• Chapitre 2

    Ca n'a pas été facile au début, pourtant, on se connaissait depuis presque trois ans, mais on ne s'adressait presque jamais la parole. Nos parents se connaissaient, puisque ce garçon était le fils de l'ami d'enfance de papa. Alexandre s'était toujours montré distant avec moi et je crois que je ne l'intéressais pas. Quand il est venu à la maison, ce jour de mai, il était très réticent, restant toujours près de son père. Quant à moi, mes souvenirs de ma première rencontre avec lui me revenaient sans cesse. Ce garçon qui n'arrivait pas à se souvenir de mon prénom m'intriguait pourtant.

    -C'est gentil de nous avoir invité, a dit David alors qu'ils étaient dans l'entrée.

    -On ne se voit pas assez souvent, je trouve, a dit papa. Pourtant nos fils sont dans la même classe.

    -C'est vrai, a dit David Andoria en souriant. Je n'ai pas beaucoup de temps malheureusement et je suis obligé de demander à la nourrice d'aller chercher Alexandre. Si je pouvais faire autrement, je le ferais.

    -Je comprends. Mais entrez, on ne va pas rester dans le couloir.

    Maman avait préparé un dîner excellent, avec un rôti et des pommes de terre cuites au four. J'adorais quand elle faisait ce plat et je me régalais. Ce que j'ai moins apprécié ce jour-là, fut la salade servie en entrée et je n'arrêtais pas de faire la grimace, tandis qu'Alexandre près de moi ne disait rien, mangeant à peine.

    -Tiens-toi correctement, Raphaël, a dit maman. Et dépêche-toi de finir de manger ta salade, sinon tu n'auras pas de rôti.

    Ma grimace s'était accentuée, mais je me suis dépêché de manger, sous le regard amusé des plus grands.

    -Je vois que je ne suis pas le seul à avoir des difficultés à faire manger mon fils, fit David.

    -Eh oui ! Comme tu le vois, il est difficile de faire manger des légumes aux enfants. Mais, ton fils n'a pas l'air de faire la grimace pourtant.

    -C'est vrai, il est plutôt calme aujourd'hui. C'est parce qu'il est intimidé.

    Alexandre avait levé la tête, mais n'avait rien dit. Je me suis demandé ce qu'il pensait à cet instant. Il m'avait jeté un coup d'œil et était aussitôt retourné à son assiette. Je me souviens que son attitude m'avait étonné. Lui qui était si plein d'entrain quand nous étions à l'école, il semblait très timide chez nous et encore plus inaccessible.

    Après le déjeuner, les adultes s'étaient installés dans le salon et ils nous avaient demandé d'aller jouer dans ma chambre. Seulement, je ne savais pas quoi faire avec Alexandre et il n'avait pas l'air d'avoir envie de jouer avec moi. Pourtant, je lui avais finalement proposé de jouer avec mon circuit de voiture et avec hésitation, il avait pris mes voitures.

    -La rouge, c'est ma préféré, ai-je dit en désignant la voiture qu'il avait dans la main.

    Il l'avait reposé et s'était assis par terre en attendant que je fasse quelque chose.

    -Mais tu peux la prendre, je te la prête.

    Je n'avais pas encore entendu le son de sa voix. Il n'avait pas l'air d'avoir envie de parler et j'avais l'impression que je l'ennuyais plus qu'autre chose.

    -Tu veux qu'on aille dehors ?

    -Si tu veux, avait-t-il finalement dit.

    J'avais souris, mais lui était resté neutre. Nous sommes allés voir nos parents pour leur dire que nous allions dehors. J'avais pris mon ballon pour que nous jouions au foot et après être sortis j'avais délimité les buts. Il était moins réticent et seulement quelques minutes après avoir tapé sur le ballon, il semblait beaucoup plus détendu, et j'ai pu voir un sourire sur son visage. Ca m'avait fait plaisir qu'il réagisse enfin et qu'il s'amuse, mais après plusieurs minutes de jeu, il était tombé à terre et se tenait le genou. Je m'étais approché et j'avais vu qu'il saignait beaucoup. Il commençait à pleurer et je me suis senti un peu désemparé.

    -Je vais chercher ton papa, ai-je dit.

    Il avait acquiescé tout en continuant à pleurer. Je m'étais levé et j'avais couru dans la maison jusqu'au salon.

    -Maman, maman, Alexandre il est tombé et il s'est fait mal. Il saigne.

    Ils s'étaient tous levés, son père en premier et avaient couru dans le jardin. J'étais derrière eux et je voyais le père d'Alexandre le prendre dans ses bras et l'emmener dans la salle de bain. Papa avait repris le ballon et me l'avait donné pour que j'aille le ranger. Après avoir remis mon ballon dans ma chambre, j'étais allé dans la salle de bain pour voir si tout allait bien. Maman était en train de soigner Alexandre, qui s'était arrêté de pleurer et qui grimaçait de douleur. Je m'étais avancé dans la pièce, timidement.

    -Ca va ? Ai-je demandé.

    Il avait acquiescé et j'avais souri timidement.

    -Je ne te fais pas trop mal ? A demandé maman.

    -Ca va, a répondu Alexandre. Vous êtes gentille. D'habitude, c'est papa qui fait ça.

    -Et ta maman ? Ai-je dis.

    -J'ai pas de maman.

    J'étais resté figé un moment. Pas de maman ? Ca me semblait inconcevable et c'est un peu plus tard que j'appris que sa mère était partie après sa naissance et que c'était son père qui s'occupait de lui. Je m'étais approché de lui, alors que maman lui posait un pansement sur le genou.

    -On pourra jouer encore ? Ai-je demandé.

    Il avait acquiescé en souriant. Pourtant, après ce qui s'était passé, j'étais persuadé qu'il allait dire non. Quand ils sont partis un peu plus tard, je me suis dit que je m'étais enfin fait un ami, parce qu'il m'avait dit au revoir en souriant et m'avait dit « à lundi ». Toute la soirée, j'avais repensé à cette journée, comme je le faisais tous les soirs, avant de m'endormir. Je ne pouvais faire autrement, mes souvenirs passés me revenaient sans cesse, mais ce n'était pas grave, parce que cette journée je ne voulais pas l'oublier.

    Quand je suis rentré en primaire, Alexandre et moi passions beaucoup de temps ensemble. D'ailleurs, c'était la seule personne avec qui je m'amusais ce qui n'était pas du goût des autres enfants. Ils voulaient sans cesse qu'Alexandre joue avec eux, les garçons voulant à tout prix jouer au foot. Ils lui proposaient toujours de venir avec eux. Alexandre avait beaucoup de succès, parce qu'il était plus grand que les autres et plus fort et tous les garçons le voulaient dans leur équipe. Quant à moi, eh bien, je restais à les regarder, parce qu'ils ne me proposaient jamais de jouer.

    Pourtant, plus d'une fois Alexandre venait vers moi, pour me proposer de venir avec eux. Mais je refusais à chaque fois, voyant que ce n'était pas du goût des autres. Alors, je restais assis dans un coin de la cour à les regarder. Parfois, Alexandre refusait leur invitation pour rester avec moi, c'était ces moments-là que je préférais, parce que je n'étais pas seul.

    Chaque jour, j'apprenais énormément de choses et je me souvenais de tout, le lendemain et le surlendemain et chaque jour durant et plus j'apprenais et plus mes souvenirs me revenaient sans cesse. Je ne pensais plus qu'à ça et je m'éloignais encore plus de mes camarades, qui eux, vivaient dans le présent.

    -Raphaël, tu viens jouer ? A demandé Alexandre un jour d'Avril.

    -Non, merci.

    -Pourquoi tu viens jamais ?

    -Parce qu'ils ne veulent pas, ai-je répondu en désignant les autres.

    -Alexandre, tu viens ? Sinon, on n'aura jamais le temps de faire une partie.

    -Allez, viens, on va s'amuser.

    -Non, c'est bon.

    Et je m'étais éloigné, sans un mot, me mettant à mon coin habituel, assis, remontant mes genoux pour les entourer de mes bras. J'aurais aimé jouer avec eux, mais quelque chose m'en empêchait. J'avais peur je crois. Peur de sombrer un peu plus dans mes souvenirs, s'il se passait quelque chose durant la partie. Alors, je ne faisais rien. Toutes mes journées se déroulaient de la même manière, pour que je n'aie pas trop de souvenirs en tête.

    L'année de mes huit ans, j'étais de plus en plus renfermé sur moi-même. Les souvenirs s'accumulaient dans ma tête et j'avais de plus en plus de mal à le supporter. Alexandre avait abandonné l'idée depuis longtemps de me proposer de jouer avec les autres, mais il passait cependant du temps avec moi et nous jouions souvent aux billes ensemble.

    -J'ai hâte qu'on aille à la piscine, a dit Alexandre alors qu'on était prêt à partir. Et toi ?

    -Pas vraiment.

    -Pourquoi ?

    -Je ne sais pas nager, ai-je répondu.

    -Moi, papa m'a appris. Mais justement, on va t'apprendre, alors tu n'as pas à t'inquiéter.

    -Je n'aime pas vraiment l'eau.

    -Allez, je suis sûr qu'on va bien s'amuser.

    Je n'avais rien dit, mais j'étais angoissé. Nous sommes partis en bus, il pleuvait dehors et j'avais le nez collé à la vitre, Alexandre à côté de moi, discutant avec d'autres camarades de classe. Quand nous sommes arrivés, je me sentais de plus en plus mal et des souvenirs commençaient à m'assaillir. Des souvenirs de mes parents et moi, à la mer. Ma mère me mettant les pieds dans l'eau et moi, je pleurais pour ne pas y aller. Elle ne m'avait pas forcé, mais elle avait été très déçue que je ne veuille pas aller me baigner avec elle. Même papa avait essayé de me rassurer, mais il n'y avait rien à faire et j'étais resté sur la plage, à jouer avec le sable.

    Quand nous sommes arrivés à la piscine, je tremblais et pourtant je m'efforçais de rester calme pour que les autres ne se moquent pas de moi. Mais c'était trop tard.

    -Regardez ! Raphaël tremble comme une feuille, a dit l'un de mes camarades. T'as peur de l'eau.

    Je n'avais pas répondu, les yeux rivés sur mon sac à dos. Je tremblais toujours un peu, quand j'ai sentis Alexandre près de moi.

    -Raphaël a peur de l'eau, avait raillé un autre. C'est une poule mouillée.

    -On verra quand vous y serez, a dit Alexandre. Vous rigolerez sûrement moins.

    -Mais moi, je sais nager.

    -Et moi aussi, a dit un autre.

    Je m'étais tourné vers Alexandre qui semblait vraiment en colère. Je n'aimais pas vraiment le voir comme ça, mais ça me faisait tout de même plaisir qu'il prenne ma défense. C'est à ce moment là que le maître a décidé de venir nous chercher et alors que les autres étaient enthousiasme à aller dans l'eau, moi, je restais en retrait et je fus le dernier à sortir du vestiaire.

    J'avais froid et j'avais peur et ces souvenirs qui ne voulaient pas me lâcher me mettaient encore plus mal à l'aise. J'avais senti la main d'Alexandre sur mon bras, alors que le maître nageur nous demandait qui savait nager ou non. Je fus surpris de constater que je n'étais pas le seul et les garçons qui m'avaient raillé dans les vestiaires, se moquaient de ceux qui ne savaient pas nager. Ce n'était pas seulement moi, cette fois, et j'ai éprouvé une sorte de soulagement. Pourtant, le plus dur restait à venir, le moment où je devais aller dans l'eau.

    Ils nous avaient mis près du bord et on attendait. Les enfants qui savaient nager, allaient un peu plus loin avec le maître nageur, tandis que les autres restaient avec notre instituteur. Je tremblais toujours et jetais un œil à Alexandre un peu plus loin qui écoutait le maître nageur attentivement. Il semblait cependant impatient d'aller à l'eau, alors que moi, je redoutais ce moment. Je regardais mes camarades qui semblaient un peu plus détendus, sauf une petite fille qui semblait avoir aussi peur que moi.

    Nous nous mîmes à l'eau quelques minutes plus tard et la sensation de l'eau m'a fait trembler encore plus. Je restais auprès du bord, le tenant pour ne pas glisser. On avait des bouées pour ne pas se noyer ainsi que des planches, mais ça ne me rassurait pas du tout et alors que le maître venait vers moi pour me rassurer, j'avais presque envie de pleurer.

    -Tout va bien, Raphaël ? A-t-il demandé. Tu trembles depuis tout à l'heure.

    -J'aime pas l'eau, ai-je répondu.

    -Ne t'en fais pas, tu n'es pas tout seul.

    Le maître essaya de me faire bouger, mais je restais inexorablement contre le bord. Il me fit alors sortir de l'eau et asseoir un peu plus loin. J'avais honte, mais je ne pouvais pas aller plus loin, je ne voulais pas m'obliger à faire quelque chose que je ne voulais pas. Simplement, en faisant ça, ce souvenir allait être un des plus douloureux de ma vie.

    Pendant des jours entiers, je me suis souvenu de cette journée, à tel point que je ne pensais plus à autre chose. Je n'écoutais plus en classe et je tremblais sans cesse, si bien que mon instituteur avait fini par appeler mes parents pour qu'ils viennent me chercher. Je me souviens très bien de la tête de ma mère, paniquée, pensant qu'il m'était arrivé quelque chose de grave. Elle m'avait pris dans ses bras et j'étais rentré à la maison en fin de matinée.

    J'étais resté plusieurs jours à la maison. Maman avait été obligée de rester à la maison, pour me garder. Je me suis senti fautif de l'empêcher de travailler, mais d'un autre côté, j'étais content qu'elle soit avec moi. Quand j'étais à la maison, il ne m'arrivait rien de particulier et je n'avais pas à me souvenir de choses désagréables, au contraire, je ne pensais qu'aux moments que je passais avec maman.

    Seulement, j'avais envie de revoir Alexandre. Ca me manquait de ne plus lui parler, alors la semaine suivante, je suis retourné à l'école, non sans une certaine appréhension. La veille d'y retourner, juste avant de me coucher, je me rappelais tout ce qui s'était passé la semaine précédente et mes angoisses concernant la piscine me revenaient. Pourtant, je m'efforçais de ne pas y penser, mais plus j'essayais et plus ce souvenir était présent.

    -Je suis content que tu sois revenu, a dit Alexandre en me voyant pénétrer dans la cour. Est-ce que ça va mieux ?

    -Oui.

    -Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

    -Rien, j'étais malade, c'est tout.

    Je ne sais pas pourquoi je me suis montré aussi distant avec lui, ce jour là, alors que j'avais envie de le revoir, parce qu'il était mon seul ami. Pourtant, qu'il s'intéresse à moi me perturbait et je savais que j'étais obligé de lui mentir. Je ne voulais pas qu'il sache ce qui m'arrivait. J'avais réussi à lui cacher pendant plusieurs années et je pense qu'à l'époque, il n'aurait pas pu comprendre ce qui se passait. Il m'aurait certainement repoussé d'ailleurs et je me serais retrouvé seul.

    A la fin de mes années de primaire, ma condition ne s'était pas améliorée. Niveau école, j'avais des notes excellentes du fait de ma bonne mémoire, mais concernant ma vie sociale, elle était au point mort et je me mettais toujours à l'écart des autres. Même si Alexandre restait souvent avec moi, je me retrouvais toujours seul durant quelques récréations. J'essayais pourtant de faire des efforts, sous l'influence d'Alexandre, mais ça ne changeait rien.

    Je restais dans mon coin à ressasser mon passé, tandis que je le regardais un peu hagard, jouer au foot ou au basket. A la fin de l'année scolaire, j'avais été soulagé de partir, mais je savais que je n'avais que deux mois de répits. A la rentrée, je devais rentrer au collège et ma situation n'était pas prête de s'améliorer.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique