• 6 L’arrivée d’un futur roi : Philippe de Macédoine

     

    -368 av. J-C

     

    Durant toute mon enfance, je ne fus que le troisième aux yeux de mon père. Il ne me voyait que comme un remplaçant potentiel, et encore… si c’était aussi simple. Mon père le roi Amyntas de Macédoine, ne jurait que par mon frère Alexandre, ou Perdiccas, mon deuxième frère, si bien qu’il n’a pas hésité à me donner comme otage aux Illyriens. L’Illyrie, patrie de ma propre mère Eurydice. Et il a fait tout ça, pour sauver sa propre paix. Sa propre paix, non, sauver sa peau serait plus juste à dire. Je n’y suis pas resté longtemps, jusqu’à la mort de mon père. Bien entendu, ce fut mon frère Alexandre qui prit sa place.

    Quant j’étais enfant, je l’enviais d’être le premier. Aucune chance que je puisse montrer sur le trône. Pas Philippe, non, impossible. Tout le monde aurait ri, si j’avais eu ce genre d’ambition. Alors, je ne faisais rien, je ne disais rien. J’apprenais seulement, pour être prêt pour plus tard, car en ces temps de guerre, certains rois ne faisaient pas long feu. Je ne souhaitais pas la mort de mon frère et de toute façon, je n’aurai pas eu droit au trône, même s’il mourrait. Il y avait Perdiccas, un peu plus fou, mais assez prudent pour ne pas mettre sa vie en danger inutilement.

    -         Philippe, dit mon frère.

    -         Oui, mon roi ? Demandais-je.

    Quelle mascarade ! Quant il n’était que mon frère, je ne faisais pas autant de manière. Je me souviens que plusieurs fois, je l’avais battu à la lutte. Alexandre est plus petit que moi, un peu moins musclé. Il n’aime pas trop se battre, je crois et il préfère vivre en paix. Mais avec ce qui se passe ses derniers temps, il n’a pas le choix de se battre, lui aussi. Mais aujourd’hui, quelque chose me dit que la réalité est tout autre.

    -         Nous allons recevoir des émissaires Thébains, je ne veux pas te voir traîner ici, dit-il.

    -         Oui, mon roi.

    -         Tu peux te retirer.

    Je grimace, mais ne dis rien. Pour lui, je ne suis plus son frère, pour moi, il reste l’idiot que j’ai toujours connu. Je sors de la salle et vais me promener dans les jardins. Si au moins, je n’étais pas ici, si je n’étais pas obligé de rester cloitrer dans cet endroit. Ce n’est pas que je n’aime pas la Macédoine, mais il reste tant de choses à découvrir dans le monde. Aller vers l’est, conquérir les autres contrées. Si seulement, je pouvais le faire. Mais Alexandre n’a pas cette ambition. Il préfère rester ici à Aigai, à contrôler seulement ce si petit pays. L’orient nous tend les bras et il les refuse. Imbécile !

    Je tape dans un caillou en essayant de l’envoyer au plus loin, quand je m’aperçois que trois hommes sont devant moi. Des hommes bien plus grands que moi. Ils ont l’air d’être assez âgé. Je regarde leur vêtement. Des Thébains ? Alors, ce sont eux les émissaires. Deux des trois hommes me regardent de haut, l’autre me sourit. Un homme aux cheveux courts, et barbu. Je passe mon chemin, même si je les salue par politesse. Ne jamais manquer de respect à une personne quelle quel soit, même si c’est son ennemi.

    Je me retrouve dans les rues d’Aigai, mais avant de sortir, je croise un garde avec qui je m’entends bien et qui m’a appris plusieurs prises à l’épée. Un très bon soldat, qui se cantonne à rester garde pour mon frère.

    -         Bonjour maître Philippe. Vous êtes bien matinal, dit-il.

    -         Mon frère m’a chassé, répondis-je. Pausanias, pourquoi restes-tu à ce poste ?

    -         Ne m’as-tu pas déjà posé cette question ?

    -         Oui, je sais, mais ça m’intrigue toujours. Et je n’ai pas de réponse précise.

    -         Parce que j’aime ce que je fais. Protéger le roi me suffit.

    -         Même si c’est un roi médiocre ?

    -         Je ne peux faire aucun jugement là-dessus, je garde pour moi mon opinion.

    -         Je comprends, répondis-je. Moi-même, je ne peux pas faire de commentaires, même si l’envie ne m’en manque pas. Le roi est mon frère et il ne me considère que comme un de ses sujets. Mon père aussi était pareil, il n’a pas hésité à me livrer comme otage.

    -         Vous lui en voulez encore pour ça ? Demande Pausanias.

    -         Bien entendu. Et mon frère est de la même trempe. Enfin, je suppose que c’est le lot quotidien d’un enfant né à la troisième place. Mais, je t’assure Pausanias, un jour ou l’autre, je serais le premier. Et toi aussi, tu devrais voir plus grand.

    -         Vous avez sans doute raison, dit-il.

    Je le regarde. Il est si jeune, pas beaucoup plus âgé que moi. J’ai quatorze ans, il en a dix-sept. Mais, il a beaucoup plus d’expérience, voilà tout. Pourtant, j’ai été formé au combat dès mon plus jeune âge, je suis un très bon lutteur et je manie bien l’épée.

    -         Je dois te laisser, dis-je finalement. Je vais aller faire un tour.

    -         Etes-vous sûr de vouloir y aller seul ? Demande Pausanias.

    -         Oui, à moins que tu ne veuilles m’accompagner.

    -         Je ne peux pas quitter mon poste.

    -         Tant pis, ce sera pour une prochaine fois.

    Pausanias grimace et je peux voir qu’il est contrarié de me laisser aller et venir, seul. Et qu’est-ce que je risque ? Je ne suis pas roi, je ne suis que le frère du roi et le gens ne voient pas mon visage, ils l’ignorent. Ils préfèrent regarder Alexandre, se prosterner devant lui, même si la plupart des gens savent que c’est un roi médiocre.

    Je sais très bien qu’il est en porta faux avec les Thébains et je suis persuadé que c’est pour cette raison que les trois hommes de tout à l’heure sont là. Je me demande ce qu’il a prévu pour maintenir la paix. Encore des otages. Moi peut-être ? Les Thébains sont de bons combattants, ils ont prouvé à maintes reprises qu’ils avaient une bonne armée, malgré leur infériorité numérique. Epaminondas, leur général Thébains est connu jusqu’au contré de la Macédoine. Excellent stratège et excellent soldat. J’aimerai bien le rencontrer.

    Je marche dans les rues d’Aigai, regardant les étalages du marché. Rien ne me tente, alors après une longue marche, je rentre au palais. Arrivé devant l’entrée, je sens que quelque chose cloche. Pausanias s’avance vers moi.

    -         Le roi vous demande, dit-il en grimaçant.

    -         Ca ne me dit rien de bon.

    -         Je ne sais pas, il n’avait pas l’être très content que vous soyez parti.

    -         C’est lui qui me l’a demandé, répondis-je en grognant.

    -         Il ne s’attendait pas à ce que vous sortiez du palais. Vous devriez vous dépêcher, ça a l’air d’être urgent.

    -         D’accord, j’y vais.

    Je quitte Pausanias et je traverse les jardins du palais, puis je monte les escaliers, traverse l’entrée et me retrouve devant la salle du trône. Un garde me fait signe que je peux y aller. J’entre prudemment et quand je m’avance à l’endroit où se trouve mon frère, je m’aperçois que les émissaires sont toujours là. J’arrive à leur hauteur. L’homme à la barbe me regarde en souriant. Il a l’air vraiment beaucoup plus sympathique que les deux autres.

    -         Tu en as mis du temps pour arriver, dit mon frère en me montrant qu’il est en colère.

    -         J’étais en ville.

    -         Je ne t’ai pas dit que tu pouvais t’éloigner du palais.

    -         Tu ne m’as pas dit que je ne pouvais pas.

    -         Ne sois pas insolent.

    Je ne dis rien, mais je n’en pense pas moins. Il fait croire qu’il a du pouvoir, mais en fait, il ne contrôle rien. Il n’arrive même pas à contrôler son propre petit frère.

    -         Je t’ai fait venir car nous avons des émissaires venus de Thèbes.

    Alors, ils venaient bien de Thèbes. Je les regarde attentivement. Et si l’un deux était le général Epaminondas ? Non, il ne se déplacerait pas pour si peu.

    -         Voici Epaminondas, Pélopidas et Actéon, trois généraux Thébains, dit Alexandre.

    Il me les désigne alors qu’il dit leur nom. Alors, l’homme à la barbe est le général Epaminondas et celui qui est à ses côtés et qui me regarde avec un air un peu plus sérieux est Pélopidas. Eh bien, si je m’attendais à ça. Je regarde mon frère, me demandant pourquoi il me les présente, même si je sens que je ne dois m’attendre à rien de bon.

    -         Tu vas partir avec eux, dit le roi.

    -         Pardon ?

    -         Tu as très bien entendu. C’est une condition pour la paix.

    Je ne dis rien. Alors finalement, il est comme notre père. Sacrifier la vie des autres sans scrupules. Et sur qui ça tombe ? Sur moi, comme d’habitude. Je regarde les envoyés Thébains. Combien d’otages ont-il demandé afin qu’ils puissent maintenir une paix durable ?

    -         Tu pars sur le champ.

    Je reste sans voix. Je ne peux rien dire. Encore une fois, je suis un otage, mais j’espère bien profiter de mon séjour à Thèbes. Epaminondas me fait signe qu’il est temps. Je n’aurai même pas le temps de dire au revoir à mes amis, ni à Pausanias. Je les suis, sans vraiment être convaincu de la réalité de la chose. Je regarde une dernière fois mon frère, qui lui, ne me regarde pas. Est-ce qu’il aurait des regrets ? Le connaissant, c’est peu probable. Nous arrivons dans les jardins.

    -         Tu ne prends rien ? Me demande Epaminondas soudainement.

    -         Comment ça ?

    -         Des effets personnels ?

    -         Non, pas la peine.

    A quoi bon de toute façon ? Comme dirait mon frère, rien ne m’appartient ici. Je regarde Epaminondas, qui lui, semble assez surpris. Sa sollicitude me touche, mais s’il croit que j’ai besoin de beaucoup de confort, il se trompe. Je suis peut-être jeune, mais je sais encore me débrouiller, seul. Nous nous préparons à partir et comme je le pensais, il y a d’autres otages, mais je suis le seul, libre. Pensent-ils que je ne vais pas m’échapper, ou croient-ils qu’ils sont assez forts pour me rattraper ? Quel que soit la raison, je ne m’enfuirais pas, je ne suis pas un froussard. De toute façon, à quoi bon m’échapper ? Je monte sur un cheval et nous partons.

    -         Je pensais qu’il serait moins docile, dit Pélopidas.

    -         C’est vrai, mais il fait parti de la famille royal, fit Actéon. Il doit savoir où est sa place et ce qu’il doit faire.

    -         Eh ! Fis-je soudainement. Je suis encore là. Je n’aime pas qu’on parle de moi, comme si je n’étais pas là.

    Ils me regardent un peu surpris et je vois Epaminondas rire de bon cœur. Apparemment, ma remarque l’a amusé. Pourtant, ça n’avait rien de drôle, mais bon. Nous continuons notre route en silence. Bien entendu, la route est longue, quelques jours à cheval avant d’arriver en Béotie et plus particulièrement à Thèbes.

    -         Est-ce que ça va ? Demande Epaminondas, alors que cela faisait déjà trois jours qu’on cavalait à travers la Grèce.

    Je n’ai adressé la parole à presque personne. Il me nourrisse, ne me traite pas comme un esclave, mais plutôt comme un prisonnier politique, c’était tout ce qui m’importe. Je me suis mis à l’écart, sans pour autant leur laisser croire que j’allais m’enfuir. Ils ne me disent rien, même si à présent Epaminondas semble se préoccuper un peu de moi.

    -         Oui, répondis-je simplement.

    -         Le voyage n’est pas trop long ?

    -         J’ai vu pire. Ce n’est pas la première fois que je suis dans cette situation.

    -         Ah oui ?

    -         Mon père m’a envoyé comme otage en Illyrie, comme c’était le pays natal de ma mère, j’ai été plutôt bien traité. Je suis revenu en Macédoine après la mort de mon père.

    -         Ce sera certainement pareil chez nous. Tu es un otage politique, tu seras bien traité, ne t’en fais pas.

    Je ne dis rien. Epaminondas a l’air sincère, même si je suis loin d’avoir confiance en lui. D’ailleurs, je n’ai confiance en personne.

    -         Je ne m’inquiète pas pour ça, répondis-je.

    -         Bien. Je ne sais pas encore ce qu’ils ont prévu pour toi, mais…

    -         C’est bon arrêtez, je n’ai pas besoin d’être consolé ou quoi que ce soit d’autre. Je ne suis plus un enfant.

    -         Et quel âge as-tu ? Me demande Epaminondas.

    -         Quatorze ans.

    -         Non, tu n’es plus un enfant, en effet, mais tu n’es pas pour autant un adulte.

    Je grimace. De toute façon, c’est toujours la même chose. Je suis à la fois considéré comme un homme et comme un enfant. Entre deux âges sans pouvoir trouver ma place. Je me lève, je sais que c’est mal poli de quitter une conversation en cours de route, mais j’ai besoin de m’éloigner. Je jette un œil à Epaminondas et me demande s’il va me suivre, mais il reste assis, un air interrogatif sur le visage. Je marche un peu quand je sens une main sur mon épaule. Elle est pressante et dur. Je me tourne vers la personne qui veut m’arrêter.

    -         Je ne compte pas m’enfuir, dis-je.

    -         Je sais, sinon tu aurais essayé avant. Nous sommes déjà loin de la Macédoine. Nous arriverons dans deux jours.

    Pélopidas est un homme bien étrange. Il est assez froid d’apparence et il semble avoir déjà bien vécu, tout comme Epaminondas. Les séquelles d’années de guerre. Ca change le physique d’un homme. Je me demande si j’aurai ce genre de séquelles quand je serais plus âgé.

    -         Tu sais te battre ? Demande Pélopidas.

    -         Oui, on m’a appris le combat à l’épée et la lutte.

    -         Bien.

    -         Pourquoi cette question ?

    -         Pour rien en particulier.

    Je ne comprends pas très bien ou il veut en venir, mais je préfère ne pas chercher à comprendre. Il m’emmène devant le feu où nous dînons tranquillement, en silence. Pélopidas et Epaminondas ont une conversation animée sur ce qu’ils vont faire en rentrant, que je n’écoute pas. Ils ne disent rien de bien intéressant pour l’instant. Je porterais mon attention sur la conversation quand cela aura un vrai sens. Je me lève et vais dans une des tentes pour aller dormir. A quoi bon rester à veiller alors que je n’ai rien à faire ?

     

    Deux jours plus tard, comme prévu, nous arrivons à Thèbes, grande ville, aussi grande que Pella. C’est un autre paysage qui s’offre à moi. Après un très long moment d’attente, on m’annonça enfin où j’allais vivre.

    -         Il a été décidé que tu viendrais chez moi, dit Epaminondas.

    -         C’est vous qui avez décidé de ça ? Je me trompe ?

    -         On peut dire ça, dit-il avec un sourire.

    -         Vous essayez de me rendre la vie plus agréable, ça ne sert à rien. Je sais vivre à la dure.

    Epaminondas continue de sourire tandis que nous nous rendons chez lui. Je me demande combien de temps je vais rester ici. Je me demande si je pourrais apprendre quelque chose ici. Je pourrais peut-être mettre à profit ma captivité pour observer. Epaminondas reste un grand chef de guerre et apprendre à ses côtés pourrait m’être profitable. Encore faut-il qu’il m’accorde sa confiance.

    -         Puisque tu es là, autant que ta captivité te soit agréable.

    -         Et vous comptez vraiment me garder avec vous ? Vous ne me considérez pas comme un fardeau, plutôt qu’un otage précieux ?

    -         Tu pense que je vais t’enfermer chez moi ? Je te rassure, ce n’est pas le cas. Si tu le souhaite, un peu plus tard, tu pourras m’accompagner lors des entraînements de l’armée.

    Je le regarde, un peu étonné. Finalement, c’est plus facile que je le pensais, même si je reste méfiant. Il est bien trop gentil, je trouve, ou alors c’est dans son caractère. Alors que nous arrivons chez lui, nous tombons sur un groupe qui s’arrête devant nous.

    -         Bonjour maître Epaminondas, dit un jeune homme qui ne doit pas avoir plus de vingt-cinq ans.

    -         Bonjour à vous quatre. Vous vous promenez ? Vous ne devriez pas être en train de vous entraîner.

    -         Maître Gorgidas nous a laissé un peu de temps libre, dit un autre homme qui semble un peu plus âgé que lui.

    -         Il vous en laisse trop, je trouve. Enfin, profitez-en bien. Si vous voulez bien m’excuser, nous allons vous laisser.

    Les quatre jeunes hommes me regardent, se demandant certainement qui je suis. Je les regarde de la même manière, les dévisageant. Ils sont plutôt beaux et assez robustes.

    -         Ce sont de bons soldats ? Demandais-je.

    -         Très bon, ils font partis du bataillon de la cité.

    -         Oh ! J’en ai entendu parler. Alors, vous avez vraiment un bataillon qui n’est consacré qu’au combat ?

    -         Oui, répondit Epaminondas.

    -         Est-ce que je pourrais en savoir plus ?

    -         Un peu plus tard, si tu veux bien. Pour le moment, nous allons dîner et nous reposer. Je te montrerai un peu la ville, demain.

    -         Vous êtes bien trop gentil avec moi, répondis-je. Un jour, je pourrais profiter de votre gentillesse, vous ne me connaissez pas.

    -         Oui, je sais. En tout cas, je pense que tu seras un bon élève. Alors profite de ton séjour ici.

    C’est ce que je compte faire. Il est vraiment étrange comme personnage. Il croit en ce qu’il fait, c’est le meilleur général de Thèbes et il sait faire preuve d’une gentillesse incroyable, malgré ce qu’il a vécu. Je me demande si je ne serais pas aigri à force de me battre. En plus, il n’a pas l’air d’avoir d’enfants, alors sait-il comment s’occuper d’un garçon qui n’est pas encore un adulte ?

     

    Durant les jours qui suivirent, Epaminondas m’emmena un peu partout, sauf là où j’aurais aimé être. A savoir leur salle de Conseil. Epaminondas a refusé tout net de m’y emmener quand je lui ai posé la question ainsi qu’au gymnase où s’entraîne le fameux bataillon. Je n’ai d’ailleurs pas croisé d’autres soldats que ceux que j’ai vus mon premier jour ici. J’aurais aimé rencontrer les soldats et en apprendre un peu plus sur leur stratégie.

    -         Je croyais que je devais profiter de mon séjour, dis-je après une semaine de captivité.

    -         Il faut être patient.

    Je le regarde et en voyant son visage, je comprends maintenant pourquoi il n’a voulu m’emmener dans aucun endroit qui lui poserait des problèmes. A savoir, que si je m’enfuis, je pourrais leur causer du tort en connaissant tous leurs secrets. Je comprends parfaitement sa méfiance.

    -         Je comprends, dis-je finalement. C’est normal que vous vous méfiiez de moi.

    -         Tu comprends vite à ce que je vois. J’ai besoin de savoir si je peux te faire confiance. Est-ce que j’ai tort ?

    -         Non, répondis-je. Je pense que je ferais pareil, si j’étais dans votre cas.

    Epaminondas me sourit et je le lui rends. Je pense qu’on va bien s’entendre. Je continue à manger et pendant un moment, nous restons silencieux. J’aime les dîner où il y a de l’animation, mais j’avoue que ce silence est assez apaisant, c’est peut-être parce que je ne suis pas chez moi.

    -         Que penses-tu de l’attitude de ton frère ? Demande Epaminondas soudainement.

    -         Je n’en pense rien.

    -         Tu n’as pas un avis ? Qu’aurais-tu fait à sa place ?

    Je fais mine de réfléchir, parce que la réponse et toute trouvée et que je sais déjà ce que j’aurais fait.

    -         Je me serais battu, dis-je.

    -         Même en sachant que ça pourrait causer ta perte et celle de ton pays ?

    -         Et vous ? Vous avez réfléchi en allant combattre en nombre inférieur la ville de Sparte ?

    -         Tu es bien renseigné.

    -         Toute la Grèce le sait et vos exploits ont dépassé sa frontière. Quoiqu’il en soit, vous ne vous êtes pas demandé à ce moment-là si vous mettiez en danger votre confédération.

    -         C’est vrai, j’aime beaucoup ta façon de voir les choses.

    -         Moi aussi, j’apprécie votre façon de voir les choses.

     

    Mes discussions avec Epaminondas étaient assez animées. Nous avions pas mal de choses en commun et je remarquais aussi que nos idées étaient assez proches. C’était plutôt amusant à constater. Ce n’est que deux semaines plus tard qu’il se décida enfin à m’amener où je voulais.

    Je pense que j’ai enfin acquis sa confiance, enfin suffisamment pour qu’il m’emmène enfin à la Cadmée. Il a compris que je ne m’enfuirais pas et que je le respectais.

    Nous empruntons un chemin sinueux, avant d’arriver devant un grand bâtiment. Et maintenant, que je suis devant, je suis assez impressionné par cette structure. J’ai hâte de voir comment est aménagé l’intérieur. Dire que cet endroit n’est dédié qu’aux soldats, des soldats professionnels qui ne sont entraînés que pour combattre.

    -         Impressionnant, hein ? Dit Epaminondas.

    -         Oui, je ne m’attendais pas à ça.

    -         On y va ? Tu vas rencontrer Gorgidas. Tu ne l’as pas encore vu, il me semble.

    -         Non, répondis-je. Pas encore.

    -         Bien, alors, c’est parti.

    Nous entrons dans le bâtiment et la première chose que je vois, c’est le grand gymnase où s’entraîne une vingtaine de soldats à la lutte. Un peu plus loin, j’en vois d’autres qui font la course. C’est une belle infrastructure. Nous traversons plusieurs pièces et nous arrivons devant un homme, assez jeune, brun, aux yeux bleus, très musclé, ceci étant sûrement dû à ses nombreux combats et entraînements.

    -         Ah Epaminondas, bonjour, dit l’homme. Comment vas-tu ? Tu nous as amené le Macédonien ?

    -         Oui, répondit Epaminondas. Gorgidas, je te présente Philippe de Macédoine. Philippe, voici le général Gorgidas.

    Je le toise du regard et le salue comme il se doit. Il me sourit un peu trop franchement à mon goût, mais ce doit être dans sa nature.

    -         Enchanté de te connaître, Philippe.

    -         Moi aussi, répondis-je poliment.

    -         Est-ce que tu te plais ici ?

    -         Oui, assez.

    -         Ce n’est pas trop dur de vivre avec un célibataire endurci ?

    -         Gorgidas, ne commence pas.

    -         Quoi ? Tu sais très bien que je dis la vérité. Tu aurais une femme et des enfants, il n’y aurait aucun problème.

    -         Tu connais déjà ma position à ce sujet.

    Je regarde Epaminondas et Gorgidas se quereller, gentiment. Epaminondas n’a pas de femme, ni d’enfants. Je me demande s’il compte laisser une descendance. J’avoue, je me suis demandé s’il ne préférait pas la compagnie des hommes, mais en fait, je crois que son amante la plus fidèle, c’est Thèbes, elle-même. Il ne se consacre qu’à sa ville et son pays. Je crois qu’il n’imagine pas se vouer à quelqu’un d’autre.

    -         Bon, sur ces bonnes paroles, je retourne au travail. Nous avons un entraînement. Nous devons remanier les troupes depuis la dernière bataille. Philippe, ça te dit de venir ?

    Je regarde Epaminondas et il acquiesce d’un mouvement de tête. Je le gratifie d’un sourire. J’ai l’impression d’être un gamin avec un nouveau jouet, mais bien entendu, je ne le montre pas.

    -         C’est parti, prince Philippe, dit Gorgidas avec un sourire.

    Je le regarde un peu étonné. Cela fait longtemps qu’on ne m’a pas appelé comme ça. J’avoue que ça me fait bizarre. Je le suis, un peu derrière lui.

    -         Tu t’es déjà battu ? Demande Gorgidas.

    -         Oui, bien entendu. Je suis très bon en lutte.

    -         Oh ! J’ai hâte de voir ça.

    Je ne sais pas si je dois le croire. J’ai plus l’impression qu’il se moque de moi qu’autre chose, mais bon… je préfère ne rien dire. Nous arrivons sur une plaine où sont déjà présents une bonne centaine de soldats. Je reste en retrait pour les regarder et je vois le général Gorgidas donner ses ordres de formation et c’est là que je m’aperçois que la tactique de combat est très différente de celle des autres armées. C’est une concentration de soldats au niveau de l’aile gauche. Ils recentrent leur rang, tenant leur lance en main et leur bouclier. Je crois que je comprends un peu mieux leur stratégie et j’aimerais vraiment les voir en action.

    Je reste un long moment à regarder les soldats, jusqu’à que Gorgidas revienne vers moi. Il est un peu essoufflé, je crois que l’entraînement est terminé, car les rangs sont rompus et chacun semble rentrer à la Cadmée, certainement pour reposer les armes.

    -         Alors ? Demande Gorgidas.

    -         Impressionnant, dis-je simplement.

    -         Tu n’es pas très bavard.

    -         Je préfère observer, répondis-je.

    -         Tu as raison, c’est une bonne façon d’apprendre. Mais, si tu as des questions, n’hésites pas.

    -         Vous ne devriez pas vous méfier de moi ?

    -         Si Epaminondas te fait confiance, alors moi aussi.

    -         Je serais plus prudent, si j’étais vous.

    -         Ne t’en fais pas pour moi, dit-il avec un sourire.

    Je ne réponds rien, mais je pense qu’il sait ce qu’il fait. S’il voyait en moi un ennemi, je pense qu’il ne se serait pas dévoilé surtout militairement, parce que je ne connais rien de sa vie, pour l’instant.

     

    Quelques mois ont passé depuis que je suis arrivé à Thèbes. Je me suis assez bien intégré. Epaminondas est beaucoup plus souple avec moi et je passe souvent du temps avec les soldats de la Cadmée. Je reste souvent avec les mêmes personnes. Selon Gorgidas, ce sont les meilleurs soldats du bataillon.

    -         Comment vas-tu, Philippe ? Demande Léandre en me voyant arriver.

    -         Je vais bien, merci. Vous comptez vous entraîner aujourd’hui ?

    -         Non, nous sommes en repos. Nous devons bientôt partir, donc c’est notre dernier jour de libre avant le départ.

    -         Oh !

    Ils doivent partir et moi je vais devoir rester ici. J’aurais aimé les accompagner, mais en tant qu’otage, je ne dois pas me mettre en danger. Enfin, otage est un bien grand mot, maintenant, j’ai plutôt l’impression de faire parti du décor. Ils m’ont tous intégré et pour l’instant, je ne suis pas prêt de repartir. Alexandre évite les conflits et le palais ne me manque pas. Les seules choses que je regrette, ce sont les entraînements et les discussions avec Pausanias. Mais en matière de combat, j’ai trouvé bien meilleur, même si Pausanias m’a donné les bases.

    -         Ne sois pas déçu, dit Léandre.

    -         Je ne le suis pas. Je regrette juste de ne pas pouvoir vous accompagner.

    -         Qui sait ? Epaminondas te laissera peut-être venir, dit Alexis, le compagnon de Léandre.

    -         J’en doute, répondis-je. Même si je n’en ai pas besoin, il passerait son temps à me surveiller. Il a même prévu de me laisser chez un de ses amis en attendant qu’il revienne.

    -         C’est dommage, fit Alexis. Ca aurait été bien que tu vois les combats de près. Enfin, nous n’allons pas aller contre maître Epaminondas.

    -         Exactement, dit Léandre.

     

    Et ce fut ainsi pendant encore de longs mois, jusqu’à ce qu’Epaminondas s’aperçoive que je n’étais vraiment plus un petit garçon. J’apprenais avec lui et les secrets du bataillon de Thèbes, ne l’étaient plus. Les autres soldats m’avaient formé mieux que ceux de mon propre pays.

    Le temps a passé et je rentre dans ma dix-septième année. J’ai l’impression d’avoir vécu plus longtemps à Thèbes que chez moi. Et pourtant ma captivité m’a semblé beaucoup plus longue et laborieuse quand j’étais en Illyrie. Certainement, parce que je me sentais réellement prisonnier.

    -         Philippe, où vas-tu ?

    Je regarde Epaminondas. Il me laisse souvent vagabonder seul, seulement, il aime savoir où je vais. Il ne veut pas que je me perde quelque part. Même s’il ne me considère plus vraiment comme un otage, je reste quand même un « ennemi ».

    -         Je vais à la Cadmée.

    -         Non, pas maintenant, dit Epaminondas avec sérieux.

    -         Pourquoi ? Demandais-je un peu surpris par son ton solennel.

    -         Il y a quelque chose dont on doit parler.

    Son ton ne me plait guère. Il n’a jamais été aussi sérieux avec moi. J’ai l’impression qu’il est arrivé quelque chose de grave, ça ne me plait pas du tout.

    -         Sortons un peu, dit-il.

    -         Dites-le-moi, maintenant.

    -         Sortons, s’il te plait.

    Je sens que la chose ne va pas être une partie de plaisir à entendre, mais tant pis, je vais l’écouter avec attention. Je n’ai pas beaucoup le choix. Finalement, je sors avec lui. Nous marchons plusieurs minutes, en silence. J’ai envie de lui demander ce qui se passe, qu’il me dise rapidement ce qui est arrivé, mais il ne semble pas décidé à parler et j’avoue que ça m’énerve.

    -         Alors, qu’est-ce qu’il y a de si important ?

    -         J’ai appris ce matin, commence-t-il. Que ton frère, le roi Alexandre a été assassiné lors du festival qui se déroulait à Pella.

    Il me dit ça avec beaucoup de sérieux, l’air affecté réellement. Je crois que je me suis arrêté de marcher. Mon frère est mort ? Alors, c’est ça, la mauvaise nouvelle. Il a été assassiné. Pourquoi ne suis-je pas étonné ? Il ne faut pas croire que ça ne m’affecte pas. C’était mon frère, mon grand-frère. Je suis touché par son décès, mais je ne sais pas quoi dire en de telles circonstances. Epaminondas semble attendre une réaction de ma part, mais elle ne vient pas. Nous continuons à marcher, en silence, un silence endeuillé, je crois. Finalement, alors que nous nous dirigeons à la Cadmée, Epaminondas se met à parler.

    -         Il est possible que tu sois renvoyé chez toi, dit-il.

    -         Ah !

    -         Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que tu restes ici. L’alliance qui a été conclu avec ton frère Alexandre n’est plus puisqu’il est mort. Et je pense que tu as assez prouvé ta valeur pour qu’on te laisse partir.

    -         Je vois, dis-je simplement.

    J’avoue que je suis un peu déçu, mais pas par ce qu’il vient de me dire, parce que c’est un compliment, mais surtout à l’idée de devoir partir. Je crois que je me suis habitué à vivre ici. Ce n’était pas si mauvais de ne pas être un prince après tout, je crois que je suis fait pour me battre.

    -         Quand est-ce que je vais repartir ?

    -         Demain.

    -         Si vite ?

    -         Oui, je pense que c’est le mieux. Les funérailles de ton frère se feront dans quelques jours. Ton autre frère Perdiccas va monter sur le trône.

    -         D’accord.

    Perdiccas. Je l’avais presque oublié. J’avais presque oublié que je n’étais que le troisième fils d’un roi mort. La réalité me revient en pleine figure. J’ai tellement pris l’habitude d’être le seul aux yeux de quelqu’un que j’avais oublié que j’avais une autre famille.

     

    Le lendemain, je suis parti. J’ai dit au revoir aux membres du bataillon sacré et à Epaminondas qui n’a pas pu m’accompagner. J’ai eu un pincement au cœur, comme si je quittais une famille, mais je sais que ma place est en Macédoine. Avec tout ce que j’ai appris, je suis sûr que je pourrais mettre à profit mes connaissances au service de mon pays.

     

    ***

     

    Après la mort d’Alexandre II, Perdiccas III monta sur le trône. Il mourut sur le champ de bataille lors d’un combat contre les Illyriens avec quatre milles de ses hommes. Son fils Amyntas IV prit sa place, sous la tutelle de Philippe, qui l’écarta du pouvoir, se faisant proclamer roi par l’assemblée et le peuple Macédonien. Philippe de Macédoine donna naissance au plus grand roi de Macédoine, Alexandre Le Grand. Il fut à l’origine de la défaite du bataillon sacré de Thèbes à Chéronée. Philippe fut assassiné, par un de ses soldats, nommé Pausanias lors du mariage de sa fille Cléopâtre avec le roi Alexandre d’Epire.

     

     


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