• Chapitre 4

    Je savais très bien qu'il allait entrer au lycée comme moi, mais je n'avais pas prévu qu'il serait dans ma classe. J'avais regardé le panneau d'affichage, un peu effaré, espérant qu'il y ait un autre Alexandre Andoria. Mais non, c'était bien lui et c'est quand nous rentrâmes en classe, que j'eus la confirmation. Pas de toute possible, c'était bien lui. Les mêmes cheveux sombres, les mêmes yeux bleus, il était plus grand que tous les élèves de la classe et encore une fois, je me sentais ridicule à côté de lui.

    Le plus inattendu, ce fut quand il se mit à côté de moi. Apparemment, lui non plus ne connaissait personne et il m'avait parfaitement reconnu. C'est vrai qu'un asiatique avec des yeux dorés, ça ne court pas les rues. De toute façon, ce n'était pas comme si on s'était quitté alors que nous étions à la maternelle. Je m'étais senti tendu et j'avais eu presque envie de sortir de la classe. Le savoir là, à côté de moi m'angoissait, parce que mes souvenirs de lui me revenaient et je n'arrivais pas à me les sortir de la tête.

    Notre professeur principal nous a donné notre emploi du temps. J'étais surpris de ne pas travailler le mercredi et le samedi, ce qui me laissait beaucoup de liberté. Par contre les journées du lundi, mardi et jeudi étaient particulièrement surchargées. Heureusement, nous finissions à seize heures le vendredi. La seule chose que je regrettais, c'était de finir avec sport les deux dernières heures de la semaine. Je n'aimais pas particulièrement le sport, ayant du mal à me concentrer sur les jeux, tel que le foot ou le basket.

    Finalement, j'étais arrivé à me concentrer sur ce que disait le professeur et quand la pause vint, je m'étais levé le premier pour sortir de la classe. Je n'avais pas envie de rester à côté d'Alexandre plus longtemps. Je crois qu'à ce moment là, il avait voulu me parler, mais je n'étais pas prêt à discuter avec lui, car mes souvenirs m'assaillaient de nouveau. J'étais parti dans un coin du lycée, m'asseyant à terre pour essayer de me calmer. Anaïs, Sébastien et moi n'avions pas de coin où nous retrouver, mais finalement, ils m'ont rejoint assez rapidement. Sébastien s'était penché près de moi.

    -Ca ne va pas ? A-t-il demandé.

    -Si, si.

    -Alors pourquoi tu restes recroquevillé comme ça ?

    -Ce n'est rien…

    -Tes souvenirs ?

    -Oui.

    Je regardais la cour et vis Alexandre un peu plus loin qui semblait avoir retrouvé ses amis. Ma tête avait rejoint mes genoux alors qu'une nouvelle vague de souvenirs me revenait.

    -Je ne pensais pas qu'il serait dans ma classe, ai-je dit finalement.

    -Qui ça ?

    -Alexandre.

    -C'est vrai ? A demandé Anaïs. Où est-ce qu'il est ?

    Je lui ai montré, aussi discrètement que possible, car depuis un moment, il semblait chercher quelque chose ou quelqu'un. Peut-être moi.

    -Est-ce que ça va aller ? M'a demandé Sébastien inquiet.

    -Oui, c'est bon, de toute façon, je n'ai pas le choix.

    Je m'étais relevé, un peu étourdi tout de même. La fin de la pause avait sonné et j'ai dû malgré moi retourner en cours. Anaïs et Sébastien m'avaient regardé jusqu'à ce que je passe la porte du bâtiment. Je leur avais fait un sourire pour essayer de les rassurer. Quand je suis retourné en cours, j'ai tourné la tête vers la fenêtre pour ne pas avoir à le regarder et durant les deux heures qui suivirent, je ne lui ai pas jeté un seul coup d'œil. Heureusement, cet après-midi nous finissions plus tôt. Et à la pause déjeuner, j'ai rejoins rapidement Anaïs et Sébastien qui m'attendaient devant la cantine.

    -Ca s'est bien passé ? M'a demandé Sébastien.

    -Oui, plutôt bien.

    -Pas de choses désagréables ?

    -Pas pire que d'habitude, j'ai réussi à me contrôler.

    Alors que nous allions rentrer dans la cantine, Alexandre est passé à côté de nous. Il m'avait regardé un moment, puis était partis rejoindre ses amis. Pendant un moment, j'avais cru qu'il allait m'adresser la parole, mais il est vrai que je l'avais fui toute la matinée, même quand il avait essayé de me parler. Il avait dû penser que je l'avais oublié et pourtant, c'était loin d'être le cas, mais à l'époque, il ne savait pas ce qui se passait.

    Durant les jours qui suivirent, nous ne nous parlâmes même pas. Il restait simplement à côté de moi. J'entendais parfois sa voix, pour me demander quelque chose et je lui répondais sur le même ton détaché. En fait, sa réaction me blessait un peu, mais c'était moi qui m'était mis dans cette situation, je ne pouvais que me blâmer. D'un autre côté, chaque jour mes souvenirs de lui m'assaillaient et je pouvais à peine me concentrer sur le présent.

    Alexandre et moi ne nous parlions pas beaucoup. Pendant deux mois, nous nous sommes simplement mis l'un à côté de l'autre, nous adressant la parole, juste assez pour que ce soit pratique. Mais à chaque pause, nous retrouvions nos amis et c'était très bien comme ça. Nous étions au mois de novembre et je savais très bien, que son anniversaire arrivait. Je ne sais pas ce qui m'a pris, mais je suis allé lui acheter un cadeau. Ce n'était pas grand-chose et je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça, peut-être était-ce une façon de me faire pardonner de l'avoir quitté sans rien dire.

    Je ne lui avais pas offert directement, parce que je ne voulais pas qu'il m'interroge. Je n'avais pas envie qu'il me pose des questions, que ses yeux bleus me scrutent à la recherche d'une réponse que je n'aurais pas pu lui donner. De plus, j'avais toujours des difficultés à gérer mes souvenirs et j'avais peur de m'écrouler devant lui.

    Je lui avais donc mis son cadeau dans son sac, espérant qu'il ne le trouverait pas tout de suite. A la pause de midi, je m'étais éloigné, mais pas assez pour ne pas le voir découvrir le paquet dans son sac. J'avais les yeux rivés sur lui, n'écoutant même pas mes amis, alors que nous allions faire la queue pour aller à la cantine. Il avait regardé autour de lui, semblant chercher qui lui avait offert ce paquet. Son regard avait croisé le mien et j'avais vite tourné la tête vers mes amis, seulement, j'étais persuadé qu'il avait deviné que le cadeau venait de moi.

    -Raphaël, tu es dans la lune, a dit Anaïs.

    -Pardon ?

    -C'est bien ça, a-t-elle répété en souriant. Tu étais perdu dans tes souvenirs ?

    -On peut dire ça.

    -Est-ce que ça va aller ? A demandé Sébastien, inquiet.

    -Oui, oui, ne t'en fais pas, tout va bien aujourd'hui. J'arrive à gérer.

    Et c'était vrai, j'arrivais à peu près à me contrôler. Un peu plus tard dans la journée, nous avions une heure de libre et je m'étais assis au fond du lycée, sur des marches près d'un bâtiment. Il ne faisait pas chaud, mais il ne pleuvait pas et le soleil pointait le bout de son nez de temps en temps. J'avais pris mon carnet à dessin et avais commencé à dessiner. Mon esprit avait divagué, sur le visage d'Alexandre quand il avait découvert son cadeau et je n'avais pu m'empêcher de le représenter.

    -Tu dessines toujours, alors, a dit une voix près de moi.

    J'avais sursauté et constaté qu'Alexandre était très proche. Il s'était assis à côté de moi et j'avais refermé mon carnet à dessin.

    -C'est moi que tu dessinais ?

    -Hein ? Heu… Pourquoi tu dis ça ?

    -Parce que je l'ai vu.

    -Ah ! Ai-je dit gêné.

    -Tu dessines toujours aussi bien.

    -Merci.

    -J'avais peur que tu m'aies oublié.

    -Pourquoi tu me dis ça ?

    -Parce que tu m'ignorais au début de l'année.

    -Et qu'est-ce qui t'a fait comprendre que ce n'était pas le cas ? Ai-je demandé en regardant au loin.

    -En fait, je n'en étais pas sûr, mais j'ai eu ma confirmation aujourd'hui.

    -Comment ça ?

    -C'est bien toi, qui m'a offert ce cadeau, non ? A-t-il dit en désignant le cd que je lui avais offert. Comment tu as su que je le voulais ?

    -Je t'ai entendu en parler.

    -Alors, c'est bien toi. Mais pourquoi tu n'as pas voulu renouer avec moi ? Tu m'avais vraiment oublié ?

    Je m'étais levé et avais descendu les escaliers. Alexandre m'avait suivi et je m'étais arrêté un peu plus loin. Je n'osais pas le regarder de peur d'être envahi une fois de plus par mes souvenirs.

    -Je ne t'ai jamais oublié, même si je l'avais voulu, je n'aurais pas pu.

    -Comment ça ?

    -Laisse, tu ne peux pas comprendre.

    -Si tu ne m'expliques pas, c'est évident que je ne peux pas comprendre. Tu as toujours été comme ça, à avoir des secrets, par contre, avec tes nouveaux amis, j'ai l'impression que tu n'as pas de secrets pour eux.

    -Ce n'est pas simple.

    Je l'ai regardé finalement et j'aurais dû m'abstenir, car je n'avais jamais vu une telle douleur sur son visage. Il serrait les poings et je sentais qu'il voulait des réponses.

    -Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu partais ?

    -Parce que je n'en avais pas envie. Je n'avais pas envie de me souvenir de ce moment.

    -Alors, notre amitié ne comptait pas pour toi ?

    -Si, mais les derniers mois avant mon départ, tu ne les passais presque plus avec moi, j'étais souvent seul, alors j'ai pensé que c'était mieux comme ça, que tu m'oublierais.

    -Comme si c'était aussi simple, a-t-il dit amèrement.

    -Je comprends parfaitement ce que tu veux dire. De toute façon, on ne peut pas revenir sur le passé, c'est comme ça. Je ne te demande pas de redevenir ton ami. Le cadeau que je t'ai offert, c'était un caprice de ma part.

    J'étais parti sans attendre sa réponse. Je me sentais mal et la conversation m'est revenue, pendant plusieurs heures. Impossible d'oublier cette scène et j'avais eu du mal à m'endormi cette nuit-là. Les jours qui suivirent, furent assez pénibles, Alexandre ne me parlait plus du tout et s'il avait pu changer de place, il l'aurait fait. Quant à moi, je me sentais de plus en plus mal et je repensais sans cesse à notre conversation.

    La veille des vacances scolaire de décembre, je me sentais complètement libre. Je ne savais pas très bien pourquoi. C'était comme si mes pensées étaient soudainement devenues claires et je pouvais enfin réfléchir librement. Pourtant, ça ne présageait rien de bon, mais à ce moment-là, je ne le savais pas.

    -Tu as l'air bien joyeux, a remarqué Anaïs. Ce sont les vacances d'hiver qui te mettent d'aussi bonne humeur.

    -Oui, entre autre.

    -On dirait que ça va, a dit Sébastien.

    -Bien sûr, pourquoi ça n'irait pas ? Ai-je dis en souriant.

    -Eh bien, ces derniers temps, tu étais souvent dans tes pensées, mais apparemment, ça a l'air d'aller.

    -Mais oui, ça va.

    Je m'étais levé brusquement, remarquant Alexandre un peu plus loin. Il me regardait lui aussi et à ce moment, je n'ai pu m'empêcher d'être heureux et je ne savais pas pourquoi. Alexandre et moi ne nous parlions presque jamais, mais pourtant, ce jour-là, je me sentais bien de le voir, certainement parce que je n'étais pas assailli par mes souvenirs. J'avais fait un pas vers lui, puis deux et c'est à ce moment précis que j'ai compris que quelque chose clochait. Mon corps semblait agir contre ma volonté et j'ai rejoint le sol, un peu trop rapidement. J'ai entendu mes amis courir vers moi, Sébastien me prenant dans ses bras.

    -Eh Raphaël, ça va ?

    -Oui, je…

    -Il est blanc comme un linge, a dit Anaïs, on devrait l'emmener à l'infirmerie.

    Ils m'avaient tous les deux aidé à me relever, pour m'emmener à l'infirmerie. Moi qui avais cru à ce moment-là que tout irait bien, je m'étais lourdement trompé. J'étais passé à côté d'Alexandre, qui semblait choqué par mon malaise. Je me rappelle lui avoir fait un sourire d'excuse, comme si je m'en voulais de me montrer si faible devant lui. Mon état était en fait, très préoccupant, vu la tête qu'avait fait l'infirmière en m'examinant.

    -Tu ne t'es pas senti mal ce matin ?

    -Non, ai-je répondu.

    -Pas de problème respiratoire ? Pas de fièvre ou autre symptôme ?

    -Non, pas du tout.

    Elle était repartie un peu perplexe. La seule chose qui était bizarre, c'était que mes souvenirs ne me revenaient plus sans cesse, mais je ne pouvais pas lui dire, elle n'aurait pas compris. Personne n'était au courant à part mes amis et ma famille. Un peu plus tard, mes parents sont venus me chercher et m'ont emmené voir un médecin. J'avais la grippe, ce n'était pas tellement important, j'avais juste vu une bonne nouvelle à ça. Mes souvenirs ne venaient pas constamment me hanter, parce que j'étais trop fatigué pour ça. Le point noir, c'est que mes vacances commençaient plutôt mal. Mes amis sont venus me voir dans la semaine, quand je commençais à me sentir mieux.

    -Est-ce que ça va ? A demandé Anaïs. Tu nous as fait une sacrée peur. On a cru que c'était plus grave.

    -Ca aurait pu l'être, a dit Sébastien. Mais, c'est bizarre, tu te sentais si bien peu de temps avant.

    -Oui, mes souvenirs ne me hantaient plus, ai-je expliqué. Mais, c'était à cause de ça, car depuis que je vais mieux, ils font leur grand retour. J'espère quand même être sur pied pour les fêtes. Vous allez faire quoi vous ?

    -Notre famille vient à la maison, les grands parents, les cousins, etc…, a répondu Anaïs. Enfin, on en a pour la nuit. Et toi ?

    -Je fête Noël seulement avec mes parents et mon grand père paternel cette année, mes grands parents maternels n'ont pas pu faire le déplacement du Japon.

    -Ah ! C'est dommage.

    -Oui, mais bon, j'espère qu'on pourra aller les voir très bientôt. J'avoue que ça me plairait de voir le pays de ma mère.

    -Ce serait génial, a dit Anaïs. J'aimerais bien aussi. Ca doit être magnifique Tokyo.

    J'avais ri devant l'air rêveur d'Anaïs et nous sommes restés toute l'après-midi tous les trois. Un peu plus tard dans la soirée, mes parents sont venus me voir.

    -Est-ce que ça va, fiston ? A demandé papa.

    -Oui, ça va mieux.

    -On n'a pas encore eu l'occasion de t'en parler, ta mère et moi, mais nous avons invité David et Alexandre à dîner pour le réveillon du nouvel an.

    -Hein ? Mais pourquoi ?

    -Eh bien, ils sont seuls et ça fait longtemps que je n'ai pas vu mon ami d'enfance. En plus, Alexandre est bien dans ta classe, non ?

    -Oui, mais… On ne se parle pas vraiment.

    -Ah ! Vous étiez pourtant très amis avant.

    -Oui, c'est vrai, mais… on a suivi des chemins différents.

    J'avais souri à mon père, et il avait semblé perplexe. Je crois qu'il n'avait pas très bien compris ce qui s'était passé, mais il avait préféré ne pas me poser de question et je lui en étais reconnaissant, parce que je ne pensais pas à l'époque que je pourrais renouer avec lui, après ce qui s'était passé.


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