• Partie 1

    Chapitre 1

    Je n'ai cessé toute ma vie de vivre dans mes souvenirs. Il m'est impossible d'oublier mon passé, je me souviens de tout ce que j'ai vécu dans les moindres détails. Aujourd'hui, j'ai appris à vivre avec, mais quand j'étais enfant, puis durant une bonne partie de mon adolescence, c'était un véritable calvaire pour moi.

    Quand mes parents ont découvert ce que j'avais, j'avais trois ans et je m'exprimais déjà plutôt bien à cette époque. Je me rappelais déjà de tout ce que j'avais appris et il n'était même pas nécessaire de me répéter les choses. Quand on me posait des questions, je répondais sans attendre, pas besoin de réfléchir, je connaissais déjà la réponse. Là, où les autres enfants hésitent, leur mémoire n'assimilant pas encore tout, moi, je n'hésitais jamais.

    Mes parents ont toujours cru que j'étais juste en avance et n'avaient jamais été voir un spécialiste, jusqu'à ce que j'entre à l'école.

    Je me souviens parfaitement de mon premier jour de maternelle, je tenais la main de ma mère. Elle me la tenait si fort que je sentais parfaitement la tension qu'elle avait. J'avais parfaitement compris qu'elle était anxieuse de me laisser, quant à moi, je n'étais sûr de rien. J'avais déjà rencontré la maîtresse deux mois auparavant, pour me familiariser avec l'école et deux mois plus tard, je trouvais déjà mes marques. Pourtant, quelque chose m'angoissait. Est-ce que les autres enfants étaient comme moi ? Est-ce que je pourrais jouer avec eux ? Je suis fils unique et je n'avais jamais vu beaucoup d'enfants, durant mes trois premières années. Ma mère me gardait et peut-être que si j'avais été en nourrice, je n'aurais certainement pas eu cette angoisse.

    Alors, cette fois, c'était moi qui tenais la main de ma mère fermement. Papa se tenait à côté d'elle, un peu plus détendu. Il m'a regardé de son regard doré en souriant. J'étais toujours stupéfait de la couleur de ses yeux, qu'il m'avait aussi transmis. Maman, elle, m'avait transmis ses gênes asiatiques et je me retrouvais avec des yeux en amandes et des cheveux aussi noirs que les siens. Un curieux mélange. Papa s'était penché sur moi et je me souviens encore parfaitement de ses paroles ce jour là.

    -Tu es prêt, Raphaël ? M'a-t-il demandé. Tu vas te faire de nouveaux copains, tu verras.

    J'ai acquiescé sans un mot et papa et maman m'ont emmené près des autres enfants. Ils avaient même rejoint un homme qu'ils connaissaient. Il était brun, aux yeux bleus, très grand, largement plus grand que papa, je voyais à peine son visage.

    C'était un ami d'enfance de mon père et il emmenait son fils à l'école. Son fils lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, la même couleur de cheveux, les mêmes yeux, le même visage que son père et il était bien plus grand que moi. Il était même bien plus grand que tous les autres enfants de trois ans, c'était très étonnant. Il n'avait pas l'air d'avoir envie d'être ici, il restait près de son père, sans pour autant le tenir par la main, alors que moi je me cramponnais à celle de ma mère.

    Mon père et le sien étaient en pleine discussion sur leur passé et moi, je regardais l'autre garçon, avec curiosité. Lui aussi m'observait et au bout d'un moment, nous avons été interrompu par la maîtresse qui est venue nous chercher. Elle était très belle la maîtresse, des cheveux châtains et des yeux noisette, un sourire très doux et chaleureux, mais elle avait un prénom difficile à prononcer. Sealiah. Je n'ai pas mis longtemps à le retenir, même si je n'arrivais pas le dire correctement.

    Le garçon à côté de moi, s'appelait Alexandre Andoria et son père se prénommait David. Aucune difficulté pour moi à les retenir, Alexandre en revanche avait un peu plus de mal à retenir mon prénom et j'avoue que ça m'agaçait parfois. Les autres enfants aussi n'arrivaient pas à tout apprendre, alors que moi, chaque jour, je gravais dans ma mémoire tout ce que j'avais retenu.

    Le premier jour, nous nous sommes présentés, un peu difficilement d'ailleurs, nous avons dessiné, puis dans l'après-midi, nous avons fait une sieste. Nous avons joué toute la journée, et pourtant, quand venaient les récréations, je me retrouvais toujours seul. Pas facile de se faire accepter par les autres enfants quand on est différent et ça ils l'avaient bien compris, que je n'étais pas comme eux.

    Ces souvenirs là, ne sont pas très intéressants, même si je me souviens parfaitement de ce que j'ai vécu pendant toutes ces journées à l'école. La maîtresse ne comprenait pas vraiment mon comportement, je ne me rapprochais jamais des autres et j'étais souvent seul. En milieu d'année scolaire, juste après mon anniversaire, la maîtresse a même convoqué mes parents pour leur parler. Je me souviens de l'inquiétude qui se peignait sur leur visage et qui ne les a pas quitté le temps qu'on arrive à l'école. Ils se sont assis sur une chaise, devant la maîtresse, j'étais sur les genoux de maman et je m'y sentais bien même si je savais que ça n'irait pas longtemps.

    -Votre fils est très renfermé sur lui-même, il ne se mêle pas aux autres élèves.

    -Il est un peu timide, c'est vrai, a dit maman.

    -Je pense qu'il n'y a pas que ça. Votre fils est plus éveillé que les autres enfants, je pense que vous avez dû le remarquer.

    -Oui, c'est vrai, a dit papa.

    -Il arrive à se souvenir de beaucoup de choses, hier, il m'a raconté tout ce qu'il avait fait pendant les vacances dans les moindres détails. Pour un enfant de son âge, c'est très impressionnant.

    -Où voulez-vous en venir ?

    -Eh bien, je pense que vous devriez l'envoyer voir un spécialiste de la mémoire.

    Mes parents se sont regardés et la conversation a continué sur le même sujet. Même si je ne comprenais pas exactement où ils voulaient en venir, j'assimilais les mots, les images, les sons, tous mes souvenirs étaient bien présents et je ne pouvais oublier cette conversation. Les souvenirs les plus intenses, sont ceux que je me rappelle le mieux, comme les moments où je me faisais mal, où je pleurais, où je riais. Je me souvenais exactement pour quelle raison ça m'arrivait et ce qui s'était passé.

    A cette époque, mon souvenir le plus important était ma rencontre avec le spécialiste de la mémoire, qui m'a fait passer tout un tas de test. Ce n'était pas un très bon souvenir, je n'avais pas envie d'y aller et je m'étais accroché à la jupe bleue de maman. Pourtant, elle m'avait forcé à rester avec ce docteur et je lui en avais voulu pendant des jours. Je crois qu'elle ne s'y était pas attendue, pensant que j'oublierais rapidement. Mais comme il lui avait dit, j'avais une mémoire exceptionnelle.

    -Votre fils fait de l'hypermnésie, son cerveau lui permet de se rappeler de tout ce qu'il observe et entend. Il est possible aussi qu'il ait une mémoire eidétique, il assimile tout ce qu'il voit dans le moindre détail. Dans le cas de votre fils, il retranscrit ce qu'il a appris par le dessin.

    -Et ce n'est pas grave ?

    -Non, bien entendu, il y a des cas de personnes connus comme Mozart.

    -Ah ! A dit maman un peu anxieuse.

    -Cependant, dans une autre mesure et au vu de ce que j'ai constaté, il est possible aussi qu'il fasse de l'hyperthymésie, pour faire simple, il aurait la faculté de se rappeler tout ce qu'il a vécu. Là où un homme oublie la plupart de ses souvenirs quand il grandit, votre fils pourrait se rappeler de son enfance, comme s'il le vivait encore. Comme il est jeune, il est possible qu'il n'ait pas encore conscience de tout ça. Ce ne sont que des suppositions pour l'instant.

    -Que doit-on faire, si… s'il est comme vous dites ? A demandé papa.

    -Pour l'instant rien, seul le temps nous dira si c'est bien le cas.

    -Et comment cela se manifeste-t-il ?

    Je n'avais même pas entendu la réponse, je m'étais endormi après ça. Ce spécialiste avait vraiment une voix soporifique et j'avoue que la conversation ne m'intéressait pas. C'était trop compliqué pour moi à cette époque, même si à présent, j'en comprenais le sens. Se souvenir, c'était une chose, mais encore fallait-il comprendre le sens de toutes ces paroles. Même si j'arrivais à tout retranscrire, je n'avais pas compris la moitié de ce qu'ils avaient dit.

    Plus j'avançais dans le présent et plus je me retrouvais dans le passé, ce qui ne m'aidait pas à l'école. Au cours de ma troisième année en maternelle, je m'étais encore plus éloigné de mes camarades, même si j'avais essayé de faire un effort pour aller les rejoindre. Mais chaque jour, ce que j'avais fait les jours précédents me revenaient et je n'arrivais plus à agir comme un enfant de mon âge.

    Mes parents s'inquiétaient de plus en plus et je ne savais pas quoi faire pour les rassurer. J'étais trop jeune, je n'arrivais pas à m'exprimer comme je le voulais, même si je retenais et comprenais tous les mots que j'apprenais.

    Régulièrement, ils m'emmenaient voir ce spécialiste et il en était arrivé à la conclusion que je souffrais bien d'hyperthymésie. Je revois encore ma mère, se serrer contre mon père, en se demandant ce qu'ils allaient bien pouvoir faire. Mais rien, il n'y avait rien à faire, parce que ce n'était pas une maladie, c'était juste un partie de mon cerveau qui était plus développée. Il fallait simplement que j'arrive à vivre avec.

    Mais quand on est petit, on a du mal à assimiler ce concept. Heureusement, tout n'était pas noir durant mes années de maternelle, même si ce n'est pas la période de ma vie que j'ai préféré. Cependant un souvenir m'avait marqué plus que les autres à cette époque. En fait, c'était la première fois où je me suis fait un ami, un véritable ami.


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