• 5 Leuctres

     

    -371 av. J-C

     

    Après leurs victoires décisives précédentes, Epaminondas et Pélopidas décidèrent que rien n’était pas encore terminé. Sparte était toujours décidé à envahir la Béotie et ils n’étaient pas prêts à la laisser faire. Le bataillon de la cité, comme il se faisait appeler depuis quelques temps, notamment, grâce à leurs soldats plus redoutables encore que l’armée, continuaient leur apprentissage de la nouvelle technique, mise au point par Epaminondas. Elle n’était pas encore parfaite, car contraire à ce qu’ils avaient appris jusqu’à présent. Lors de la dernière bataille, cette nouvelle tactique les avait un peu désordonnés, ce qui ne les avait pas avantagés. Elle devait leur permettre d’être encore plus unis, tout en surprenant l’ennemi.

    -         Bien, on reprend, dit Gorgidas en voyant qu’une nouvelle fois certains soldats étaient partis du mauvais côté par habitude.

    L’entraînement commençait à peser lourd sur les épaules de ces soldats. Cela faisait des heures qu’il revoyait encore les bases de cette tactique. Durant les dernières années, plusieurs soldats avaient été remplacés et ils devaient sans cesse revoir les bases de leur stratégie.

    -         Il fait chaud, se plaignit Alexis.

    -         Bien sûr qu’il fait chaud, avec le poids que l’on porte, plus on bouge, plus on aura chaud.

    -         Je commence à en avoir marre de revoir toujours la même chose. Ce n’est pourtant pas difficile de retenir les enseignements de maître Gorgidas.

    -         Ce n’est pas le cas de tout le monde, répondit Léandre. La plupart des soldats ont reçu un enseignement strict, cela fait des années qu’ils pratiquent d’une certaine manière. On ne peut pas leur faire oublier des années de techniques en seulement quelques mois. Et puis, il y a les nouveaux aussi.

    -         Mouais, tu as certainement raison.

    -         Bien sûr que j’ai raison. Bon, allons-y, on recommence.

    Ils suivirent les ordres de Gorgidas qui les conduisit à renforcer leur aile gauche, permettant un effet de surprise face à l’ennemi qui se retrouvait ainsi en infériorité numérique. L’aile gauche put ainsi forcer les lignes adverses. Même si l’ennemi était en supériorité numérique, cette technique leur donnait un avantage certain et ils se retrouvèrent autour de ceux qui « jouaient » les ennemis. Quoiqu’ils puissent en dire, ils se sentaient piégés et s’ils s’étaient fait attaquer, ils seraient sans doute morts avant que les autres lignes puissent venir à leur secours.

    -         Bien, on arrête pour aujourd’hui.

    La technique était loin d’être parfaite, car il fallait aussi juger de l’intelligence de l’adversaire à se faire prendre à ce piège, mais jusqu’ici, ça avait souvent marché, ce qui leur valut d’être acclamé dans les honneurs par les Thébains. Des victoires avec si peu de soldats, c’était un exploit, surtout quand on savait qui était en face d’eux. Une des plus grandes armées de la Grèce avec Athènes.

    Quasiment tous les soldats rentrèrent pour se reposer. D’autres préférèrent descendre en ville pour aller faire quelques courses. Alexis et Ewan discutaient de manière très animés, tandis que leur compagnon Sasha et Léandre les regardaient en soupirant.

    -         Ils se sont trouvé ces deux là, fit Sasha.

    -         C’est le moins que l’on puisse dire. Pour faire des bêtises, ce sont les premiers.

    -         Et pour dire des bêtises.

    -         L’un ne va pas sans l’autre, dit Léandre en souriant.

    -         Qu’est-ce que vous racontez ? Demanda Alexis en se retournant et décidant qu’il allait marcher à reculons.

    -         Regarde où tu vas au lieu de t’occuper de nos affaires.

    -         Ce que tu peux être désagréable Léandre, quand tu t’y mets. Tu parles comme un vieux, il faudrait penser à t’amuser.

    Léandre soupira et leva les yeux au ciel. Alexis continua à regarder son compagnon, sans faire attention où il allait, si bien qu’il se retrouva à terre sans qu’il en comprenne la raison.

    -         Je t’avais prévenu, dit Léandre en se moquant de lui et passant à côté sans l’aider.

    -         Merci de ton aide, grogna Alexis.

    -         De rien. C’était un plaisir.

    Léandre ne put s’empêcher de rire, suivit de Sasha et Ewan qui se moquaient ouvertement de la maladresse de leur camarade. Alexis se releva bougon, et ne parla plus du trajet, si bien qu’il finit derrière le groupe en traînant des pieds.

    -         Et tu arrives à t’y faire ? Demanda Sasha.

    -         Oh oui, c’est l’habitude.

    -         Quelle chance ! Je ne suis pas patient, si bien que parfois on ne se parle plus pendant des jours.

    -         Vous aimez vous moquer de nous, dit Ewan. Ce n’est pas sympa.

    -         Il faut dire que vous ne nous facilitez pas la vie avec vos bêtises.

    -         Alors vous devriez peut-être vous mettre ensemble, vous feriez un très beau couple.

    Léandre et Sasha soupirèrent tandis qu’Ewan rejoignait Alexis derrière. Ils arrivèrent dans le centre de la ville de Thèbes, dans un silence pesant.

    -         Bien, je dois aller chez l’armurier, dit Léandre. Est-ce que tu m’accompagnes ?

    Alexis observa un moment Léandre, puis acquiesça sans se poser plus de questions. Ewan et Sasha eux aussi, partirent de leur côté.

    -         Tu crois que ça va se passer comment, maintenant ? Demanda Alexis.

    -         Comment ça ?

    -         Par rapport à ce qui se passe ?

    -         Avec Sparte, tu parles ?

    -         Oui.

    -         Ils ne vont pas abandonner, j’en suis sûr, répondit Ewan. Ils ont un avantage, c’est certain, mais je crois en ce qu’on fait, donc pas d’inquiétude.

    -         Mouais.

    -         Tu es si inquiet que ça ?

    -         C’est difficile de ne pas l’être, répondit Alexis. Même si nous avons surpris l’ennemi durant les dernières batailles, c’est loin d’être gagné. Nous ne sommes même pas tout à fait prêts.

    -         C’est vrai, la nouvelle stratégie de maître Epaminondas est assez difficile à mettre en place, mais je suis sûr que ça ira dès qu’on sera au point. Je suis certain que l’on peut gagner.

    -         Tu es toujours trop optimiste, dit Alexis d’un ton morne.

    -         Et toi, pas assez.

    Léandre lui fit un sourire, qui dérida un peu son compagnon. Ils arrivèrent chez l’armurier pour récupérer le casque de Léandre.

    -         Bonjour, dit Kléitos. C’est prêt.

    Léandre et Alexis se regardèrent et furent surpris de voir le casque de Léandre sur la table, semblant comme neuf. Léandre le prit entre ses mains. C’était du très bon travail. On ne voyait presque plus de trace des combats précédents.

    -         Merci, dit-il. Mais comment vous saviez…

    -         Tout le monde vous connait ici. Vous faites parti du bataillon de la cité.

    -         Oui, répondit Alexis.

    -         Vous avez remporté des victoires importantes pour le peuple béotien, vous gagnez à être connu. Certains vous nomment même le bataillon sacré.

    Léandre et Alexis ne purent s’empêcher d’être gênés par ce nom, si bien qu’ils n’ajoutèrent rien de plus.

    -         Epaminondas est très respecté à Thèbes, continua Kléitos. Un béotarque aussi talentueux ne pouvait que nous mener à la victoire et créer un bataillon uniquement dédié aux combats est la meilleure idée qu’il ait eue.

    -         Oui, je crois que j’ai eu une bonne idée, dit une voix derrière les deux soldats.

    Léandre et Alexis se retournèrent, un peu surpris et virent leur maître Epaminondas, entrer chez l’armurier avec un grand sourire sur le visage, sûrement ravi du compliment de Kléitos.

    -         Maître Epaminondas, dit Alexis.

    -         Bonjour à vous deux, dit-il en entrant complètement dans le magasin.

    -         Bonjour maître, dit Léandre.

    -         Vous êtes venus récupérer votre casque ?

    -         Oui, répondit le soldat. Il a subi quelques dommages durant la dernière bataille. Et Kléitos a fait du très bon travail, on dirait que mon casque est neuf.

    -         Kléitos est le meilleur forgeron de toute la Grèce, complimenta Epaminondas.

    -         Tu es trop bon avec moi, dit Kléitos. Bien, si vous voulez bien m’excuser, je dois retourner travailler.

    -         D’accord, au revoir Kléitos, dit Epaminondas.

    Léandre et Alexis dirent au revoir à leur tour à Kléitos et ils sortirent en compagnie du Béotarque dans les rues bondées de Thèbes. Ils restèrent un moment devant chez Kléitos.

    -         Vous rentrez à la Cadmée ? Demanda Epaminondas.

    -         On comptait se promener un peu, fit Alexis.

    -         Vous avez raison d’en profiter parce qu’il est possible que ça ne dure pas. Je pense que l’on va bientôt repartir en campagne. Sparte n’en a pas encore fini, ils veulent absolument envahir la Béotie.

    -         Et nous, on va les en empêcher, dit Alexis avec enthousiasme.

    -         Exactement, dit Epaminondas.

    Ils commencèrent à marcher sans s’en rendre vraiment compte, s’arrêtant parfois pour dire bonjour. Epaminondas était connu de tous et même si Alexis et Léandre n’étaient que des soldats, le peuple les respectait beaucoup.

    -         Maître, comment avez-vous eu l’idée de créer le bataillon sacré ? Demanda Alexis.

    -         Le bataillon sacré ?

    -         Des tas de gens appellent notre bataillon ainsi. Kléitos nous l’a dit.

    -         C’est très présomptueux.

    -         Mais flatteur, dit Alexis en souriant.

    -         Certes, je ne le nie pas.

    Ils continuèrent à marcher jusqu’à ce qu’Epaminondas s’arrête. Les deux soldats s’arrêtèrent eux aussi.

    -         Vous devriez rentrer, Gorgidas va vous tirer les oreilles si vous rentrez tard.

    -         Oui, d’accord, dit Léandre.

    -         Et vous, maître ? Demanda Alexis.

    -         Je vais aller voir mon ami Pélopidas et nous allons partir en réunion. Tous les béotarques se réunissent et nous n’allons faire que parler toute la soirée.

    -         Parler ? Demanda Alexis.

    -         Oui, parler Alexis.

    Alexis haussa les épaules, avant de regarder son compagnon. Epaminondas les quitta sans plus un mot, mais en les gratifiant d’un sourire attentif. Léandre et Alexis retournèrent à la Cadmée et sur le chemin du retour, ils retrouvèrent Sasha et Ewan qui revenaient les bras chargés de fruits.

    -         Vous avez dévalisé le maraîcher ? Demanda Léandre.

    -         Oui, par envie, répondit Sasha. Je sais qu’on est bien nourri, mais je n’ai pas pu résister.

    -         Mouais, ronchonna Ewan. Et c’est moi qui porte tout.

    -         Arrête de te plaindre.

    -         Tu n’es qu’un tortionnaire.

    -         Tu savais à quoi t’attendre en me suivant, alors n’en fais pas tout un plat.

    Ewan se mit à bougonner, et finit par ne plus rien dire. Les soldats allèrent dans leur tente, afin de déposer ce qu’ils avaient ramenés. Ils allèrent ensuite au gymnase pour aller s’entraîner un peu.

    -         Je vais aller courir un peu dit Léandre, tu viens avec moi ?

    -         Non, je voudrais m’entraîner un peu au lancer de javelot, si ça ne te dérange pas.

    -         Tu fais comme tu veux. On se rejoint tout à l’heure.

    -         Ok !

    Léandre partit de son côté et fut rejoint pas Sasha. Ewan avait décidé d’accompagner Alexis pour s’entraîner au lancé. Léandre et Sasha décidèrent de faire une course pour savoir qui était le meilleur. Se mesurer l’un à l’autre était un très bon entraînement pour s’améliorer. Du côté d’Alexis et Ewan, ils essayaient de savoir qui lançait le plus loin.

    -         Tu es très bon, dit Ewan. Je crois que je suis meilleur à l’épée.

    -         C’est vrai que je préfère le combat à distance. Tu sais, il paraît qu’on va bientôt repartir.

    -         Ah oui ? En ce moment, on enchaine les combats.

    -         C’est à cause de Sparte, ils veulent à tout prie s’emparer de la Béotie.

    -         Mais c’est sans compter sur nous, dit Ewan. Nous sommes les meilleurs.

    -         On est bon, c’est sûr, mais ne sois pas aussi optimiste, la guerre est une chose aléatoire. On peut perdre si les dieux ne sont pas avec nous.

    -         Léandre a raison, tu n’es pas très optimiste.

    -         Peut-être, mais d’un autre côté, je suis réaliste aussi. A tout moment, à chaque combat, on risque notre vie. Nous avons choisi de rentrer dans l’armée, nous ne sommes là que pour combattre, mais dis-toi que pour tous les autres, ils ne sont là que pour défendre leur terre.

    -         Oui, je sais. Bon, on continue ? Ca ne changera pas ce qui se passe de toute façon ?

    Alexis et Ewan retournèrent à leur entraînement, essayant de battre leur record de lancer de javelot.

    Léandre et Sasha venaient juste de finir leur sprint et c’est Sasha qui avait remporté la course, plus rapide et plus léger, il avait l’habitude de courir depuis son enfance. Ils s’arrêtèrent, essoufflés, s’asseyant par terre, regardant les autres soldats du bataillon sacré qui s’entrainaient eux aussi, se lançant les même défis que les deux hommes.

    -         Tu es très rapide, dit Léandre essoufflé. Je suis incapable de te suivre.

    -         Tu n’étais pourtant pas très loin.

    -         C’est gentil, mais je sais reconnaître ma défaite.

    -         C’est bien de reconnaître sa défaite, dit une voix derrière eux, mais il faut aussi savoir ne pas s’avouer vaincu.

    -         Général Gorgidas, dit Sasha en se levant.

    Le général Gorgidas l’intima de rester assis et s’assit à son tour. Gorgidas était assez proche de ses hommes et n’hésitait pas à rester près d’eux quand il le fallait.

    -         Vous vous entraînez beaucoup, c’est bien, dit Gorgidas.

    -         Merci maître, dit Léandre.

    -         Vous avez raison de le faire, nous allons bientôt repartir en campagne.

    -         Où ça ? Demanda Sasha un peu curieux.

    -         Près de Leuctres. Nos histoires avec Sparte ne s’arrangent pas et le général Epaminondas est prêt à aller se battre.

    -         Mais sommes-nous de taille ? Demanda Léandre. Les Spartiates sont tellement nombreux.

    -         Nous pouvons avoir l’effet de surprise avec la stratégie d’Epaminondas. Il faut être positif, vous êtes de bons soldats et je suis sûr que vous serez les meilleurs.

    Léandre et Sasha se regardèrent. Ils doutaient, mais ils faisaient confiance au général Gorgidas. Ils partiraient en campagne à Leuctres et feraient tout pour remporter la victoire.

     

    Epaminondas soupirait alors qu’il entendait que les autres béotarques étaient aussi pessimistes. Comme à leur habitude, ils doutaient de la Béotie et de sa ville principale, Thèbes. Ils avaient pourtant remportés la victoire dans bien des villes et le bataillon sacré commençait à devenir célèbre.

    -         Faites-moi confiance. Nous devons repartir en campagne, dit Epaminondas en se levant et se mettant face aux autres Béotarques.

    -         Vous avez mené de beaux combats, Pélopidas et toi, avec votre nouveau bataillon, dit un des Béotarques, mais nous sommes de loin inférieurs en nombre. Tu veux vraiment les envoyer se faire tuer ?

    -         Je vais les mener à la victoire, les pertes sont inévitables, malheureusement. Je regrette que ce soit ainsi, mais si nous ne faisons rien, nous allons être envahis. Si nous n’essayons pas, nous ne pourrons pas savoir. Laissez-moi mener cette campagne et je ferais tout pour protéger la Béotie.

    Les Béotarques observèrent un moment Epaminondas. Pélopidas, quant à lui, restait silencieux. Il n’était pas nécessaire qu’il intervienne, il savait très bien que son ami s’en sortirait parfaitement seul. Il y eut un long moment de silence où tout le monde réfléchissait à la proposition du général Epaminondas. Ils doutaient et pourtant, ils avaient confiance en lui. Il avait montré durant les dernières campagnes contre Sparte que le nombre de soldats ne faisait pas tout, mais cela continuerait-il ?

    -         Nous allons procéder au vote. Etes-vous pour la campagne d’Epaminondas ?

    La plupart des personnes présentes levèrent la main et Epaminondas ne put s’empêcher de sourire, sachant pertinemment qu’il était arrivé à ses fins. Il se leva saluant les autres Béotarques et sortit en compagnie de Pélopidas.

    -         Tu as prévu ça quand ? Demanda Pélopidas.

    -         Le plus tôt possible, répondit Epaminondas. J’aimerai simplement que le bataillon soit prêt. Gorgidas les a bien formés, mais ils ont encore quelques lacunes.

    -         Tu es trop perfectionniste, si tu veux mon avis. Ils ont fait des exploits durant les derniers combats, ce qui nous a permis de diminuer les pertes du côté des civils.

    -         Je sais, mais j’aimerai éviter qu’ils se dispersent. Bien, je dois aller voir mes parents avant de partir. Je leur ai promis d’aller leur rendre visite.

    -         Tu leur passeras le bonjour.

    -         Oui, d’accord. A demain.

    Pélopidas fit un signe de la main à son ami avant de rentrer chez lui, retrouver sa famille. Epaminondas, marcha un moment dans les rues de Thèbes, profitant du calme qui régnait. La lune était pleine et éclairait ses pas. Il se retrouva sans s’en rendre compte, devant chez ses parents. Ce fut son père Polymnis qui l’accueillit en le serrant dans ses bras.

    -         Epaminondas, comment vas-tu ? Demanda-t-il.

    -         Très bien, père.

    -         Toujours occupé par les affaires du Conseil ?

    -         Oui, toujours.

    -         Ne l’assaille pas de questions, Polymnis, ton fils vient à peine de franchir le seuil de la maison.

    Atalante se leva de sa chaise, un peu difficilement et se retrouva dans les bras de son fils. Elle était toujours heureuse de le voir à la maison. Il était devenu un homme important à Thèbes et elle en était fière. Ils prirent place et le dîner leur furent servis. Epaminondas appartenait à une famille, plutôt riche et avait reçu une très bonne éducation.

    -         Alors, quelles sont les nouvelles ? Demanda Polymnis.

    -         Toujours la même chose. Nous allons repartir combattre Sparte, certainement dans les jours qui viennent.

    -         Vous savez où ?

    -         Sûrement près de Leuctres.

    -         Je suis sûr que tu vas remporter encore la victoire.

    -         Si vous pouviez arrêter de parler de guerre, intervint Atalante.

    -         Et de quoi veux-tu qu’on parle ? Du beau temps ? Demanda Polymnis. En tout cas, notre fils a bien grandi. Je me souviens quand tu écoutais attentivement Lysis. Tu lui posais tout un tas de questions. Je me demande comment il faisait pour supporter tes incessantes demandes.

    -         Il m’aimait bien et ça lui faisait plaisir de me répondre, dit Epaminondas. Je crois qu’il était ravi de pouvoir s’occuper de quelqu’un alors qu’il était obligé de rester ici et fuir son pays.

    -         Crois-moi, il n’était pas si malheureux, dit Polymnis.

    -         Je l’espère. Je regrette sa mort, mais bon, on passera tous par là.

    -         Justement, dit Polymnis. Quand penses-tu prendre une femme ? Tu n’as toujours pas de descendance et il serait peut-être temps que tu nous fasses un petit-fils.

    -         Père, ce n’est pas ma priorité, fit Epaminondas en soupirant.

    -         Pas ta priorité ? Demanda Atalante. Tu n’es plus tout jeune et tu pars sans arrêt combattre.

    -         Je sais.

    Epaminondas était exaspéré qu’on lui répète la même chose. Pourquoi ne comprenaient-ils pas que ce n’était pas sa priorité. Sa priorité, c’était Thèbes et la Béotie. Avoir des enfants passait en second plan. La soirée continua sur les questions de sa mère et de son père. Ils profitaient encore de la présence de leur fils, avant qu’il ne reparte se battre pour la énième fois.

     

    Le jour du départ était arrivé. Alexis était anxieux comme à son habitude et il reportait son anxiété sur Ewan. Ce qui n’était pas du goût de Léandre et Sasha, leurs compagnons, qui s’efforçaient de leur remonter le moral.

    -         Vous êtes vraiment pathétiques, tous les deux, dit Sasha. Il ne fallait pas vous engager, si c’était pour faire une comédie pareille.

    -         Tout le monde n’est pas aussi héroïque que toi, dit Alexis.

    -         Ce n’est pas de l’héroïsme. On fait notre métier, ne l’oubliez pas.

    -         Laisse tomber, Sasha, intervint Léandre. Quand ils seront en plein combat, ils n’y penseront pas.

    -         Je le sais, ce sont de bons soldats, mais ils se dévalorisent, c’est énervant.

    -         Ne faites pas comme si on n’était pas là. On va finir par croire que vous préférez être ensemble, dit Ewan.

    -         Ca pourrait être le cas, parce qu’avec des compagnons comme vous, ça donne envie de partir en courant pour s’échapper de là.

    Alexis donna un coup de coude à Léandre, qui préféra ne pas lui prêter attention. C’était toujours comme ça, de toute façon. Ils venaient à peine de partir, qu’ils se plaignaient déjà. Et une fois qu’ils y seraient, tout irait bien. Léandre savait très bien pourquoi Alexis était comme ça. Ce n’était pas pour sa propre sécurité qu’il s’inquiétait, mais pour la sienne. Léandre savait à quel point il comptait pour lui et le savoir en danger le rendait souvent anxieux et stressé avant la bataille. Il donna une tape à l’arrière du crâne d’Alexis.

    -         Tu t’inquiètes beaucoup trop.

    -         Ce n’est pas vrai, rétorqua Alexis.

    -         Mais bien sûr. Bon, continuons, on arrivera demain à Leuctres.

    Un peu plus tard, en fin de journée, ils installèrent leur camp, désignant les premiers gardes de nuits et dînant à la lueur du feu de bois. Sasha, Ewan, Léandre et Alexis étaient comme à leurs habitudes, ensemble. Ils observèrent un moment Pélopidas et Epaminondas qui circulaient pour voir si tout allait bien chez les soldats. Gorgidas, quant à lui, était en train de dîner avec d’autres soldats, dont un dont il était très proche depuis quelque temps.

    -         Comment allez-vous ? Demanda Epaminondas alors qu’il arrivait devant le groupe des quatre hommes.

    -         Bien, répondit Léandre. On sera sous quel commandement demain ?

    -         Le mien, fit Epaminondas avec fierté. Nous allons utiliser la phalange oblique. Vous savez ce que vous avez à faire ?

    -         Oui, répondirent-ils en chœur.

    -         Je compte sur vous, vous êtes de bons éléments et le bataillon dont vous faites partie doit encore faire ses preuves, mais je crois en vous. Je vous souhaite une bonne soirée. Ne vous couchez pas trop tard, pour être en forme demain.

    Ils acquiescèrent tous. De toute façon, ils avaient les premières gardes, ils en profiteraient ensuite pour dormir et être prêt à combattre le lendemain.

    Epaminondas et Pélopidas reprirent leur chemin et s’arrêtèrent juste à la limite du camp. Ils regardèrent autour d’eux.

    -         Tu es confiant pour demain ? Demanda Pélopidas.

    -         Oui, je le suis, pas toi ?

    -         Je n’en sais rien, mais tu es le plus optimiste de nous deux.

    Epaminondas ne put s’empêcher de rire. Il l’était sûrement trop, mais il croyait en ce qu’ils faisaient et en leurs actions. Il observa son ami, qu’il connaissait depuis des années, son meilleur ami, son frère d’arme. Ils étaient devenus amis lors de leur enfance mais leurs liens s’étaient renforcés sur le champ de bataille. Ils avaient une vingtaine d’année, durant la guerre de Corinthe et c’est lors d’une bataille, qu’Epaminondas sauva la vie de Pélopidas. Ils étaient sur la même longueur d’onde, ils avaient les mêmes idées et c’était aussi pour cela qu’ils étaient devenus amis.

    -         Demain, dit Pélopidas.

    -         Oui, demain.

     

    Le grand jour étaient arrivés. Toujours le même stress, les mêmes angoisses. Les soldats savaient ce qu’ils risquaient, mais ils étaient là pour protéger leur terre. Et l’obstacle qui était devant eux, était bien plus puissant qu’eux, pourtant, ils avaient confiance en leur chef, le Béotarque Epaminondas. Il leur avait donné à la victoire plus d’une fois. Pourquoi cela changerait ?

    -         Je crois que cette fois, on y est, dit Alexis.

    -         Oui, tu le vois bien. Par contre, nous sommes loin derrière.

    -         Je préfère là, les premières lignes ne sont jamais très bien accueillies, la plupart du temps.

    Léandre soupira. Oui, le front était souvent le premier à souffrir. Mais que pouvaient-ils y faire ? Il fallait bien qu’il y en ait qui soient devant, c’était comme ça.

    -         Ca ne m’étonne pas de toi, dit Léandre.

    -         Eh vous deux ! Ce n’est pas le moment de parler, dit Sasha. L’attaque est sur le point de commencer.

    Les soldats Spartiates étaient devant eux. Ils étaient en ligne, bien ordonné comme à leur habitude. Les Thébains se tenaient en rang serré, leur bouclier devant eux, leur lance en main, leur épée prête à être dégainée pour le combat rapproché. Une chose changeait par rapport à d’habitude, les lignes Thébaine n’était pas organisée comme à son habitude. L’aile gauche comptait beaucoup plus de soldats. Sept fois plus que dans le camp adverse, une profondeur de quatre-vingt hommes se trouvait sur cette aile. Epaminondas avait renforcé ce côté avec sa troupe d’élite pour contrer celle de Sparte. C’était pour l’effet de surprise, mais aussi pour pouvoir être en supériorité numérique, face à cette troupe plus entraînée que les autres.

    Le combat commença. Epaminondas fit tout d’abord intervenir la cavalerie, afin de désorganiser les lignes Spartiate. Les soldats Thébains se mirent ensuite à enfoncer les lignes ennemies, avec la phalange. Le bataillon sacré, face à la troupe d’élite Spartiate. En supériorité numérique sur l’aile gauche, les troupes d’élite Thébaine firent beaucoup de dégâts du côté Spartiate. Epaminondas se retrouva devant le roi Cléombrote qui semblait perdre le fil de ce qui se passait. Ses lignes s’étaient éparpillées et même si les Spartiates étaient plus nombreux, ils avaient subi de lourdes pertes, à cause de l’assaut sur ses troupes d’élite.

    Les Thébains firent perdre un tiers de ses citoyens à Sparte. Le roi Cléombrote perdit lui aussi la vie dans la bataille, ainsi que beaucoup de soldats d’élite décimés par la phalange d’Epaminondas.

    Cette bataille fut l’une des plus connues du bataillon sacré. L’infériorité numérique n’y avait rien fait, la stratégie d’Epaminondas avait réussi à faire assez de dégâts pour qu’ils puissent remporter la victoire.

    Leuctres permit aux Thébains de commencer leur hégémonie sur la Grèce. Le bataillon sacré commençait à devenir célèbre et Epaminondas ne comptait pas en rester là. Thèbes allait bientôt connaître la gloire, mais un homme allait causer leur perte, bien plus tard.

     

     


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