• Chapitre 3

    Harry n'avait pratiquement pas fermé l'œil de la nuit, et il n'aurait su dire si cette insomnie était due à une joie immense ou à une déception intense. En tout cas, il était certain que les battements de son cœur, devenu très bruyants à ses oreilles, y étaient pour quelque chose. Il avait l'impression, à certains moments, qu'un lourd marteau venait s'abattre sur une vieille enclume et que le coup qu'il façonnait raisonnait longuement et martelait ses tempes déjà à vif

    . Il n'arrivait pas à se calmer, et son souffle ne semblait pas prêt à se régulariser.

    Comme chaque soir, il s'était couché et avait tiré les rideaux lourds et épais de son lit à baldaquin autour de lui. Il était le seul de ses camarades de chambré à le faire… Tous avaient, bien sûr, des rideaux suspendus à leurs lits, mais aucun ne jugeait utile de les tirer. Ils avaient l'impression de se couper du monde, et de s'enfermer, en quelque sorte, dans un tombeau, comme l'avait dit un jour Seamus, qui avait toujours eu pour habitude, en Ecosse, de dormir les volets ouverts, sous un grand ciel étoilé et pur, éclairé comme en plein jour par la seule lumière diaphane de la lune. Ils avaient bien vite compris qu'avec le jeune Irlandais dans la chambre, il leur serait interdit de dormir les volets fermés. Cela ne gênait personne, sauf peut-être un peu Harry, mais il faisait avec, et comme toujours, il ne se plaignait pas.

    Harry, lui, ne craignait pas l'obscurité, cette amante éternelle de la nuit. Amante fidèle pourtant déléguée au second rang, devancée par la beauté diaphane de la lune. Il ne craignait pas plus la pénombre infligée par les rideaux de velours épais qui le recouvraient. Bien au contraire, il se sentait bien plus en sécurité derrière ses lourdes tentures que livré à la lumière lunaire, si blanche, si diaphane, si pure, si entière. Bien sûr, il n'avait jamais aimé l'obscurité de son placard à Privet Drive, car il lui semblait qu'elle l'oppressait, qu'elle cherchait à l'étouffer, à l'annihiler. Mais au moins, à cette époque, il était toujours seul, indubitablement seul, et personne ne pouvait s'approcher, mais surtout, ne souhaitait s'approcher de lui. Plus les années s'écoulaient, plus ses nuits se faisaient difficiles, plus ses cauchemars s'amplifiaient, plus le sommeil le fuyait… Pas même Morphée, déité protectrice de la nuit et des songes, ne pouvait bercer en ses bras aimants et consolateurs quelque chose d'aussi laid, d'aussi néfaste que son âme.

    Harry se cachait derrière ses rideaux, comme un animal mortellement blessé fuit le regard des autres, les yeux de ses proches. Il se terrait comme un animal en détresse qui cherche avant tout à protéger ceux qui lui sont chers, à leur épargner le partage difficile et injuste de ses nuits douloureuses. Il ne voulait pas que ses amis puissent l'entendre trop facilement lorsqu'il gémissait durant son sommeil, quand ce dernier daignait se montrer clément et lui ouvrir les bras… Mais il ne le faisait que pour mieux le torturer par la suite, il le faisait uniquement pour lui certifier qu'il ne trouverait pas le repos. Pas ici, pas ailleurs. Harry ne voulait pas inquiéter ses amis, il ne voulait pas les déranger. Il ne voulait pas que le moindre froissement de drap, que provoquerait l'un de ses innombrables rêves animés, vienne perturber leurs sommeils si doux, si salvateurs. Il ne voulait pas qu'ils puissent le voir se contorsionner et se débattre avec ses chimères, qu'ils partagent ses peurs et ses angoisses. Ils ne devaient en aucun cas subir cela ! Il ne voulait pas les mêler à ça… La nuit, il aurait souhaité être seul, toujours seul. Comme son âme esseulée, son corps devait côtoyer cette solitude !

    Mais ce soir, plus que n'importe quel autre soir, il n'était pas seul.

    Derrière les rideaux de velours qui encadraient son lit, Harry ne pouvait voir s'étendre sous ses yeux aveuglés par l'obscurité que le néant, un néant qui avait pour habitude de l'accueillir en son sein chaque soir pour lui signifier que ses songes seraient de la même texture et de la même teinte grisâtre et ferreuse que sa vie… Pourquoi tenter de s'échapper la nuit ? Pourquoi laisser son esprit vagabonder, son âme se libérer ? Si le seul présent qu'il aurait au levé du jour était de faire face à la lumineuse et douloureuse réalité, la Vie. Il ne valait mieux pas se laisser aller aux rêves, aux espoirs, ceux-ci n'étaient que mensonges grossiers et promesses futiles.

    Sous ses couvertures chaudes en laine, Harry, comme chaque soir, tremblait. Il grelottait. Il ne comprenait pas pourquoi son corps ne parvenait pas à se réchauffer… Pourquoi il refusait obstinément d'accumuler la chaleur qu'il lui était possible de cueillir autour de lui… Mais c 'était chose fréquente… Son corps était toujours froid, il en avait toujours été ainsi… Pourtant, Hermione aimait à blottir ses mains entre les siennes lors des hivers rigoureux car elle les trouvait étonnement chaud, Ginny, quant à elle, lui avait même dit un jour que de ses mains émanaient la chaleur de son cœur, et Cho, elle aussi, lui avait dit que ses mains étaient agréablement chaudes, l'une des rares fois où ils s'étaient promenés main dans la main au bord du lac. Toutefois, lui ne les trouvait pas chaudes… Loin de là… Il avait l'impression que ses mains contenaient la froideur et la rigueur d'un glacier, le sommet d'un magnifique iceberg dont la plus grande partie, mais aussi la plus froide, était encore immergée, masquée de tous. Il lui manquait une source de chaleur afin de se réchauffer, la chaleur d'une lumière rosée…la chaleur de deux mains douces…la chaleur de lèvres sucrées…Sa chaleur…

    Il en était douloureusement conscient à présent…

    Il lui fallait retrouver cette chaleur… Sa chaleur…

    Ce n'est donc pas sans raison que le lendemain matin Harry se réveilla d'une nuit des plus agitées et des moins reposantes… Pourtant, contrairement à ces innombrables nuits toutes semblables les unes aux autres, où il lui était impossible de dire s'il avait réellement fermé l'œil et encore moins d'essayer de se souvenir de quelque bribe que ce soit ayant un rapport quelconque avec un « rêve » qu'il aurait pu faire, sa nuit se résumant très souvent à un gouffre indescriptible qui le laissait au matin psychologiquement et physiquement épuis cette nuit-ci, bien que courte, avait permis à son corps de se laisser aller, de se libérer. Et c'était peu dire, vu l'état de ses draps à son réveil !!!

    Harry n'aimait pas, contrairement à la plupart des garçons de son âge, se « satisfaire » à lui-même… Et sa vie amoureuse étant aussi riche que les poches d'un mendiant étaient pleines, il n'était pas un grand adepte de ce genre de choses… C'est pourquoi, cette libération matinale si inattendue et si libératrice l'avait mis de particulièrement bonne humeur. Il se sentait plus léger qu'il ne l'avait été depuis des années, et il le ressentait réellement au plus profond de son corps, tout comme dans les limbes de son âme.

    Cette nuit il avait rêvé d'ELLE. Sa fameuse inconnue. Son assaillant.

    Et son corps ne s'y était pas trompé. Il avait su reconnaître cette chaleur. Ce rêve l'avait rendu heureux, de même que cette « libération » le rendait plus gaie qu'il ne l'avait été depuis de longs mois.

    C'est pourquoi, même le fait d'avoir encore une fois surpris Ron et Hermione soudés l'un à l'autre à la sortie même de son dortoir n'avait pu ternir son entrain relatif ! Mais entrain tout de même, lorsque l'on était habitué à être aussi taciturne que Harry. C'était avec des yeux pétillants que Harry avait rejoint la Grande Salle, clairement décidé à en savoir plus sur ce « placard » et sur le moyen de retrouver la jolie « petite » demoiselle qu'il y avait rencontrée la veille !

    C'est en traînant des pieds qu'ils se rendit à son premier cours du matin, Soins aux Créatures Magiques. Bien sûr, cela lui faisait toujours plaisir de voir Hagrid, et même si ce dernier leur donnait souvent des cours bien étranges, voire parfois clairement dangereux, il ne pouvait dénier le fait que ceux-ci étaient tout de même très intéressants ! Il aimait aller à ces cours… Pourtant, ce matin, l'enthousiasme habituel n'y était pas.

    Alors qu'il passait l'entrée principale de l'école une rafale de vent souffla violemment sur son visage, et des trombes d'eau vinrent s'abattre sur lui. Il faisait si bon ces dernières nuits, et le ciel était si bleu et si dégagé à l'aube, qu'il n'aurait jamais cru qu'il pleuvrait en cette journée. Mais après tout, le printemps était là, et qui disait printemps, disait averses fréquentes et imprévues.

    Alors qu'il avançait lentement vers la cabane de Hagrid, ne se souciant pas de la pluie, Harry se surprit à sourire. Après la chaleur que lui avait procurée cette personne inconnue, Harry n'allait pas se laisser abattre par quelques petites gouttes de rien du tout ! Il franchit le seuil de la cabane et ne prêta pas la moindre attention aux personnes qui y étaient présentes, toutes plus inquiètes les unes que les autres, ne souhaitant pas avoir à faire face à une abominable créature par ce mauvais temps ou jouer les paratonnerres sous ce ciel orageux.

    Harry était si absorbé par ses pensées, toutes tournées vers cette personne inconnue, vers ce moment si bref et si tendre partagé, qu'il ne remarqua pas la présence soudaine de quelqu'un à ses côtés, et lorsque celle-ci esquissa un mouvement, pour abaisser sa capuche se rendit-il compte par la suite, il sursauta.

    Il se maudit de ce réflexe inopportun. L' « inconnu » n'était autre que Malefoy. Comme il haïssait Malefoy en ce moment… Il ne le portait déjà pas dans son cœur habituellement, mais là, il lui en voulait clairement ! Pourquoi fallait-il toujours qu'il se ramène quand on avait vraiment le moins envie de le voir ? Pas qu'il ait à un moment ou un à un autre plus envie de le voir… Mais là, il venait de briser sa rêverie, luxe qu'il ne s'accordait que très rarement, et pire que tout, durant une brève seconde il avait eu l'impression… l'impression qu'il n'était de nouveau plus tout seul…

    C'est un regard plein de haine que Harry leva vers Malefoy, tentant de lui faire comprendre à quel point sa seule présence l'insupportait et le dégoûtait !

    « Alors Potter, on a peur ? », lui demanda Drago, ce sempiternel sourire narquois, qu'il lui avait toujours connu, collé sur le visage.

    Bien sûr, comme toujours, c'était la guerre qu'il voulait. En cette sixième année, Malefoy était devenu encore plus imbuvable qu'il ne l'avait été durant leurs cinq premières années réunies, chose que Harry aurait cru tout à fait impossible tant ce garçon était déjà quelqu'un de mauvais de par sa nature profonde. A croire que ce trait de caractère était inscrit dans son ADN, et dans la lignée génétique de toute sa famille. Mais cela ne faisait que confirmer les sombres réflexions de Harry sur la vie, et lui affirmait un peu plus chaque jour que le mal ne connaissait pas de frontières et la méchanceté non plus.

    « Non, Malefoy. Tu peux toujours rêver », répondit le Gryffondor.

    Et il considérait que Malefoy était encore un gamin pour continuer à le provoquer de la sorte… Et qu'en était-il de lui ??? Le jour où il ne répondrait plus aux provocations de Malefoy, et surtout, le jour où il n'en aurait plus cure, là, il pourrait décemment se considérer comme un adulte réfléchi ! Pas avant ! Il était bien conscient que Malefoy cherchait la confrontation ouverte et que la pire des insultes pour lui serait d'être ignoré, pourtant Harry n'y arrivait pas… C'était plus fort que lui ! Il ressentait un besoin viscérale à répliquer, à rendre coups pour coups.

    « Vraiment ? Il me semblait pourtant que tu avais sursauté. A quoi pensais-tu petit Potty ? »

    Ciel, que Harry s'en voulait de s'être laissé surprendre ainsi, il était, en général, toujours sur ses gardes, mais là, son esprit était bel et bien parti voguer sur d'autres flots… Il flottait légèrement dans une brume rosée, empli de souvenirs d'hier… Remords mis à part, Harry se demandait parfois où Malefoy pouvait bien trouver tous ses surnoms. Il l'en affublait par douzaines… « saint Potter » et « Potty » étant très certainement les plus récurrents… Toutefois, aujourd'hui, il avait jugé utile d'y ajouter l'adjectif qualificatif « petit », et il aurait été complètement erroné de dire que ce mot si infime soit-il ne l'avait pas vex !

    Harry était tout à fait conscient de sa faible constitution. Onze longues années à dormir dans un tout petit placard avec pour seule compagnie des araignées et des blattes, et pour seuls repas les restes de Dudley, n'avait pas fait de lui un adolescent développé, en bonne santé et respirant la joie de vivre. En effet, Harry avait ce petit côté maladif, et sa croissance, quant à elle, semblait s'être stagnée assez rapidement, et malgré son statut de Héros du monde Magique, il devait être l'un des plus petits garçons de sa génération ! Petite taille qui n'était qu'accentuée par la grandeur de son meilleur ami, qui était aussi très certainement l'un des plus grands élèves de tout Poudlard ! Fabuleux ! Bientôt Malefoy pourrait l'appelé le Schtroumf !!! Heureusement qu'il n'avait aucune connaissance de la culture moldue, sinon il y aurait très certainement déjà eu le droit ! C'est pourquoi, il n'avait même pas été étonné de se rendre compte à cet instant que la personne, avec laquelle il avait partagé ce placard un bref instant la nuit dernière, bien qu'étant une fille, était plus grande que lui… Les filles qu'il côtoyait quotidiennement étaient souvent de sa taille, et il arrivait assez fréquemment que certaines le dépassent de plusieurs bons centimètres… Mais apparemment la personne du placard n'avait pas été gênée plus que cela… Tant mieux

    Tentant de sortir du cours que prenaient ses pensées, il était hors de question de montrer la moindre faiblesse face à Malefoy, il s'empressa de lui répondre. 

    « Je ne pense pas que mes pensées te regardent,  Malefoy », éructa-t-il.

    « Tu enviais encore tes amis. Tu pensais à être à leur place ? Mais, je me demande qui pourrait bien vouloir de toi », lui lança Malefoy particulièrement mauvais.

    Comment ce garçon savait-il toujours frapper fort là où ça faisait le plus mal ??? Il le haïssait pour cela aussi ! Harry était conscient qu'il n'était pas idiot, loin de là, mais il n'était pas très habile pour s'exprimer avec les mots, alors que Malefoy savait en user et en abuser, tant il les maniait avec brio.

    C'est vrai qu'il enviait Ron d'avoir la chance d'être aussi grand, c'est vrai qu'il enviait ses amis d'être ensemble et de pouvoir partager ce sentiment si précieux qu'était l'amour, et que Harry n'avait jamais eu la chance de réellement connaître. Il les enviait, certes, mais il ne les jalousait pas. Cela, il en était certain ! Mais ce qui lui faisait le plus de mal, en fait, c'était cette dernière phrase que Malefoy avait prononcée. Elle résonnait en lui comme un glas sourd. Personne ne voulait de lui, et cela malheureusement, il en était bien conscient… Pourtant, cette personne dans le placard… Elle, elle voulait de lui…

    Oui, mais elle ne savait pas qui était ce « lui »…

    Harry vit rouge, et ne pouvant produire le moindre son tant sa gorge était serrée, il bouscula Malefoy pour s'éloigner au plus vite de ce dragon qui lui crachait au visage sans la moindre pitié toutes ces vérités trop douloureuses à entendre. Il alla de l'autre côté de la pièce et s'appuya contre le mur afin de stabiliser son souffle et d'essayer de reprendre de sa contenance. Alors qu'il enfonçait les mains dans ses poches à la recherche de la plus infime chaleur qu'il serait possible d'y trouver, sa main heurta un papier qui se trouvait dans sa poche droite. Il ne se rappelait pas avoir laissé un papier quelconque dans ses poches, et plus par réflexe que par réel intérêt, il sortit le morceau de papier de sa poche et y posa distraitement les yeux.

    C'était une enveloppe… rose. Un rose qui aurait très certainement plu à Hermione, qui était grande amatrice de cette couleur malgré ce que l'on aurait pu croire. Pourtant cette enveloppe aux teintes pastels de l'aube n'enthousiasmait guère Harry. Elle lui rappelait vaguement une enveloppe qu'il s'était vu obligé d'accepter quelques années auparavant, lors de sa deuxième année, alors qu'un lutin le poursuivait et lui interdisait de refuser ce présent offert par une jeune demoiselle amoureuse le jour de la Saint-Valentin… Il gardait encore un souvenir très virulent et douloureux de ce jour et de cette horrible chansonnette ! C'est sans réelle conviction qu'il remit l'enveloppe dans sa poche se disant qu'il aurait tout le loisir de la lire plus tard, ou d'en faire une petit feu de joie selon son humeur. Il resta immobile jusqu'à la fin du cours, se tenant le plus loin possible de Malefoy jusqu'à la sonnerie, et c'est presque en courant qu'il partit se rendre à son prochain cours de la matinée.

    Son cours d'Enchantements ne lui avait jamais semblé aussi long et aussi peu intéressant… Il ne cessait de penser à sa rencontre de la veille, et aux mots de Malefoy qui se répétaient inlassablement comme un disque rayé, comme une mélodie incessante que l'on ne peut supporter, mais que l'on ne peut chasser de son esprit. Pourquoi ces mots résonnaient-ils ainsi en lui ? Pourquoi leur donnait-il autant de crédit ? Parce qu'ils étaient lucides et criants de vérité.

    Mais cette personne, son assaillant… Lui… Elle… Elle voulait de lui… Peut-être… Sûrement oui… Il avait besoin d'en avoir la certitude. Il fallait qu'il retourne au quatrième étage, à la tapisserie de Morgane, et qu'il en est le cœur net. Mais pourquoi le temps semblait-il s'être soudainement fig ? Il avait besoin de sortir de cette pièce et d'aller rejoindre la fée d'Avalon. C'était…vital ! Il était tant impatient qu'il avait commencé à taper la mesure des secondes, qui s'écoulaient trop lentement à son goût, du bout de ses doigts sur son pupitre, et de ses pieds sur le parquet usé… Lorsque le bruit mat de ses coups se fit plus régulier et plus fort alors que son agitation grandissait, le professeur Flitwick lui lança un regard noir qu'il était peu usuel de voir dans les pupilles du professeur, et Harry tenta tant bien que mal de se contenir jusqu'à la fin du cours.

    Lorsque la libération lui fit enfin l'immense honneur de sonner son heure, il n'eut d'autre choix que de suivre ses amis dans la Grande Salle pour ne pas paraître suspect s'il venait à disparaître sans raison. Il s'assit et tenta de manger quelques bouchées du plat qui venait d'apparaître sous son nez, mais rien n'y faisait, il n'avait pas faim. De toute façon, à l'heure actuelle, il n'avait envie de rien à part de se rendre dans le couloir du quatrième étage et de soulever à nouveau la tapisserie de l'intrigante Morgane pour y découvrir une quelconque information quant à ce placard, mais surtout, quant à l'occupant qu'il y avait côtoyé la veille au soir !

    Alors que Hermione et Ron s'étaient lancés dans un remake bruyant de « La belle et le Clochard » et qu'ils se partageaient langoureusement leurs spaghettis, Harry entreprit de se lever discrètement, se disant que personne ne remarquerait son départ si hâtif, et surtout pas les deux tourtereaux qui ne pouvaient actuellement voir plus loin que le bout de leur nez tant ils louchaient amoureusement dans les yeux l'un de l'autre !

    Harry tenta de garder une allure normale alors qu'il traversait les longs et interminables couloirs de l'école. Il ne voulait en aucun cas paraître suspect aux yeux de quiconque et encore moins à ceux d'un professeur. Il ne voulait surtout pas que quelqu'un vienne se mettre sur sa route pour l'interroger sur son comportement des plus douteux ! Pas maintenant ! Il n'en pouvait tout simplement plus d'attendre.

    Jamais les escaliers ne lui avaient paru aussi hauts et aussi longs à gravir. Il avait l'impression de marcher sur un escalator en sens inverse. Plus il avançait, plus il avait l'impression de s'éloigner de son objectif. Il avait cette sensation désagréable que l'on ressent dans les cauchemars lorsque l'on essaie d'atteindre un point et que celui-ci ne cesse de se distiller sous nos yeux comme une oasis furtive dans le désert. C'était cette même sensation que lorsque l'on ressentait le besoin de courir et que l'on découvrait que nos jambes étaient de coton, et que l'on ne pouvait se mouvoir qu'au ralenti. C'était effroyable.

    Harry ne cacha donc pas sa joie et son soulagement lorsqu'il gravit les dernières marches et qu'il atteignit enfin le palier désiré, et c'est en courant comme un dément qu'il se rendit devant la tapisserie de Morgane. Il resta un certain temps les mains appuyées sur ses genoux pour reprendre son souffle. Il était en sueur et il avait du mal à reprendre son souffle, mais le plus douloureux était très certainement les battements de son cœur qui raisonnaient à ses oreilles et l'afflux soudain de sang qui irriguait violemment son cerveau.

    Alors qu'il levait enfin le visage vers la tapisserie, son geste se figea quand il découvrait qu'à la place de la beauté flamboyante qu'il avait vu la veille, se trouvait une toile rougeoyante représentant un champ de coquelicots en fleurs dans le style impressionniste. Harry secoua la tête et regarda à nouveau la toile puis s'en détourna pour faire un état des lieux. Il était dans le bon couloir, il en était certain. Et c'était bien sur ce pan de mur qu'il avait vu la tapisserie de Morgane qui avait attiré son regard, il en était certain ! Il se tourna machinalement vers la toile, le regard voilé. Ses yeux, qui n'étaient plus attentifs, se troublèrent devant ce nouveau spectacle et les touches de peintures prédominantes, le rouge et le noir, se mêlèrent et devinrent un amas indescriptible, un tourbillon indomptable.

    Harry ne parvenait plus à respirer. Il ne voyait plus rien à part ces touches de couleurs qui clignotaient sous ses yeux et qui l'emportaient comme une tempête folle sans qu'il ne puisse rien faire pour se ressaisir. La seule bouée salvatrice, qu'il avait cru trouver au cœur fougueux et cruel de cet océan tumultueux, avait disparue aussi rapidement qu'elle était apparue ! Ca avait été un leurre. Il se retrouvait à nouveau seul, et il perdait pied, il s'engouffrait dans cet abîme sombre, il coulait en sachant qu'il ne referait peut-être plus jamais surface. Cette toile face à lui n'était plus qu'un marécage boueux, pâteux et visqueux.

    Harry ne sentit même pas les larmes amères qui vinrent souiller son visage. Il ne s'entendit même pas supplier dans un souffle cette porte magique, qui ouvrait un univers fabuleux, d'apparaître à nouveau. De lui faire ce cadeau au moins encore une fois. D'être généreuse. D'être clémente. D'avoir pitié.

    Harry avait passé tout le reste de son après-midi dans son dortoir. Il n'avait même pas été à son entraînement de Quidditch tant il se sentait exténué, arasé. Il avait prétexté un mal de tête assez virulent, et comme à chaque fois qu'il avait la « bonne » idée de passer la main sur sa cicatrice douloureuse, tous ses proches paniquaient, c'est pourquoi aucun d'eux n'avaient insisté aujourd'hui pour le faire sortir de la chambre dans laquelle il semblait avoir élu définitivement domicile pour les heures à venir. Il n'était même pas descendu manger. Manger ne lui semblait absolument pas une alternative à la douleur qu'il éprouvait et qui lui nouait depuis plusieurs heures les entrailles. Ces dernières années, il lui était arrivé assez fréquemment de s'empiffrer pour oublier, pour s'occuper l'esprit et les sens, mais là, son estomac menaçait réellement trop de déborder et il le sentait déjà beaucoup trop proche de ses lèvres !

    Il s'était donc encore une fois réfugié derrière les rideaux protecteurs de son lit et y était resté jusqu'à ce que Seamus, qui ne semblait avoir peur de rien, ne vienne lui rappeler que Ron l'attendait comme tous les soirs dans la Salle Commune pour leur partie d'échecs. Même si Ron passait beaucoup plus de temps avec Hermione à présent, leurs parties d'échecs n'avaient jamais été reportées ! C'était quelque chose de très important pour eux deux, c'était un moment de complicité qu'il leur était cher de partager. C'est pourquoi, ils se décida, malgré lui, à descendre dans la Salle Commune, et à faire face à la douloureuse lumière.

    Quand il arriva dans le fond de la Salle Commune, près de l'âtre où Ron et lui avaient pour habitude de jouer aux échecs, il y découvrit l'échiquier mais nulle trace de son ami. Il regarda vaguement autour de lui pour voir si son ami n'était pas un peu plus loin dans la Salle Commune, mais n'ayant décelé aucune tête rousse qui aurait pu être celle de son mai, il se dirigea vers Ginny, Lavande et Parvati qui étaient assises sur un canapé non loin de là, et qui semblaient être plongées dans une conversation des plus animées.

    « Arrête d'être aussi naïve, Ginny !! Je suis sûre qu'elle continue d'y aller malgré tout ce qu'elle peut dire ! », semblait la taquiner Lavande.

    « Peut-être bien… », répondit timidement Ginny.

    « Je suis quand même de l'avis de Ginny sur ce sujet… Cet endroit a quand même des airs de confessionnal, selon moi… Je ne pourrais vraiment rien y faire de pas très catholique, sans offenser personne… », ajouta Parvarti le plus sérieusement possible.

    « Ah oui…? Je plains le pauvre prêtre qui viendrait à me trouver dans une de ces « confessionnaux »… », sourit malicieusement Lavande.

    « Excusez-moi les filles… », les interrompit poliment Harry, quelque peu gêné, il avait réellement l'impression d'interrompre une « conversation de filles », vu la manière dont elles pouffaient de rire.

    Toutes trois le regardèrent comme un seul homme, peut-être honteuses d'avoir été prises sur le fait.

    « Vous n'auriez pas vu Ron par hasard ? On devait jouer aux échecs et… »

    Harry s'interrompit quand il les entendit de nouveau pouffer de rire.

    « Dis-moi, Harry », l'interpella gentiment Ginny sur un ton plus doux, « Est-ce que tu vois Hermione quelque part ici ? »

    Harry balaya de nouveau la pièce du regard, et il dut se rendre à l'évidence que Hermione n'était pas plus visible dans la Salle Commune que son ami Ron, ce qui ne laissait supposer qu'une seule chose, qu'ils étaient ensemble, quelque part, ailleurs.

    « En plus », lui murmura Lavande en baissant la voix comme sur le ton de la confidence, « J'ai vu Hermione sortir avec son enveloppe tout à l'heure. »

    « Son enveloppe ? », lui demanda Harry qui ne comprenait vraiment pas là où elle venait en venir.

    Lavande tourna ses yeux vers le ciel de manière fort théâtrale dans un air dramatique, et soupira, avant de répondre.

    « Oui, Harry, son enveloppe… L'enveloppe rose »

    Harry comprenait de moins en moins de quoi pouvait bien parler cette fille. Il l'avait toujours trouvée bizarre, mais là, c'était le pompon… Une enveloppe rose et elles riaient comme des adolescentes pré-pubers.  Qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir de drôle dans le fait de posséder une enveloppe rose…rose…rose ? ROSE !!!!

    Il y eut comme un déclic dans le cerveau de Harry et une connexion se fit. La lumière fut pour la première fois de la journée et il se précipita dans sa chambre sans demander son reste. Bien sûr, elle devait parler de cette enveloppe rose dont il avait lui aussi hérité en sortant du placard, ça devait avoir un rapport avec ce qu'il se passait dedans. Pourquoi avait-il été assez idiot pour ne pas l'ouvrir tout de suite cette fichue enveloppe ??!!! Mais peut-être que si elle avait été d'une autre couleur il aurait souhaité l'ouvrir plus facilement ! Qu'importe, il fallait qu'il l'ouvre tout de suite… Il n'avait plus une seconde à perdre !

    Il entra en trombe dans le dortoir et se mit à chercher comme un dément l'endroit où il avait bien pu laisser sa robe. C'était bien lui ça de jeter ses affaires n'importe o ! Pas étonnant qu'il cherche toujours un quart d'heure le matin avant de trouver deux chaussettes identiques ! Mais ce n'était pas le moment de penser à ses chaussettes, il devait mettre la main sur sa foutue robe ! Il essaya de se remémorer les gestes qu'ils avaient faits en début d'après-midi lorsqu'il était entré pour la première fois dans la chambre et qu'il avait nonchalamment balancé sa robe quelque part… Il se rappelait être passé près de la malle à Neville et… Oui, il l'avait jetée en travers de la chaise de Neville, il en était certain !!! Il regarda donc à cet endroit pour s'apercevoir avec horreur qu'elle n'y était plus ! Il se dit que Neville avait dû la ranger quelque part, et il passa encore un bon quart d'heure à retourner toute la chambre dans sa quête infernale ! Ce ne fut qu'au bout de ce quart d'heure qu'il se rendit compte qu'il n'avait mis la main sur aucun vêtement qui aurait traîné là, ni sur la moindre robe… Ce fait l'interpella car il était de notoriété publique que leur chambre était la plus mal rangée de tout Poudlard. Et là, il se rappela quel jour on était… Vendredi…Le jour où les Elfes de maison faisait la lessive. Un Elfe avait donc dû passer dans leur chambre pour prendre les vêtements qu'il fallait laver et avait très certainement pris sa robe en même temps!

    C'était un cauchemar !!!

    « Dobby !!! », hurla Harry à pleins poumons, aussi fort qu'il le pouvait avec très certainement la force du désespoir, il n'allait tout de même pas perdre cette dernière chance, cette chance si éphémère et si douce… pas comme ça…

    Au bout de plusieurs appels, l'Elfe de maison concerné apparut dans la chambre tout couvert de bulles, ce qui confirma les dernières pensées de Harry. Les Elfes étaient en pleine lessive…

    « Dobby… », commença Harry alors qu'il saisissait l'Elfe par ses frêles épaules.

    « C'est toi qui as pris ma robe pour la laver ? », lui demanda-t-il comme si sa vie en dépendait.

    L'Elfe de maison le fixa quelques secondes de ses gros yeux globuleux, comme s'il ne comprenait pas réellement où Harry Potter voulait en venir.

    « Oui », confirma l'Elfe de maison d'un signe de tête. « Dobby s'occupe toujours personnellement des affaires de Harry Potter. Il les lave, il les adoucit, il les fait sécher, il les repasse. C'est le devoir de Dobby. »

    « C'est bien Dobby », le rassura Harry quand il vit une lueur d'inquiétude apparaître dans les yeux du pauvre Elfe qui avait été arraché à sa tâche et qui ne comprenait pas ce qu'il en était. « Mais dis-moi… Est-ce que tu as déjà lavé mes affaires aujourd'hui ? », se risqua lentement Harry en déglutissant difficilement.

    « Bien sûr ! Dobby s'occupe toujours des affaires de Harry Potter en premier », lui répondit Dobby fier de lui avec un grand sourire plaqué sur le visage.

    Les épaules de Harry s'affaissèrent d'un coup et il se laissa aller au sol en expirant douloureusement. Tout était fini. Il n'y avait plus d'espoir. Voyant le comportement de Harry Potter, Dobby comprit que quelque chose tracassait le grand et fabuleux sorcier.

    « Harry Potter est malade, monsieur ? Harry Potter ne se sent pas bien ? », s'inquiéta Dobby.

    « Harry Potter a perdu quelque chose de très important Dobby », lui répondit Harry sans se rendre compte à quel point sa confidence était vraie, mais ridicule aussi, car faite à un Elfe de maison, et il remarqua encore moins qu'il venait de parler à la troisième personne.

    « Quelque chose d'important, monsieur ? », l'invita Dobby à continuer.

    « Oui… C'était dans la poche de ma robe, et maintenant que tu l'as lavée… »

    « Vous parlez de l'enveloppe, monsieur ? », l'interrompit Dobby.

    Harry leva des yeux étonnés vers l'Elfe mais également plein d'un nouvel espoir si infime et si fragile. L'Elfe comprenant l'importance de la chose pour Harry Potter tenta de le rassurer.

    « Dobby a retiré l'enveloppe de la poche de Harry Potter. La lettre est sauve. »

    Puis il disparut dans un petit « pop » et il réapparut quelques secondes plus tard avec toutes les affaires propres de Harry Potter fraîchement lavées, parfumées et repassées, et dans un sourire qui lui montait jusqu'au sommet des oreilles, il lui tendit l'enveloppe.

    « Dobby n'a pas lu la lettre du placard, Monsieur. Dobby le promet », dit l'Elfe en rougissant.

    Harry lui fit un grand sourire, puis se mit à rire.

    « Je le sais bien Dobby, Merci. », lui dit-il dans un grand sourire, ce qui rassura l'Elfe qui repartit à son linge sale.

    Harry ne savait pas s'il riait à cause de la pudeur soudaine de l'Elfe, ou bien à cause du fait qu'il semblait bien être la seule personne dans cette foutue école à ne pas connaître ce système de placard pour rencontres amoureuses, ou alors, tout simplement parce qu'il était heureux d'avoir enfin trouvé et récupéré un indice qui le liait à son assaillant et qui lui permettrait très certainement de le retrouver.

    Il décacheta lentement l'enveloppe, ses mains tremblantes lui faisant défaut, et un grand sourire se dessina sur son visage lorsqu'il découvrit que son prochain rendez-vous avec son sauveur devrait avoir lieu le lendemain au soir. Il était convaincu à présent qu'il passerait une bonne nuit loin de tout gèle et de tout cauchemar. Les prochains rayons de soleil lui promettaient onctuosité et saveur.


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