé, puis va s’enfermer dans la chambre en claquant la porte. Je reste abasourdi, coincé dans la même position, surpris par la réaction d’Arthur. Je ne pensais pas que ça le toucherait autant. Je range doucement mes cours, mes livres, ne faisant pas de bruit, même si je sais qu’il ne m’entend pas. Il a besoin de s’éloigner, je le comprends.

     

    J’ai peur qu’il ne me fasse plus confiance et je ne serais pas surpris que ce soit le cas. Après tout, je l’ai mérité, je savais que je faisais le mauvais choix, mais je l’ai fait quand même. Je pensais sûrement qu’Arthur me pardonnerait s’il avait une bonne critique de son texte, mais au final, ça ne s’est pas passé comme dans mes pensées. Je suis vraiment nul, pourtant Monsieur Lance était persuadé que c’était un bon texte, je ne comprends pas ce qui s’est passé. Qu’est-ce que je n’ai pas compris ? Mon téléphone sonne et je mets du temps à trouver la bonne touche. Je n’ai pas envie de répondre, mais c’est mon père, il veut sûrement me parler, avant mon départ sur le site de fouille.

     

    -Oui ? Dis-je penaud.

     

    -Raphaël, tu vas bien ? Demande mon père.

     

    Ces derniers temps, c’est rare que je l’aie au téléphone. Il demande souvent à David de m’appeler, comme s’il allait tomber sur Arthur. Il est toujours aussi distant, même si je sais que David calme le jeu.

     

    -Oui, oui.

     

    -Ca n’a pas l’air.

     

    -Si, si, ça va, dis-je en fixant un point au loin.

     

    -Raphaël, je te connais, il se passe quelque chose, dis-moi ce qui ne va pas fiston. C’est à cause d’Arthur, il s’est passé quelque chose ? Raphaël, répond-moi.

     

    -Juste une dispute, lui avouais-je.

     

    -A propos de quoi ?

     

    -D’une bêtise que j’ai faite. Mais, c’est rien. On peut parler d’autre chose ?

     

    -Si tu veux, dit mon père avec réticence. Alors, tu es prêt à partir ?

     

    -Oui, j’ai hâte d’y être. J’attends ça depuis longtemps.

     

    -Bien. Tu m’appelleras quand tu seras arrivé ?

     

    -Oui, dis-je, bien sûr. Papa, je vais te laisser.

     

    -D’accord. Raphaël, tu es sûr que ça va aller ?

     

    -Oui, oui. Ca va passer. Je t’appelle quand j’arrive. A bientôt, papa.

     

    -A bientôt, Raphaël.

     

    Je raccroche et repose mon téléphone portable sur la table. Cette dernière est bien rangée, maintenant et je me lève, comme un automate avant d’aller m’enfermer dans ma chambre, moi aussi. Je m’écroule sur mon lit, mal à l’aise triste, épuisé et dépité. Je ne m’attendais vraiment pas à ça. Arthur dans la chambre d’à côté doit me détester à l’heure qu’il est, il doit pester contre moi de ma trahison. Je me sens mal, très mal, je suis un sal con, il a raison. Je n’ai pas d’excuses.

     

    *******

     

    Je suis mal à l’aise aujourd’hui, d’habitude, j’arrive à mon fondre dans la masse, je suis plutôt du genre à aller vers les gens mais pas aujourd’hui. J’ai quitté un Arthur fâché ce matin qui ne m’a pas adressé une seule fois la parole durant le petit-déjeuner. Je l’ai vu quitter l’appartement avec sa valise, sans un mot. J’ai un creux dans l’estomac et je me suis senti si mal que j’ai failli rebrousser chemin. Je suis au milieu des autres étudiants et au loin, je reconnais Stéphanie, qui elle aussi est dans le même cursus que moi et je sens que le voyage ne va pas aussi être agréable que je le pensais.

     

    Je rejoins des camarades d’amphi, eux aussi, choisis pour l’occasion et je suis content de pouvoir m’éloigner le plus possible de mon ex. Je jette un œil à mon téléphone. J’ai demandé à Arthur de m’envoyer un message quand il arrive, mais d’une, il est sûrement trop tôt et de deux, eh bien, je pense que je peux rêver. Monsieur Lance arrive vers notre groupe et je me mets un peu en retrait. Je ne sais pas si j’ai envie de lui parler pour l’instant. Il m’observe quelques secondes, mais je ne le regarde pas. Nous montons dans le train, qui doit nous mener au site de fouille, dans un lieu au fin fond de la Bourgogne. Moi, qui croyais que j’y habitais déjà, j’ai trouvé plus campagnard que ma vieille ville d’Auxois.

     

    Assis dans le train, près de la fenêtre, j’écoute de la musique avec mon téléphone, ignorant les conversations de mes voisins. Monsieur Lance passe et repasse à côté de nous, comme s’il attendait que je lui parle, mais je n’en ai pas envie, pas pour l’instant. Je finis par me lever, pour aller aux toilettes et c’est après ma sortie, qu’il choisit ce moment pour me coincer. Il avait prévu son coup.

     

    -Raphaël, ça n’a pas l’air d’aller, aujourd’hui.

     

    -Ca va, Monsieur, dis-je.

     

    J’essaie de passer pour retourner à ma place, mais il me bloque la route ce qui m’exaspère un peu et il a l’air de le remarquer. Il recule légèrement, mais je n’avance plus. C’est peut-être le moment de crever l’abcès, de dire ce que je pense de ce qu’il a fait.

     

    -Vous avez l’air en colère contre moi et je crois deviner pourquoi.

     

    -Vraiment ? Demandais-je.

     

    -C’est à propos de Monsieur Barnett ?

     

    -Je vous avais dit qu’il ne voulait pas qu’on le lise, je n’aurais jamais dû vous le confier. Vous ne deviez le faire lire qu’à un seul professeur.

     

    -Je m’en excuse, son texte m’a échappé, mais il a été très apprécié, d’ailleurs on lui a proposé de le présenter à un concours littéraire, mais son professeur d’histoire de l’art m’a dit qu’il avait refusé.

     

    -Ah oui ? Demandais-je un peu surpris.

     

    -Oui, il ne s’attendait pas à son refus, j’ai l’impression.

     

    -Et moi, j’ai eu droit à une scène, dis-je détournant en la tête. Il m’en veut de vous avoir confié son texte et il est parti fâché.

     

    -Je suis désolé pour vous, Raphaël. Ce n’est pas ce que je voulais. En tout cas, c’est dommage pour votre ami, il a vraiment du talent.

     

    -J’aimerais bien le convaincre, mais, il ne veut rien entendre.

     

    -Avez-vous lu son texte ?

     

    -Non, pas encore, je n’ai pas osé.

     

    -C’est dommage, dit Monsieur Lance avec sincérité. Ecoutez, il ne faut pas que cette histoire vous mine, ce qui compte aujourd’hui, c’est votre stage, vous aurez bien le temps de penser à vous réconcilier avec votre ami à votre retour. Et puis, ça vous fera bien de penser à autre chose, non ?

     

    -Sans doute, dis-je en passant à côté de lui. J’espère que vous avez raison.

     

    Il ne dit rien et je retourne à ma place, replaçant mes oreillettes sur mes oreilles et écoutant  Green Day en boucle. C’est vrai que je n’ai pas lu son texte, je ne peux juger de rien et je dois l’avouer, quand je l’ai vu sur la table, je l’ai pris avec moi, tout en sachant qu’il ne serait toujours pas d’accord pour que je le lise. Je n’y ai pas touché, le cachant des mes affaires, attendant le bon moment pour y jeter un œil. Mais pour l’instant, je n’ose pas, j’ai peur de le trahir encore plus. Ce texte est une lettre d’amour et je n’y comprends rien d’après lui. Est-ce que je comprendrais quand je la lirai ? J’ai peur de connaître la vérité, j’ai peur, mais j’ai envie de savoir, ma curiosité me perdra.

     

    *******

     

    Nous sommes arrivés près du site et surtout à notre logement. Je partage une chambre avec un gars que je connais, heureusement. Julien, blond aux yeux bleus, un peu lourd parfois sur les bords, mais gentil garçon quand il veut. J’ai posé mes affaires sans ménagement, toujours sous le coup de l’émotion. Je sais que je devrais faire comme Monsieur Lance a dit, mettre toute cette histoire de côté, et me concentrer sur mon stage, mais ce n’est pas si facile. Arthur ne m’a pas répondu et je lui ai déjà envoyé au moins trois messages depuis ce matin.

     

    -Raphaël, tu viens ? Demande Julien.

     

    -Ouais, deux secondes, je dois passer un coup de fil avant, j’arrive.

     

    -Dépêche, sinon Monsieur Lance va grogner.

     

    -Faut que j’appelle mon père, sinon, c’est lui qui va grogner, dis-je avec un sourire.

     

    -Un vrai fils à papa, dit Julien en passant la porte.

     

    -Je t’emmerde, dis-je à haute voix pour qu’il entende bien.

     

    Il me fait un geste de la main, pour me signifier qu’il s’en fiche complètement. Ce n’était pas méchant, je le sais, c’est sa façon de me taquiner. C’est vrai qu’appeler son père pour le prévenir qu’on est bien arrivé, à mon âge, ça fait ringard. Mais, je sais que sans ça, mon père paniquerait pour un rien, même si David essaie de le rassurer que tout ira bien. Il faut dire qu’il a testé une fois, lors d’un voyage de classe qu’il avait organisé pour ses élèves. Il n’a pas appelé quand il est arrivé et il s’est fait passer une soufflante par mon père, le soir même. Je m’en souviens encore, c’est pour dire. Je prends donc mon téléphone et clique sur le nom de papa dans le répertoire. Il décroche illico, quelque chose me dit qu’il n’attendait que mon coup de fil.

     

    -Raphaël, tu es bien arrivé ? Demande-t-il.

     

    -Oui, bien arrivé.

     

    -Le voyage s’est bien passé ?

     

    -Oui, très bien, ce n’est pas comme si ce n’était pas à deux heures d’Auxois. La Bourgogne est vaste, papa, mais pas à ce point-là.

     

    -Je sais que je m’inquiète trop, mais…

     

    -Je sais papa.

     

    -Tu as commencé les fouilles ?

     

    -Non, ça ne fait pas longtemps qu’on est arrivé. On a pris nos chambres et là, on va aller voir le site de fouille. D’ailleurs, je vais devoir te laisser, parce que sinon, ils vont m’attendre.

     

    -D’accord. Passe un bon séjour, mon fils. Tu me rappelles dans la semaine ?

     

    -Oui, promis. A bientôt, papa. Embrasse David pour moi.

     

    -Je n’y manquerai pas. A bientôt, Raphaël.

     

    Je raccroche et m’empresse de sortir de la chambre. En cours de route, j’essaie le numéro d’Arthur, me souvenant soudainement, que je ne peux pas appeler l’international avec mon téléphone et que de ce fait, il n’a sûrement pas reçu mes messages. C’est sans doute pour ça que je n’ai toujours pas d’accusé réception. Tant pis, j’imagine que je devrai attendre son retour pour m’expliquer avec lui et m’excuser surtout.

     

    Je rejoins le groupe et je constate que je suis le dernier. Je fais un signe d’excuse à Monsieur Lance, rougissant légèrement avant de suivre le groupe jusqu’au bus qui nous emmène au site de fouille qui se trouve à une dizaine de minutes de notre logement. Une fois arrivés, c’est l’effervescence qui prend le groupe tout entier. Tous sont comme moi, même Stéphanie, aussi impatient de commencer, d’apprendre. Nous nous trouvons près d’Alise-Saint-Reine, l’ancienne ville appelée autrefois Alésia, nous allons y faire des fouilles pour trouver des vestiges gaulois et romain. C’est tout à fait la période de l’histoire qui me plait, en dehors de la Grèce Antique. J’aimerais aller en Grèce pour faire des fouilles, mais c’est extrêmement difficile d’accéder au métier d’archéologue pur et dur et c’est pourtant, ce que j’ai envie de faire.

     

    -Bien, demain, nous commencerons les fouilles. Vous vous répartirez en groupe de deux, répartis sur l’ensemble du site. Vous serez suivi par un membre de l’association de recherche d’Alésia qui vous expliquera ce que vous devez faire. Je vais donc laisser un de mes confrères vous montrer le site de fouille et vous présenter les membres.

     

    Monsieur Lance laisse la place à son confrère et je suis surpris de le voir aussi à l’aise, dans son élément. Notre professeur est heureux comme un poisson dans l’eau, c’est incroyable de le voir comme ça. Même en cours, il n’est pas comme ça, même si on voit que son métier lui plait. C’est sans doute nous voir, assis le cul sur une chaise qui doit le dégouter le plus. Il préfère être sur le terrain, ça se voit. Nous avançons faisant le tour de l’endroit le plus incroyable que j’ai jamais vu. Des dizaines de personnes sont accroupis, à genoux, presque allongés à terre, à déterrer des trésors de l’antiquité. Je les envie et demain, ce sera fait, je vais enfin pouvoir réaliser mon rêve. D’un seul coup, tous mes soucis se sont envolés et je n’ai envie de penser qu’à l’archéologie et mon enthousiasme doit se voir car Monsieur Lance vient me voir, souriant.

     

    -Alors, ça vous plait ? Demande-t-il.

     

    -Oui, beaucoup, j’attendais ça, depuis longtemps.

     

    -Ca se voit.

     

    -Vous aussi, vous avez l’air d’apprécier.

     

    -Oui, le terrain me manque, dit-il avec nostalgie. J’ai choisi le métier de professeur pour rester proche de ma famille, mais j’aurais préféré continuer à voyager, trouver des trésors, c’est ça qui me plait.

     

    -Je vous comprends.

     

    -Je sais, dit-il avec un énième sourire. Mais, je profite de ces moments quand j’emmène mes élèves en stage.

     

    Je ne pensais pas qu’il se confierait aussi facilement, car il est plutôt du genre sévère et réservé durant ses cours. Mais là, on dirait un autre homme et j’aimerais bien en découvrir un peu plus sur ce mystérieux professeur. Nous retournons près du groupe qui nous avait presque semés et continuons la visite du site.

     

    *******

     

    Le lendemain, je me réveille difficilement. Il faut dire que je me suis couché tard, trop excité à l’idée de ce qu’il allait se passer aujourd’hui. Je prends un douche pour me réveiller, mon voisin de chambrée dort encore, il n’a pas arrêté de ronfler de la nuit, ce n’était pas difficile de l’entendre puisque je n’arrivais pas à dormir. Je sors de la salle de bains, bien réveillé et rejoins la salle du petit-déjeuner après avoir réveillé Julien.

     

    -Je faisais un super rêve, dit-il alors que je sors de la chambre.

     

    -Ca je n’en doute pas, dis-je. Mais, si tu ne te dépêches pas, pas de petit-déjeuner et on partira sans toi.

     

    -Ouais, c’est bon tes menaces, tu peux te les mettre où je pense, dit-il en se redressant les yeux toujours fermés.

     

    -Je ne te menace pas, mais on verra si Monsieur Lance sera du même avis.

     

    Il grogne un peu plus et je sais que j’ai touché un point sensible. Il sait qu’il ne vaut mieux pas mettre notre professeur d’archéologie de mauvaise humeur. Je vais dans la salle, me sers un verre de jus d’orange et prends un pain au chocolat et un yaourt au buffet avant de me trouver une place tranquille au fond de la salle. J’aime être tranquille le matin, même si Arthur n’est pas du genre à me déranger quand on prend le petit-déjeuner. Il est même plutôt discret, trempant sont pain au chocolat dans son thé, ce que je trouve particulièrement bizarre, mais bon. Il a des petites habitudes comme ça, que j’ai du mal à comprendre, mais que je trouve plutôt mignonnes quand même, quand je me rappelle qu’il n’est pas français, mais anglais.

     

    Arthur, il ne m’a même pas appelé, alors que je suis sûr qu’il est bien arrivé à l’heure qu’il est. Je ne pensais pas qu’il m’en voudrait à ce point, qu’il me ferait la gueule pour un stupide texte. Non, pas stupide, je ne devrais pas penser ça. Il y tenait, c’est pour ça qu’il ne voulait pas qu’on le lise, et moi je l’ai jeté en pâture aux critiques. Et malgré les éloges qui lui ont été faites, il n’en démord pas. Je l’ai toujours au fond de ma valise et je n’ose toujours pas le lire.

     

    -Bonjour, Raphaël, dit Monsieur Lance en approchant avec un plateau bien rempli.

     

    -Bonjour Monsieur, dis-je sans le regarder.

     

    -Je peux m’asseoir ?

     

    -Heu… comme vous voulez.

     

    Ca me gêne un peu qu’il s’assoie en face de moi. Pourquoi ne va-t-il pas voir ses collègues, il serait certainement en meilleure compagnie. J’ai l’impression qu’il a envie de me parler, ou alors, je lui fais pitié à rester tout seul dans mon coin. Je regarde vaguement la salle, m’apercevant au passage que Stéphanie regarde dans ma direction et qu’elle chuchote sûrement des choses méchantes à mon égard. Ca la fait bien rire de me voir avec un prof, mais ça m’est égal, ce n’est pas moi qui me comporte comme un gamin.

     

    -Vous avez l’air perdu dans vos pensées, c’est encore Monsieur Barnett qui vous préoccupe ?

     

    -Hein ? Non, enfin, pas vraiment.

     

    Comment a-t-il pu deviner que c’est Arthur qui occupait mes pensées ? C’est très déstabilisant et je n’arrive pas à reconnaitre le professeur que je vois en cours d’habitude. Il est souriant, attentif, à l’aise, tout le contraire de moi, en cet instant.

     

    -J’essaie pourtant de faire comme vous m’avez dit, continuais-je. J’essaie de me concentrer sur mon stage, mais ce n’est pas évident.

     

    -Une fois que vous serez dans le feu de l’action, ça devrait aller, dit-il.

     

    -J’espère que vous avez raison.

     

    Nous continuons notre petit-déjeuner en silence, j’ai l’impression qu’il a compris que je n’avais pas très envie de parler pour le moment. Mon pain au chocolat a un goût amer et ce n’est pas à cause de la recette, je n’arrête pas de penser à Arthur et j’ai envie qu’il me réponde, qu’il m’appelle, mais il ne le fait pas et ça m’angoisse.

     

    Un peu plus tard, nous partons enfin pour le site. J’ai l’impression que Monsieur Lance ne me quitte pas des yeux, comme s’il était vraiment inquiet pour moi et peut-être l’est-il réellement, mais pourquoi moi, je ne comprends pas ? Est-ce qu’il se sent aussi coupable que moi d’avoir laissé le texte à un de ses collègues ? Essaie-t-il de se faire pardonner en se montrant gentil avec moi ? J’ai l’impression que ce n’est pas son genre et qu’il y a autre chose derrière tout ça, mais je n’ai pas spécialement envie de savoir quoi pour le moment.

     

    Monsieur Lance nous explique comment la journée va se dérouler. Je me retrouve avec Julien, mon camarade de chambre, en binôme et nous héritons de Monsieur Lance comme mentor, j’ai l’impression que ce n’est pas un hasard.

     

    -Je croyais qu’on devait être suivi par un membre de l’association, se plaint Julien. Monsieur Lance… c’est notre prof.

     

    -Oui, je suis votre professeur, dit Monsieur Lance derrière lui, le faisant sursauter. Mais, je suis également un membre de l’association. Et ne vous en faites pas Monsieur Shepard, je suis assez qualifié pour vous enseigner.

     

    Je souris devant l’air serein de Monsieur Lance et celui horrifié de Julien, qui n’a pas l’air d’apprécier de se coltiner une fois de plus notre professeur. Je pense qu’il aurait préféré la belle blonde, un peu plus loin, qui s’occupe du binôme de Stéphanie. Cette dernière, prise dans le feu de l’action, m’a complètement oublié, à mon plus grand bonheur. Je vais pouvoir être tranquille un moment, je pense. Au moins, jusqu’au déjeuner.

     

    Nous commençons les fouilles, nous retrouvant dans un coin du site, où se trouvent en particulier de vieilles pierres. Monsieur Lance nous explique la marche à suivre et nous commençons. Durant toute la matinée, entre explications et mise en œuvre, nous n’avons pas le temps de nous ennuyer et je dois avouer que Monsieur Lance prend son rôle très au sérieux. Julien, qui au départ, n’était pas très heureux d’être tombé sur notre professeur, semble ravi, à présent, buvant ses paroles pour ne pas en louper une miette.

     

    Au moment du déjeuner, je me mets un peu à l’écart, comme ce matin. Je ne sais pas pourquoi, moi qui d’habitude aime le contact avec les gens. Mais, ici, je me sens apaisé, il fait beau, et l’endroit me rappelle ma ville d’Auxois et ses alentours. J’apprécie le calme, pas de voitures qui passent, ou si peu, les oiseaux qui chantent et une ombre au tableau qui vient dans ma direction tout gâcher. Stéphanie. Elle s’assoit à côté de moi, son bol de salade à la main, une véritable végétarienne, c’est sans doute une des raisons qui a conforté mon choix, moi qui suis un carnivore pur et dur.

     

    -Alors, on est tout seul dans son coin ? Demande-t-elle.

     

    -Comme tu le vois, dis-je le plus aimablement possible.

     

    -On dirait que tu t’es fait un nouveau pote ?

     

    -Pardon ?

     

    -Monsieur Lance, il n’arrête pas d’aller vers toi, faudrait être aveugle pour ne pas le voir.

     

    -Et alors ?

     

    -Ouah ! Je ne pensais pas que tu avais changé de bord, ça me conforte dans mon idée, dit-elle en souriant méchamment.

     

    -Je peux savoir de quoi tu parles ? Demandais-je en soupirant.

     

    -T’es homo, dit-elle. Tu craquais sur Arthur et maintenant, tu as jeté ton dévolu sur Monsieur Lance. Je dois l’avouer, tu as plutôt bon goût, surtout en ce qui concerne notre prof. Il faut dire que Monsieur Lance est un homme un vrai et quand il sourit, il est encore plus craquant. Je te comprends dans un sens. Moins en ce qui concerne ton colloc’, je ne comprends pas ce que tu lui trouves à ce blondinet.

     

    -Tu racontes n’importe quoi ma pauvre, dis-je d’un ton calme qui a l’air de la surprendre. Tu peux te faire les idées que tu veux, mais ça ne changera rien à notre relation. Je t’ai quitté parce que je ne t’aimais plus et que ça n’aurait pas été honnête de rester avec toi. J’ai sûrement été dur avec toi au téléphone la dernière fois, mais tu ne comprenais pas. Tu pourras dire les ragots que tu veux, ça m’est égal, je sais qui je suis, c’est le principal.

     

    -Alors, tu l’es vraiment ? Demande-t-elle outragée. C’est…

     

    -Quoi ? Demandais-je en me levant. Tu trouves ça dégoutant ? Tu n’approuves pas l’idée ? C’est plutôt toi, qui me dégoute alors que je t’ai tout dit sur ma famille.

     

    -Mais, Raphaël, dis-je alors que je m’éloigne d’elle. Ce n’est pas…

     

    Mais, je ne l’écoute plus. Franchement, je me demande comment j’ai pu tomber amoureux d’une fille pareille. Dire que je ne lui ai tout dit sur ma famille et elle ose me faire des réflexions pareilles, comme si ça pouvait me toucher. Et bien, elle a gagné, d’une certaine manière, mais je ne lui avouerai jamais. Je passe à côté du groupe où Monsieur Lance s’est incrusté pour manger et son regard croise le mien. Je ne sais pas quelle tête je fais, mais elle ne doit pas être très belle, parce qu’il me lance un regard d’incompréhension. Je vais me mettre dans un coin, à l’abri des regards, finissant mon sandwich, avec l’estomac noué.

     

    Pendant toute l’après-midi, je reste muet, posant quelques questions quand j’en ai besoin et Monsieur Lance a l’air inquiet de me voir comme ça. A la fin de la journée, je reste sur le terrain, n’ayant pas envie de retourner au gîte. Accroupi sur les ruines d’une ancienne ville, je me sens plus à l’aise ici, que parmi les miens. Monsieur Lance s’approche de moi en silence s’asseyant à côté de moi, un peu mal à l’aise apparemment.

     

    -Les autres sont partis, dit-il. On prendra une voiture de l’association.

     

    -Je suis désolé, dis-je.

     

    -Ce n’est rien, j’ai compris que quelque chose n’allait pas en vous voyant à midi. Vous voulez en parler ?

     

    -Pas vraiment. Je me sens juste nul de vous embêter avec ça. Je ne vous croyais pas…

     

    -Aussi compréhensif ?

     

    -Heu… oui, dis-je gêné. Vous êtes tellement différent du professeur que je côtoie d’habitude.

     

    -Je sais, dit-il en regardant droit devant lui. En cours, je me comporte en professeur, ici, je peux être bien plus. C’est un stage, mais vous n’êtes pas en cage pour autant. C’est pour cette raison que les autres peuvent partir sans nous.

     

    -Je suis désolé de vous déranger comme ça.

     

    -Ce n’est rien. Alors, vous ne voulez pas me dire ce qui vous tracasse ?

     

    -Ce n’est pas grand-chose, des bêtises avec mon ex. C’est débile, dis-je en me relevant. Et vous qui vous montrez si gentil, je me sens vraiment bête, un vrai gamin.

     

    Il se relève, tout en me regardant et ça me met mal à l’aise. Il est un peu plus grand que moi, mais ce n’est pas trop difficile quand on sait que je suis assez petit, même Stéphanie me dépassait, Arthur aussi. Tout le monde, quoi.

     

    -Vous savez, Raphaël, j’ai trente-cinq ans, on peut dire que je suis assez jeune même si pour les gens de votre âge, je suis déjà vieux. Je comprends aussi vos peines, nous sommes humains, après tout.

     

    -C’est vrai. Quand j’y pense, vous avez à peine cinq ans de différence avec mon père.

     

    -Cinq ans seulement ? Demande-t-il étonné.

     

    -Il m’a eu jeune, à peine sorti de l’école.

     

    -Je vois.

     

    -Vous n’approuvez pas ?

     

    -Je n’ai pas dit ça. Je ne suis pas aussi coincé que vous pourriez le croire.

     

    -Ce n’est pas ce que j’ai sous-entendu.

     

    -Je sais, dit-il avec un sourire.

     

    Nous marchons lentement sur le site, jusqu’à une voiture que nous prenons en silence pour rentrer. Je me rappelle des paroles de Stéphanie qui a cru que j’en pinçais pour Monsieur Lance, c’est vrai qu’il est attirant et même si je sais pourquoi il n’a personne, je trouve ça dommage pour lui. Mon téléphone vibre dans ma poche, mais ce n’est pas un message d’Arthur, c’est seulement David qui me demande si tout se passe bien. Je lui réponds vite fait et alors que je le remets dans ma poche, j’éternue brusquement.

     

    -A vos souhaits, dit Monsieur Lance. J’espère que ça n’augure pas quelque chose de mauvais.

     

    -Je ne l’espère pas, ou alors, on parle de moi.

     

    -Peut-être, dit-il alors que nous arrivons au gîte.

     

    Nous sortons de la voiture et avant de rejoindre les autres pour le dîner, nous nous arrêtons devant l’entrée.

     

    -Je ne suis pas votre ennemi, dit Monsieur Lance, au contraire. Si je vous ai choisi pour ce stage, c’est parce que je crois en vous et vos capacités, vous êtes quelqu’un de bien, j’espère que vous ne gâcherez pas votre chance.

     

    Il me laisse seul, dehors, après avoir passé la porte du gîte. Seul avec mes réflexions. Je frissonne, je ne porte qu’un pull léger et j’éternue une seconde fois, avant de rentrer à mon tour.

     


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