• 3 La formation du bataillon sacré

     

    -376 av. J-C

     

    Cela faisait une semaine que le bataillon s’entrainait. Ils étaient séparés en deux groupes pour qu’ils ne se marchent pas dessus. Epaminondas avait remarqué qu’ils étaient un peu désordonnés et pour le moment, il avait décidé d’oublier la stratégie qu’il avait mise en place pour se concentrer sur l’entrainement habituel. Certains n’étaient pas des soldats et ils manquaient d’expérience, même si la plupart des jeunes sans pratique s’était mis avec un soldat plus âgé et qui s’était déjà battu.

    Les groupes échangeaient les activités, suivant le moment de la journée. Le premier groupe pouvait, le matin, s’entrainer à la formation du bataillon a défaut d’être en possession de leurs armes et le second groupe à l’entrainement physique, puis ils échangeaient l’après-midi. C’était bien mieux comme cela pour le moment. Même si des progrès s’étaient fait sentir surtout de la part de certains soldats, ils étaient loin d’être prêts, mais Epaminondas ne perdait pas espoir. Il était normal qu’il n’obtienne pas beaucoup de résultat au début. Et il n’en était qu’au début, justement.

    La Cadmée se révélait être un très bon endroit pour l’entrainement physique, et les contrées extérieurs étaient parfaites pour l’entrainement en équipe. Il ne regrettait pas d’être venu ici. Il regardait les soldats s’entrainer. C’était lui aujourd’hui, qui était en charge des soldats s’entrainant à la Cadmée. Gorgidas s’occupait des soldats à l’extérieur et Pélopidas était parti chercher les armes qui devaient normalement être prêtes depuis le matin-même. Epaminondas ne l’avait pas vu aussi heureux depuis longtemps. En effet, Pélopidas et Gorgidas ne s’étaient toujours pas réconciliés, mais le Béotarque ne perdait pas espoir. La venue de ces nouvelles armes et armures étaient peut-être la clé, enfin il l’espérait.

    -         Alexis, mets un peu plus de conviction dans ce que tu fais, on dirait que tu te bats comme un enfant, dit Epaminondas.

    -         Mais, je…

    Epaminondas s’approcha du couple Léandre et Alexis. Il voyait bien qu’Alexis avait peur de faire du mal à son compagnon, mais ce n’était pas avec cet état d’esprit qu’il allait pouvoir s’entraîner sérieusement.

    -         Je suis sérieux, maître.

    -         Tu crois vraiment ce que tu dis ?

    Alexis détourna les yeux comme pris en faute. Il ressemblait à un enfant et Epaminondas considérait qu’il en était encore un. Il était si jeune et encore innocent, pour l’instant. Alexis était un peu plus petit que son compagnon, des cheveux noirs et des yeux tout aussi foncé, tandis que son compagnon Léandre était un peu plus grand, des yeux vert et des cheveux blonds comme les blés. Il faisait un couple détonnant, mais ils n’en étaient pas moins attachés l’un à l’autre.

    -         Je sais ce que tu ressens, dit Epaminondas. Ce n’est pas simple de se battre contre une personne à laquelle on tient, mais ça te forgera le caractère. Quand tu devras te battre contre ton ennemi, tu seras d’autant plus motivé.

    -         Je ne sais pas, dit Alexis. Vous croyez ?

    -         En tout cas, il faut être plus incisif. Tu n’es pas d’accord avec moi, Léandre ?

    -         Oui, maître. N’aie pas peur de m’attaquer, ne croie pas que je vais t’en vouloir pour ça, fit Léandre en souriant à son compagnon. Nous sommes là pour nous entrainer et nous devons donner le meilleur de nous même. Maître Epaminondas nous a laissé notre chance, nous ne devons pas le décevoir.

    -         Oui, tu as raison, dit Alexis.

    -         Bien, alors, allez-y.

    Epaminondas les observa encore un moment et voyant qu’Alexis prenait ses recommandations en compte, il s’éloigna du couple pour aller s’occuper des autres. Il s’arrêta devant un autre duo, un couple très prometteur qui se comportait comme de véritables soldats. Ewan et Sasha. Ils se battaient comme si leur vie était en jeu. Ils avaient beaucoup plus d’expérience que Léandre et Alexis, mais ils étaient aussi plus âgés. Epaminondas ne put s’empêcher de sourire. Il éprouvait une certaine tendresse pour ces quatre-là et ce depuis le début.

    Il s’éloigna d’eux et se rendit devant l’entrée de la Cadmée. Il avait entendu du bruit et il semblait que Pélopidas revenait enfin avec les armes. Ce n’était pas trop tôt. Il aurait dû revenir depuis plus d’une heure. Epaminondas alla à la rencontre de son ami, qui lui, semblait très satisfait de sa matinée.

    -         Alors, est-ce que tu as tout ? Demanda le Béotarque.

    -         Comme tu peux le constater.

    Epaminondas jeta un œil à la cargaison. Rien ne laissait apparaître ce qu’il y avait dans les charrettes.

    -         En fait, non, mais quand nous aurons tout sortis, je le verrais bien.

    -         Ne te moque pas de moi. Allons chercher les soldats pour qu’ils déchargent la cargaison, après tout, ce sont eux qui vont l’utiliser.

    -         Bonne idée, ça leur fera une pause.

    -         Ils ont bien travaillé ? Demanda Pélopidas alors qu’ils montaient les trois marches menant à l’intérieur de la Cadmée.

    -         Oui, très bien. Ils sont prometteurs, mais certains manquent sérieusement d’entraînement et de confiance en eux. Je ne sais pas vraiment comment nous pourrons y remédier, mais je suis sûr que Gorgidas trouvera un moyen.

    -         Tu comptes trop sur lui.

    -         Et toi, pas assez, dit Epaminondas. Vous feriez mieux d’arrêter de vous quereller. Au fond de toi, je suis sûr que tu l’aimes beaucoup.

    -         Je le respecte, c’est un très bon général, mais l’aimer, certainement pas.

    -         Mais oui, c’est ça. C’est ce que tu dis.

    -         Oui, je le dis et je le pense. Ne crois pas autre chose.

    -         Mais je ne crois rien du tout, je constate.

    Epaminondas ne put s’empêcher de rire, face à la mine déconfite de son ami. Pourtant Pélopidas n’ajouta rien, un peu vexé par la remarque de son ami. Lui, aimer Gorgidas ? C’était complètement impensable. Il arrivait à peine à le supporter, même s’il reconnaissait son talent de chef. Alors qu’ils arrivaient dans la salle d’entrainement, ils remarquèrent que la salle s’était considérablement remplie. Epaminondas et Pélopidas rejoignirent Gorgidas un peu plus loin, pour lui demander ce qui se passait.

    -         Pourquoi y-a-t-il tant de monde ? Demanda Pélopidas.

    -         On a fini l’entrainement. Et puis tout le monde à voulu rentrer, mais ils vont retourner au camp.

    -         On va étouffer ici.

    -         Mais non, fit Epaminondas. Regarde, ils commencent à sortir, mais on ferait mieux d’en attraper quelques uns pour qu’ils nous aident à sortir les armes et les armures.

    -         Ca y’est, vous les avez ? Demanda Gorgidas.

    -         Pourquoi crois-tu que je sois descendu à Thèbes ?

    -         Pour te promener ?

    -         Est-ce que tu t’entends ? Grogna Pélopidas.

    -         Oui, je ne suis pas encore sourd.

    -         Ca suffit tous les deux, dit Epaminondas en se mettant entre ses deux amis. Si vous continuez à discuter, ils vont tous partir et on sera bon pour sortir le matériel nous-mêmes. Et si vous ne vous décidez pas, vous n’aurez plus qu’à le faire tous les deux.

    -         C’est bon, j’y vais, fit Gorgidas pour s’éloigner de Pélopidas.

    Le général attrapa quelques soldats qui étaient encore présents dans la salle d’entraînement et les obligea à décharger le matériel. Certains soldats firent leur travail avec réticence. Après tout, pourquoi étaient-ils les seuls à travailler alors que les autres roucoulaient tranquillement dans leur tente ? C’était injuste. Ils regrettaient de ne pas être sortis plus tôt. Cependant, Gorgidas n’était pas du genre à faire du favoritisme et tous les soldats qu’il put trouver furent eux aussi de corvée. Il fut un peu déçu de voir que certains s’étaient cachés pour ne pas avoir à participer ou tout simplement étaient partis sans savoir qu’ils devaient eux aussi aider. Mais, cela n’avait plus tellement d’importance à présent, puisque tout le matériel était sorti et les soldats présents purent admirer leurs nouvelles armures et armes.

    -         Alors, vous regrettez toujours de nous avoir aidés ? Demanda le général Gorgidas.

    -         Non, général, dit un soldat en scrutant son nouveau glaive.

    -         Bien, maintenant, vous pouvez tout ranger. Placez les lances au fond la pièce et rangez les glaives dans la pièce de droite. Vous pourrez également ranger vos armures dans celle de gauche. Il y a tout ce qu’il faut.

    Tous s’exécutèrent, même s’ils étaient tous ravis de voir leurs nouvelles armes, ils n’en furent pas moins frustrés de devoir ranger celles des absents. Epaminondas regarda le groupe s’affairer avec satisfaction. Enfin, ils allaient pouvoir avancer, mais rien n’était fait et ils étaient loin d’être prêts. La seule chose qui le rassurait, c’est que Sparte ne s’était pas encore décidé à les attaquer. Ils étaient plutôt calmes pour le moment, mais cela n’allait certainement pas durer. Epaminondas était sûr qu’ils préparaient quelque chose et depuis que la ville de Thèbes avait réussi à reprendre la Cadmée, Sparte était plus que jamais décidé à les envahir.

    -         Quelque chose t’inquiète ? Demanda Pélopidas à son ami.

    -         Hein ? Ah non, pas vraiment. Je m’étonnais juste que l’on n’ait pas eu de représailles de la part de Sparte.

    -         Ne pense pas à ça pour l’instant, ils attaqueront bien assez tôt. En attendant, il vaut mieux s’occuper d’eux et récupérer les fuyards.

    -         Tu es un peu dur avec eux, fit Epaminondas avec un sourire. Après tout, nous aurions dû les retenir tant qu’ils étaient là.

    -         Ce n’est pas une raison.

    -         L’entraînement était terminé, on ne peut pas leur reprocher de faire une pause.

    -         Bon d’accord, dit Pélopidas en grommelant.

    -         Quoiqu’il en soit, nous avons du travail avec eux.

    -         Arrête de t’inquiéter pour ca.

    -         Bien sûr que je m’inquiète. L’armée de Sparte est prête. Je me demande ce qu’on fera s’ils attaquent et si nos hommes ne sont pas prêts.

    -         On fera comme avant, nous prendrons notre armée. Je ne vois pas ce que cela change. De toute façon, nous avons créé ce bataillon en plus, pour augmenter notre force.

    -         Mais ce n’est pas seulement cela. J’ai une stratégie et je ne peux pas la tester pour l’instant avec notre armée actuelle. Je veux que tout soit parfait.

    -         Si c’est le cas, alors il faut être patient. La Grèce ne s’est pas faite en un jour. Si les dieux avaient voulu qu’on soit plus rapide, on le serait, crois-moi.

    -         Mais, je voudrai que l’on soit déjà prêt.

    -         Je le sais, mais en attendant, on fera comme d’habitude. Nous résisterons et repousserons l’ennemi. Quand le bataillon sera prêt, qui te dit, que tout marchera comme tu l’as prévu ? Demanda Pélopidas.

    -         Je ne le sais pas, en effet, mais je crois à ma stratégie. Sans espoir, il n’y a pas de miracle.

    -         Tu es trop optimiste, Epaminondas.

    -         Et toi, pas assez, comme d’habitude. Tu es un très bon stratège, Pélopidas, mais tu n’as pas assez confiance en toi, quand la situation t’échappe.

    Pélopidas se renfrogna. Il savait que son ami avait raison, mais il ne pouvait s’empêcher d’être anxieux. Que feraient-ils si Sparte attaquait ? Le bataillon ne servirait peut-être à rien ? Il serait peut-être décimé avant d’avoir pu combattre une seule fois.

    -         Le Conseil se réunit ce soir. Nous prendrons une décision à ce moment là, dit Epaminondas.

    -         Très bien, comme tu veux, mais si on nous attaque et que l’on est anéanti, tu ne pourras pas dire que je ne t’aurai pas prévenu.

    -         Si on est décimé, tu ne seras plus là pour en parler.

    -         C’est bon, ne joue pas sur les mots.

    -         Il ne fallait pas m’en laisser l’occasion, fit Epaminondas avec un sourire.

    Epaminondas avait le don de faire des blagues au bon moment et Pélopidas ne put s’empêcher de sourire malgré lui.

    Un peu plus tard dans la journée, ils se rendirent au Conseil. La situation était plutôt sérieuse. Se passait-il quelque chose qu’ils ignoraient ? Ils se mirent près de Gorgidas et Epaminondas ne put s’empêcher de lui demander ce qui se passait.

    -         Il paraît que les Spartiates projettent d’envahir, une fois de plus la Béotie, dit-il.

    -         Ce n’est pas nouveau.

    -         Mais ils prévoient d’attaquer dans les semaines qui viennent. Les Béotarques se demandent si les soldats sont prêts à se battre.

    -         En tout cas, notre bataillon ne l’est pas.

    -         C’est le moins que l’on puisse dire, dit Gorgidas. Mais j’ai une idée pour remédier à ça.

    -         Ah oui ?

    -         Bien sûr. Occupes-toi de ta flotte et moi je m’occuperais de mes soldats. Ne t’en fais pas, je vais leur fournir un entraînement qu’ils n’oublieront pas. L’action, il n’y a rien de mieux pour apprendre.

    -         Tu comptes les envoyer comme ça, dans la bataille, alors qu’ils ne sont pas encore prêts ? Certains sont encore en phase d’apprentissage.

    -         Epaminondas, pourquoi être si peu confiant ?

    -         Ce n’est pas ça.

    -         Fais-leur confiance. Ils ont déjà eu un bon entraînement. Ils vont apprendre avec le reste de l’armée. C’est ce qu’il y a de mieux à faire en attendant. Cela leur permettra d’apprendre un peu plus.

    -         C’est une idée. Je te laisse faire à ta guise.

    Gorgidas se mit à sourire. Quand le Conseil commença, tous les Béotarques étaient nerveux. Le premier parla sans détour.

    -         Sparte est prête à attaquer. Elle veut récupérer la Béotie. La question est : Sommes-nous prêt à leur faire face ?

    -         Il n’y a aucune raison que ce ne soit pas le cas, dit Pélopidas. On a repris la Cadmée, il y a quelques années et nous avons la possibilité de leur faire face.

    -         Ils restent plus nombreux, Pélopidas.

    -         Je sais, mais nous avons une bonne armée.

    -         Le mieux est de demander à notre général de nous donner son avis sur ses troupes.

    Gorgidas se leva et alla se mettre au centre de la salle. Il avait quelque chose de fier sur le visage. Il se mit face à l’assemblée et les regarda en souriant.

    -         Alors, général Gorgidas ? Demanda un des Béotarque.

    -         Les soldats en tant que tels, sont prêts. Ils ont reçu la même formation que les autres soldats et ils ont un atout majeurs, ils commencent à savoir travailler en équipe. Ce ne sont pas les meilleurs soldats de l’armée, mais ils peuvent faire face à Sparte, j’en suis certain. Et rentrer dans l’armée leur donnera beaucoup plus d’expérience et ne fera que les préparer pour la suite.

    -         Donc, tu comptes les intégrer à l’armée actuelle ?

    -         Oui, l’armée terrestre.

    -         Pourquoi ne pas les répartir sur d’autres bataillons ?

    -         Vous entendez par là, la flotte maritime ou les cavaliers ? Demanda Gorgidas.

    -         Impossible, intervint Epaminondas. Les soldats de la flotte ont subi un entraînement spécial. Les nouveaux soldats ne sont pas prêts à combattre sur la mer, certains ne l’ont même jamais vu. On ne peut pas se permettre de les envoyer se battre sur un bateau alors qu’on ne sait même pas s’ils peuvent supporter d’être balloter par les vagues.

    -         Oui, je comprends ce que tu veux dire, Epaminondas, dit un des Béotarque. Faites ce qui est le mieux, mais ça ne nous dit pas si on sera capable de faire face à Sparte.

    -         Il faut essayer, dit Epaminondas. Si on reste là sans rien faire, ils nous attaqueront et s’empareront de la Béotie et nous aurons perdu. Ce n’est pas ce que vous voulez, il me semble ?

    -         Ne t’emporte pas, Epaminondas. Même si nous les combattons, rien ne nous dit que vous vaincrons.

    -         Mais nous aurons au moins essayé de les contrer, intervint Gorgidas.

    La plupart des Béotarques regardèrent Gorgidas, puis Epaminondas, comme s’ils étaient fous, mais les autres considéraient qu’ils n’avaient peut-être pas tort. La réunion se termina sur une note interrogative. Les Béotarques n’étaient pas convaincus qu’il fallait combattre Sparte, sûrement par peur des représailles. S’ils perdaient la première bataille, ils seraient décimés, c’était une évidence, seulement, ils avaient envie de croire en Epaminondas et en Gorgidas.

    -         Ils sont têtus, dit Gorgidas.

    -         Oui, ils ont toujours été comme ça, dit Pélopidas. Mais ils ont peur, on peut les comprendre. S’il y a une guerre et que nous la perdons, ça se répercutera sur la population et ils ne veulent pas les faire souffrir.

    -         Oui, seulement, si nous ne combattons pas, Sparte s’emparera de Thèbes et la population souffrira tout autant.

    -         Tu n’as pas tort, Gorgidas, dit Epaminondas. Mais, ils ne voient pas ça comme ça. Ils attendront certainement de la clémence de la part de Sparte si nous nous rendons sans combattre.

    -         Je refuse qu’on en arrive là, s’emporta Gorgidas. On ne peut pas se rendre sans combattre, ce serait indigne de nous. Et surtout, pourquoi avoir repris la Cadmée, si c’est pour au final leur laisser la reprendre ?

    -         Va savoir ? Nous y avons mis toute notre énergie pour reprendre la Citadelle, dit Pélopidas. Et je n’ai pas envie que nos efforts aient été vains.

    -         Non, ils n’ont pas été vains, fit Epaminondas. Et nous ne nous laisserons pas faire. Je refuse d’abandonner alors que nous avons mis toute notre énergie à former notre armée. Même si le bataillon n’est pas prêt, il nous reste toute l’armée terrestre et la flotte maritime. Je crois en leurs compétences.

    Sur ces derniers mots d’Epaminondas, ils retournèrent à la Cadmée, mais un doute subsistait dans leurs esprits. Et s’ils n’y arrivaient pas et qu’ils perdaient ? C’était inconcevable pour eux, et ils ne voulaient pas y croire, pourtant…

    Le soir même, ils décidèrent d’emmener les soldats du bataillon à l’extérieur de Thèbes. Ils les firent marcher pendant plusieurs heures, sous les étoiles.

    -         Pourquoi nous faire endurer ça ? Demanda Alexis.

    -         Pour nous former, pour quoi d’autre ? Répondit Léandre.

    -         Nous faire sortir en pleine nuit, quelle idée, on devrait dormir.

    -         Et si l’ennemi attaquait en pleine nuit, tu resterais à dormir comme un bébé ?

    -         Je suis un gros dormeur, tu le sais bien.

    -         Oui, je le sais, tu n’entendrais même pas une attaque arriver. C’est pour cela qu’ils nous font subir cet entraînement.

    -         Mais avec nos armes et nos armures… se plaignit Alexis.

    -         Tu préfères te battre nu, peut-être ?

    -         Non, mais…

    -         Arrête de te plaindre. Je croyais que tu supporterais tout.

    -         Mais, c’est le cas, on a décidé de s’engager ensemble et je ferais tout avec toi.

    -         Alors, tais-toi pour le bien de notre couple.

    Alexis bougonna, mais ne dit plus rien. Il n’était pas la peine de continuer à discuter avec Léandre, de toute façon, il trouverait toujours quelque chose à redire. Ils s’arrêtèrent sur une petite colline pour se désaltérer un moment pour le plus grand bonheur des soldats qui se demandaient encore à quoi rimait cet entraînement.

    -         Tu comptes les emmener jusqu’où ? Demanda Epaminondas à Gorgidas.

    -         Je les emmènerais jusqu’où ils pourront aller.

    -         Si ça continue, on va finir à Sparte.

    -         Si c’est le cas, on aura plus qu’à les attaquer, dit Gorgidas avec un sourire.

    -         Ils ne sont pas prêts pour l’instant.

    -         Je sais et je sais aussi que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des hommes. Ecoute, Epaminondas, il faut qu’ils apprennent à aller jusqu’au bout de leur limite.

    -         Je comprends.

    Epaminondas regarda un moment Gorgidas avant de reporter son attention vers les soldats. Il enviait Pélopidas qui était resté à Thèbes pour s’occuper du reste de la garnison. Il se leva et rejoignit le groupe de soldats où se trouvaient Alexis, Léandre, Ewan et Sasha.

    -         Maître Epaminondas, dit Léandre en se levant.

    -         C’est bon, ne te lève pas.

    -         A quoi ça rime tout ça ? Demanda Alexis.

    -         Ca fait parti de votre entraînement, répondit Epaminondas. A quoi t’attendais-tu ?

    -         En fait, je n’en sais rien.

    -         Vous essayez de tester notre résistance ? Demanda Sasha.

    -         Oui, exactement. En combat, vous devrez vous montrer les plus forts et les plus résistants. Vous n’avez pas droit à l’erreur, un moment d’inattention et c’est la mort. Vous aurez certainement affaire à des soldats beaucoup plus expérimentés que vous et il faut que vous soyez prêts à les combattre.

    Alexis et Léandre se regardèrent. Ewan et Sasha semblaient boire les mots du Béotarque. Epaminondas se sentait important face à ces jeunes. Il se leva pour les laisser à leurs réflexions.

    -         Je ne sais pas quoi penser, dit Alexis.

    -         Alors, ne pense pas, répondit Léandre.

    -         Arrête d’être aussi méchant, bougonna Alexis.

    -         Vous vous entendez plutôt bien, dit Ewan.

    -         Oui, on se connait depuis longtemps, expliqua Léandre. Mais, je crois qu’Alexis a dû mal à se rendre compte de ce qui se passe. Il m’a juste suivi.

    -         Non, on a décidé ensemble de s’engager.

    -         Oui, mais tu l’as fait sans vraiment comprendre.

    -         Dis aussi que je suis bête, s’emporta Alexis.

    -         Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

    Alexis commença à s’emporter et Léandre se boucha les oreilles pour ne pas l’entendre. Sasha et Ewan quant à eux, ne pouvaient que sourire. Ils étaient un peu pareils, parfois. Les disputes font partis du quotidien et il était difficile d’y échapper.

    -         Allez, on reprend la marche, s’écria Gorgidas.

    Les soldats se levèrent se demandant quand cette marche se terminerait. Certains commençaient à fatiguer, d’autres s’endormaient en marchant. Gorgidas semblait assez content de ce qui se passait et il se demandait qui craquerait en premier.

    -         On devrait rentrer, dit Epaminondas.

    -         Pourquoi ? Tu es fatigué ?

    -         Non, pas moi, mais eux, oui.

    -         Je te l’ai dit, nous devons savoir jusqu’où ils sont prêts à aller. N’oublie pas que l’ennemi n’aura pas autant de compassion. Il faut les préparer. Tu sais, je crois que Sparte va bientôt attaquer. Tous les autres soldats sont prêts, mais eux, ont encore beaucoup à faire.

    -         Pourquoi avoir dit au Conseil qu’ils étaient prêts, alors ?

    -         Pour ne pas les inquiéter. Ecoute, ça va aller. Ils se battront avec les autres. Je ne compte pas les mettre en première ligne. On continue ?

    Epaminondas acquiesça. Ils marchèrent pendant encore de longues heures et peu à peu les soldats lâchèrent. Gorgidas fut plutôt content du résultat. Ils avaient tenus beaucoup plus longtemps que prévu et ils s’aperçurent finalement, qu’ils étaient revenus à Thèbes.

    -         Tu nous as fait tourné en rond, fit remarquer Epaminondas.

    -         Oui, c’est exact. Je ne voulais pas les éloigner trop longtemps. Je suis satisfait de ce qu’ils ont accompli. Quand j’ai formé mes premiers soldats la première fois, ils ont tenus à peine six heures. Là, nous avons largement dépassé ce que je prévoyais.

    -         Et tu n’es pas fatigué ?

    -         Bien sûr que si, je le suis. Je ne suis pas infaillible, tu sais. Je crois qu’ils ont mérité de se reposer pour la journée.

    -         Oui, j’aimerais bien aller dormir, moi aussi.

    Gorgidas se mit face à ses soldats, avec un grand sourire sur le visage. Ils étaient tous à moitié endormis, fatigués et ils avaient tous mal partout.

    -         Je suis fier de vous, dit le général Gorgidas. Vous avez tenus le coup et je suis ravi du résultat que vous m’avez fournis. Vous êtes libres pour la journée. Je vous dis à demain.

    Les soldats soulagés, s’en allèrent tous dans leur tente pour dormir. Avant de se rendre dans la sienne, Gorgidas rejoignit Epaminondas qui s’apprêtait à partir de la Cadmée.

    -         Tu sais, je crois que les couples fonctionnent plutôt bien, dit Gorgidas. Ils ont tenus le coup parce qu’ils se sont soutenus mutuellement. C’est pour cela qu’ils ont tenus beaucoup plus longtemps que les autres. Je crois en ta stratégie, Epaminondas.

    -         Moi aussi, j’y crois. Nous commencerons plus tard la stratégie que j’ai mise au point. Demain, tu les répartiras dans l’armée. Si ce que tu m’as dit est vrai, nous devons être prêts quand Sparte attaquera.

    -         Bon, Epaminondas, je ne vais pas te retenir plus longtemps. Tu devrais aller te reposer un peu, tu as des petits yeux.

    -         Ce n’est pas plutôt toi qui es fatigué, plutôt ? Bon, repose-toi bien.

    -         Moi fatigué ? Tu plaisantes ? Je sais déjà ce que je vais faire.

    -         Je vois, dit Epaminondas. Mais n’en fais pas trop, un jour, ça va se retourner contre toi.

    -         Mais oui, enfin, à plus tard.

    -         A plus tard.

    Epaminondas et Gorgidas se séparèrent. Epaminondas rejoignit sa maison en plein centre de Thèbes, tandis que Gorgidas rejoignait sa tente, un peu plus haut à la Cadmée. Le camp était complètement désert, les soldats devaient être tous en train de dormir, éreintés par leur marche. Quand Gorgidas arriva dans sa tente, il constata avec un sourire que quelqu’un l’attendait.

    -         Tu n’es pas fatigué ? Demanda le général.

    -         Non, général Gorgidas, pas quand je sais que vous êtes là.

    -         Bien, dit Gorgidas avec un sourire. C’est gentil d’être là.

    Alors que Gorgidas refermait sa tente, Epaminondas s’attarda un moment en ville et profita de l’air matinal. Il n’était pas encore si fatigué que ça. Il avait l’habitude des nuits blanches et en chemin, il croisa Pélopidas en compagnie de sa famille.

    -         Bonjour Epaminondas, dit Ariane.

    -         Bonjour, répondit Epaminondas.

    -         Vous semblez fatigué, dit la jeune femme en tenant Hipparque par la main.

    -         Je viens de faire une longue marche.

    -         Vous êtes partis en pleine nuit ? Demanda Pélopidas.

    -         Je croyais que tu le savais.

    -         Non.

    -         C’est une idée de Gorgidas pour forger le caractère de notre nouveau bataillon. Nous sommes rentrés depuis peu.

    -         Et alors ?

    -         Ils ont tenu le coup. Alors, si vous voulez bien, je vais aller me coucher et me reposer un peu. Marcher aussi longtemps, ce n’est plus de mon âge.

    -         Il y a d’autres choses qui ne vont plus être de ton âge, si ça continue, fit remarquer Pélopidas.

    -         Pélopidas, dit Ariane d’un air réprobateur.

    -         Je sais très bien où tu veux en venir, mon ami, dit Epaminondas, mais je n’ai pas l’intention de me forcer à me marier avec une femme. J’ai trop de choses à faire.

    -         Tu devrais pourtant y penser, pour…

    -         Je sais, pour le bien de ma descendance. Ne t’en fais pas pour ça. Sur ce, a bientôt.

    Epaminondas bailla et s’en alla pour retourner chez lui. Pélopidas regarda son ami partir d’un air fâché, puis il reprit sa route en compagnie de sa femme et de son fils.

    -         Tu ne devrais pas être aussi dur avec lui, fit remarquer Ariane.

    -         C’est pour son bien que je lui dis tout ça, répondit Pélopidas.

    -         Je le sais bien, seulement tu sais très bien que tu ne pourras pas le convaincre comme ça. C’est à lui de faire ses choix.

    -         Je le sais bien, mais… il n’est plus tout jeune et s’il continue comme ça, il n’aura pas de descendance et ce serait vraiment une grande perte.

    -         Il a fait beaucoup de choses pour Thèbes, ne t’en fais pas pour lui.

    -         Si tu le dis, dit Pélopidas sur un ton inquiet.

    -         Allez, arrête de t’inquiéter, j’aimerais passer un bon moment avec notre fils et toi. C’est tellement rare. Tu passes tout ton temps soit au Conseil, soit avec ton armée.

    -         Je suis désolé, mais…

    -         Je sais, tu n’as pas le choix et tu aimes ça, dit Ariane. Je ne t’en blâme pas, mais laisse-moi au moins le loisir de profiter de toi, quand tu es là.

    -         Oui, tu as raison.

    Pélopidas savait qu’Ariane avait raison. Il devait profiter de passer du temps avec sa femme et son fils car il n’était pas sûr que la paix qui régnait actuellement durerait. Il prit la main de sa femme et continua sa promenade en essayant de ne pas penser à ce qui pourrait arriver.

     

     


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