• Chapitre 5

    Enfin ça, c'est ce que je croyais. J'ai passé une soirée de Noël tranquille avec mes parents et mon grand-père. Et quand la veille du nouvel an est arrivé, j'avais l'impression que des tas de souvenirs ressurgissaient. Alexandre et son père allaient venir le soir même et des tas de choses me revenaient en tête, au point que j'étais obligé de rester couché, incapable de me concentrer sur le présent.

    -Est-ce que ça va aller ? A demandé maman en s'essayant sur mon lit.

    -Oui, je vais essayer de faire le vide, ai-je répondu.

    -A quoi penses-tu exactement ?

    -A pleins de choses, et c'est juste à cause de ce soir.

    -Parce que ce sera ton anniversaire ?

    -Entre autre. Si je pouvais… faire abstraction de tout ça.

    Maman semblait inquiète et je m'en voulais de lui gâcher cette fête. J'allais avoir dix-huit ans et j'avais l'impression d'en avoir cinq ou dix, ou douze, parce que sans cesse mes souvenirs d'enfance me revenaient.

    David et Alexandre sont arrivés dans la soirée et je me suis efforcé de les accueillir en souriant en espérant que je n'aurais pas trop de souvenirs en tête au point de ne plus pouvoir tenir la conversation. Quand Alexandre et moi avons croisé notre regard, c'était de la froideur que je vis dans ses yeux, tandis que moi je n'avais qu'une seule envie, aller me coucher et que cette soirée se passe rapidement.

    Pourtant, ce ne fut pas le cas et malheureusement la conversation dériva sur les vieux souvenirs et en particulier ceux que nous avions Alexandre et moi. Je m'étais levé brusquement pour aller dans la cuisine, sous le regard étonné de nos invités. Papa m'avait rejoint dans la cuisine et avait posé une main sur mon épaule.

    -Ca va aller ? A-t-il demandé.

    -J'en sais rien, je commence à avoir mal à la tête.

    -Tu peux aller te reposer si tu veux, on t'appellera quand il sera minuit.

    -Ca ne va pas paraître trop bizarre à tes invités ?

    -Ils comprendront. Allez, vas-y, si tu as besoin de repos.

    J'avais acquiescé, de toute façon, je ne me sentais pas capable de leur faire face, de toute façon. Ce que je ne savais pas, c'était la tournure qu'allait prendre cette soirée. Moi, qui avait pensé tout cacher à Alexandre, c'était sans compter sur mes parents, qui avaient eu la « merveilleuse » idée de lui expliquer ce qui m'arrivait. Je n'avais rien entendu de la conversation bien entendu, puisque j'étais dans ma chambre, mais une quinzaine de minutes après que je me sois allongé sur mon lit, Alexandre entrait dans ma chambre.

    Il faisait noir et je m'étais redressé. Je le voyais à peine, mais ni lui, ni moi ne voulions allumer. Il s'était finalement assis sur la chaise de bureau et le silence s'était installé entre nous. Pendant plusieurs minutes, nous n'avons pas parlé, puis c'est finalement Alexandre qui a mis fin au silence.

    -Je ne te dérange pas ? A-t-il demandé.

    -Si c'était le cas, je te l'aurais dit.

    -Est-ce que ça va ?

    -J'ai mal à la tête, c'est tout.

    -Ah !

    -Qu'est-ce qu'il y a ?

    -En fait… tes parents m'ont tout dit.

    -Ah ! J'aurais dû y penser.

    J'ai finalement allumé la lampe de chevet pour voir son visage. Son expression avait semblé flotter entre la colère et la compassion et ça m'avait exaspéré à ce moment-là.

    -Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?

    -Pourquoi je l'aurais fait ?

    -Parce qu'on était ami avant.

    -Oui, c'est vrai. J'aurais pu, mais… écoute, je n'aime pas revenir sur le passé. Mon cerveau m'y oblige constamment et à l'instant où je te parle, je ne peux m'empêcher de penser à ce qui s'est passé.

    -Et à quoi penses-tu exactement ?

    -On est vraiment obligé d'en parler ?

    -Oui, je crois que c'est important. Je voudrais comprendre pourquoi tu ne m'as rien dit. Tu ne me faisais pas confiance ?

    -Ce n'est pas ça, c'est… J'avais peur, c'est tout.

    -Peur de quoi ?

    Il s'était levé et s'était assis sur mon lit, me scrutant avec ses yeux bleus. Je ne pouvais soutenir son regard, ça m'était insupportable, car trop de souvenirs me revenaient, ça se bousculait dans ma tête et je me demandais quand est-ce qu'elle allait exploser.

    -Peur que tu me rejettes, comme les autres. Même s'ils ne savaient rien, ils ont senti que j'étais différent et je ne me suis jamais intégré. Plus les années avancent et plus j'ai de souvenirs, c'est presque insupportable de ne pouvoir oublier. Je me souviens de tout ce qu'on a vécu ensemble, de notre première rencontre, à la dernière fois où on s'est parlé. A chaque fois que je vois quelque chose, je me rappelle la première fois où je l'ai vu, dès que j'entends une chanson, je l'ai dans la tête pendant des heures avant de passer à autre chose qui m'obsède tout autant. Si je me mets à dessiner, c'est pour évacuer tout ça de ma tête. Regarde ma chambre, elle en est envahie.

    -Oui, j'ai vu, a-t-il dit avec un petit rire.

    -Ca te fait rire ?

    -J'avoue oui. Même si je compatie et que je t'en veux de ne pas avoir eu assez confiance en moi pour m'en parler. Tes amis sont au courant, n'est-ce pas ?

    -Oui, ils ont été assez perspicaces, je dois l'avouer.

    -Et maintenant, à quoi penses-tu ?

    -A tout ce qui s'est passé entre nous, à notre conversation le jour de ton anniversaire.

    -D'accord. Et maintenant ?

    -Maintenant quoi ?

    Je l'avais finalement regardé dans les yeux. Il avait un visage doux, presque apaisant et pendant un moment, un bref instant, je ne pensais plus à rien. J'avais finalement détourné la tête, un peu gêné.

    -Qu'est-ce qu'on fait tous les deux ? Tu crois qu'on peut être encore ami ?

    -J'en sais rien, les choses ont changé, on n'est plus… pareils.

    -C'est vrai, mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut plus redevenir ami.

    -C'est vrai. Désolé, j'ai une sorte de blocage.

    -J'ai vu. Alors ? Tu veux bien qu'on essaie ?

    -Oui, pourquoi pas. Mais franchement, je ne te comprends. Tu devrais plutôt m'en vouloir.

    -Oui, mais que veux-tu, je ne dois pas être si rancunier que ça.

    Il m'avait fait un sourire énigmatique et on s'était serré la main. Je l'avais regardé un moment du coin de l'œil, en me demandant pourquoi il était si gentil. Le point positif était que j'allais mieux et j'ai pu revenir dans le salon avec les autres juste après notre conversation. Quand minuit vint, l'ambiance était plutôt festive, mon père et David n'arrêtaient pas de se charrier et j'avoue que j'ai passé un très bon moment. On s'est souhaité une bonne année, assez rapidement et c'est maman qui a lancé les hostilités.

    -Bon anniversaire, mon chéri, a dit maman.

    Une année de plus, encore. Chaque année, le premier jour de l'année, je prends un an de plus et ça ne changera pas. Je m'étais senti gêné, comme si c'était déplacé de fêter mon anniversaire pendant la fête du nouvel an. Mais que voulez-vous, je n'ai pas choisi le jour de ma naissance, même si maman m'a toujours dit que j'avais eu très envie de sortir à ce moment-là.

    Mes parents m'avaient donné mon cadeau, une série de Dvd, que je leur avais demandé et un peu d'argent. Je les avais embrassés pour les remercier, mais le plus gênant restait à venir. Alexandre m'avait tendu un paquet et j'étais resté un moment à le regarder, ne prenant même pas la peine de lui prendre des mains. Il l'avait finalement posé sur la table. Il était gêné et finalement, j'avais pris le paquet pour l'ouvrir.

    -Merci, ai-je dit.

    -Je n'ai pas oublié non plus, a-t-il dit.

    Je l'avais regardé un moment, avant d'ouvrir mon cadeau et de rester muet devant. J'ai mis un temps avant de me reprendre. C'était une montre à gousset, un peu spéciale.

    -Elle te donne les mouvements de la lune, a-t-il expliqué. J'ai trouvé qu'elle serait bien pour toi.

    -Parce que je suis souvent dans la lune.

    Il m'avait souri, me faisant comprendre que c'était le cas. Tout le haut de la montre formait le cadran et au dessous, formant un croissant de lune, les mouvements de la lune y étaient représentait. C'était un cadeau incroyable et je me suis demandé un moment combien elle lui avait coûté. Je l'avais remercié en lui serrant la main, j'avais aussi remercié son père de son cadeau et mon calvaire avait enfin pris fin. Je n'aimais pas être le centre d'intérêt des autres.

    Papa et maman avaient décidé qu'Alexandre et David resteraient pour la nuit et bien entendu, Alexandre allait dormir dans ma chambre. Je savais très bien que ce moment arriverait, puisque mes parents m'en avaient parlé depuis le départ. Cependant, je ne m'y étais pas vraiment préparé. Je ne savais pas si j'arriverais à dormir. Il m'arrivait de ne m'endormir que trois heures après m'être couché et après une soirée comme celle-là, il allait m'être difficile de fermer les yeux. Plus je me couchais tard et plus il m'était difficile de dormir.

    J'avais laissé Alexandre dormir dans mon lit, même s'il avait insisté pour dormir sur le lit d'appoint. Il avait finalement accepté un peu gêné et s'était couché en me souhaitant bonne nuit. Et comme je l'avais prévu, cette nuit-là, je ne me suis pas endormi avant deux bonnes heures, me tournant et me retournant dans mon lit. J'avais malheureusement réveillé Alexandre et nous avions discuté un peu.

    -Tu n'arrives pas à dormir ? A-t-il demandé.

    -Non, mais c'est toujours comme ça.

    Il s'était penché au dessus de mon lit et son visage était à peine éclairé, pourtant, je voyais parfaitement son expression curieuse. Heureusement que lui ne me voyait pas, parce que je me sentais particulièrement gêné par le regard qu'il me portait.

    -Ca ne doit pas être facile.

    -Non, pas vraiment, ai-je répondu. Je ne dors pas beaucoup la nuit, en tout cas, pas assez pour être complètement reposé. La dernière fois que j'ai vraiment bien dormi, c'était les derniers jours où j'étais malade.

    -Ah oui ! Tu avais quoi exactement ?

    -Une grippe.

    -Ok ! Ca m'a fait bizarre de te voir t'écrouler comme ça.

    -Crois-moi, ça m'a étonné moi-même, surtout que je me sentais bien quelques minutes avant, mais j'aurais dû me douter que ça annonçait quelque chose. Enfin, peu importe, de toute façon, c'est terminé et mon hyperthymésie est revenue.

    -Hyperthymésie ?

    -Oui, c'est le nom de mon problème, ai-je dit en souriant un peu tristement.

    -D'accord. Mais, tu te souviens vraiment de tout ?

    -En ce qui concerne mes souvenirs, oui. D'autres choses aussi, mais je ne pourrais pas les énumérer, je ne m'en rends plus vraiment compte maintenant.

    -Alors, tu ne connais pas l'oubli.

    -Non, je ne sais pas ce que c'est.

    Nous sommes restés silencieux après ça et j'ai pu enfin m'endormir. Le premier jour de l'année, Alexandre et son père sont repartit et j'ai regardé mon camarade de classe avec une certaine nostalgie. Je ne savais pas trop comment j'allais réagir quand on se retrouverait au lycée.


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